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Titre : La poésie

Auteur : Sully Prudhomme Recueil : Stances et poèmes, 1865

Quand j'entends disputer les hommes Sur Dieu qu'ils ne pénètrent point, Je me demande où nous en sommes : Hélas ! toujours au même point. Oui, j'entends d'admirables phrases, Des sons par la bouche ennoblis ; Mais les mots ressemblent aux vases : Les plus beaux sont les moins remplis. Alors, pour me sauver du doute, J'ouvre un Euclide avec amour ; Il propose, il prouve, et j'écoute, Et je suis inondé de jour. L'évidence, éclair de l'étude, Jaillit, et me laisse enchanté ! Je savoure la certitude, Mon seul vrai bonheur, ma santé ! Pareil à l'antique sorcière Qui met, par le linéament Qu'elle a tracé dans la poussière, Un monde obscur en mouvement, Je forme un triangle : ô merveille ! Le peuple des lois endormi S'agite avec lenteur, s'éveille Et se déroule à l'infini. Avec trois lignes sur le sable Je connais, je ne doute plus ! Un triangle est donc préférable Aux mots sonores que j'ai lus ? Non ! j'ai foi dans la Poésie : Elle instruit par témérité ; Elle allume sa fantaisie Dans tes beaux yeux, ô Vérité ! Si le doigt des preuves détache Ton voile aux plis multipliés, Le vent des strophes te l'arrache, D'un seul coup, de la tête aux pieds. Et c'est pourquoi, toute ma vie, Si j'étais poète vraiment, Je regarderais sans envie Képler toiser le firmament !