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Condition Humaine

253 poésies en cours de vérification
Condition Humaine

Poésies de la collection condition humaine

    Aimé Césaire

    Aimé Césaire

    @aimeCesaire

    C'est le courage des hommes qui est démis L'extraordinaire téléphonie du feu central aux nébuleuses installée en une seconde et pour quels ordres ! La pluie, c'est la manière rageuse dès maintenant et dès ici de biffer tout ce qui existe, tout ce qui a été créé, crié, dit, menti, sali. Où a-t-on pris que la pluie tombe ? C'est le courage des hommes qui est démis. La pluie est toujours de tout cœur. La pluie exulte. C'est une levée en masse de l'inspiration, un sursaut des sommeils tropicaux ; un en-avant de lymphes ; une frénésie de chenilles et de facules ; un assaut tumultueux contre tout ce qui se terre dans les garennes ; la lancée à contre-sens des gravitations de mille folles munitions et des tur-ra-mas qui sautent en avançant - hippocampes vers les enfin et les faubourgs. Enfin! L'arbre pète à la grenade. La roche éclate. Tendresse : de loin en loin ce grand repos. Tendresse : de loin en loin cet orchestre qui joue et entrelace des pas comme de l'osier qu'on tresse. Tendresse, mais celle des tortures adorables : la mise en marche d'un incendie de vilebrequins qui forent et forcent le vide à crier étoile. C'est du sang. Du reste on comprend mal comment ça suffit à alimenter la formidable dévolution de chevaux qui de crête en crête rebroussent l'élan des ravins. Il n'y a plus de royauté. Et l'invention est perpétuelle de chants d'extase, de prières écourtées, de cérémonial minutieux d'araigne, de scies qui clapotent, de chevelures dénouées, de lampes de mosquée en verre émaillé qui s'entrechoquent, de mers qui filent et refluent, d'alambics, de serpentins qui à toute vapeur claironnent les condensations inoubliables. Certes inoubliables. Une danse de sagaies comme on n'en a jamais vu et dix mille drapeaux de victoire arrachés aux cétacés et que la terre agite. La vigne de la colère a colporté jusqu'au ciel l'alcool de son repos et du salut.

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    A

    Albert Babinot

    @albertBabinot

    Contre l'ingratitude des hommes O ciel vouté qui la terre bien heures, O feu sans poix agilement leger, O air humide, o vent prompt messager, O large mer qui la terre ceintures, O terre riche, ô qui ton doz peintures De vers thesors pour l'homme soulager, Bois, pres, champs, eaux, que pour nous arranger, Nature essay' de mille architectures, Quand vous verrez que les ingrats humains Ne donront plus louanges ordinaires A JESUS CHRIST, pour les biens de ses mains : Vous Ciel, feu, air, et toy vent navigueur, Toy mer, toy terre, et bois, près, champs, rivieres, Deniez leur l'ancienne faveur

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    La chimère La chimère a passé dans la ville où tout dort, Et l’homme en tressaillant a bondi de sa couche Pour suivre le beau monstre à la démarche louche Qui porte un ciel menteur dans ses larges yeux d’or. Vieille mère, enfants, femme, il marche sur leurs corps… Il va toujours, l’oeil fixe, insensible et farouche… Le soir tombe… il arrive ; et dès le seuil qu’il touche, Ses pieds ont trébuché sur des têtes de morts. Alors soudain la bête a bondi sur sa proie Et debout, et terrible, et rugissant de joie, De ses grilles de fer elle fouille, elle mord. Mais l’homme dont le sang coule à flots sur la terre, Fixant toujours les yeux divins de la chimère Meurt, la poitrine ouverte et souriant encor.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    La nuit de Décembre Le poète Du temps que j’étais écolier, Je restais un soir à veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s’asseoir Un pauvre enfant vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Son visage était triste et beau : A la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire. Il pencha son front sur sa main, Et resta jusqu’au lendemain, Pensif, avec un doux sourire. Comme j’allais avoir quinze ans Je marchais un jour, à pas lents, Dans un bois, sur une bruyère. Au pied d’un arbre vint s’asseoir Un jeune homme vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Je lui demandai mon chemin ; Il tenait un luth d’une main, De l’autre un bouquet d’églantine. Il me fit un salut d’ami, Et, se détournant à demi, Me montra du doigt la colline. A l’âge où l’on croit à l’amour, J’étais seul dans ma chambre un jour, Pleurant ma première misère. Au coin de mon feu vint s’asseoir Un étranger vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il était morne et soucieux ; D’une main il montrait les cieux, Et de l’autre il tenait un glaive. De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu’un soupir, Et s’évanouit comme un rêve. A l’âge où l’on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevais mon verre. En face de moi vint s’asseoir Un convive vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il secouait sous son manteau Un haillon de pourpre en lambeau, Sur sa tête un myrte stérile. Son bras maigre cherchait le mien, Et mon verre, en touchant le sien, Se brisa dans ma main débile. Un an après, il était nuit ; J’étais à genoux près du lit Où venait de mourir mon père. Au chevet du lit vint s’asseoir Un orphelin vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Ses yeux étaient noyés de pleurs ; Comme les anges de douleurs, Il était couronné d’épine ; Son luth à terre était gisant, Sa pourpre de couleur de sang, Et son glaive dans sa poitrine. Je m’en suis si bien souvenu, Que je l’ai toujours reconnu A tous les instants de ma vie. C’est une étrange vision, Et cependant, ange ou démon, J’ai vu partout cette ombre amie. Lorsque plus tard, las de souffrir, Pour renaître ou pour en finir, J’ai voulu m’exiler de France ; Lorsqu’impatient de marcher, J’ai voulu partir, et chercher Les vestiges d’une espérance ; A Pise, au pied de l’Apennin ; A Cologne, en face du Rhin ; A Nice, au penchant des vallées ; A Florence, au fond des palais ; A Brigues, dans les vieux chalets ; Au sein des Alpes désolées ; A Gênes, sous les citronniers ; A Vevey, sous les verts pommiers ; Au Havre, devant l’Atlantique ; A Venise, à l’affreux Lido, Où vient sur l’herbe d’un tombeau Mourir la pâle Adriatique ; Partout où, sous ces vastes cieux, J’ai lassé mon coeur et mes yeux, Saignant d’une éternelle plaie ; Partout où le boiteux Ennui, Traînant ma fatigue après lui, M’a promené sur une claie ; Partout où, sans cesse altéré De la soif d’un monde ignoré, J’ai suivi l’ombre de mes songes ; Partout où, sans avoir vécu, J’ai revu ce que j’avais vu, La face humaine et ses mensonges ; Partout où, le long des chemins, J’ai posé mon front dans mes mains, Et sangloté comme une femme ; Partout où j’ai, comme un mouton, Qui laisse sa laine au buisson, Senti se dénuder mon âme ; Partout où j’ai voulu dormir, Partout où j’ai voulu mourir, Partout où j’ai touché la terre, Sur ma route est venu s’asseoir Un malheureux vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Qui donc es-tu, toi que dans cette vie Je vois toujours sur mon chemin ? Je ne puis croire, à ta mélancolie, Que tu sois mon mauvais Destin. Ton doux sourire a trop de patience, Tes larmes ont trop de pitié. En te voyant, j’aime la Providence. Ta douleur même est soeur de ma souffrance ; Elle ressemble à l’Amitié. Qui donc es-tu ? – Tu n’es pas mon bon ange, Jamais tu ne viens m’avertir. Tu vois mes maux (c’est une chose étrange !) Et tu me regardes souffrir. Depuis vingt ans tu marches dans ma voie, Et je ne saurais t’appeler. Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie ? Tu me souris sans partager ma joie, Tu me plains sans me consoler ! Ce soir encor je t’ai vu m’apparaître. C’était par une triste nuit. L’aile des vents battait à ma fenêtre ; J’étais seul, courbé sur mon lit. J’y regardais une place chérie, Tiède encor d’un baiser brûlant ; Et je songeais comme la femme oublie, Et je sentais un lambeau de ma vie Qui se déchirait lentement. Je rassemblais des lettres de la veille, Des cheveux, des débris d’amour. Tout ce passé me criait à l’oreille Ses éternels serments d’un jour. Je contemplais ces reliques sacrées, Qui me faisaient trembler la main : Larmes du coeur par le coeur dévorées, Et que les yeux qui les avaient pleurées Ne reconnaîtront plus demain ! J’enveloppais dans un morceau de bure Ces ruines des jours heureux. Je me disais qu’ici-bas ce qui dure, C’est une mèche de cheveux. Comme un plongeur dans une mer profonde, Je me perdais dans tant d’oubli. De tous côtés j’y retournais la sonde, Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde, Mon pauvre amour enseveli. J’allais poser le sceau de cire noire Sur ce fragile et cher trésor. J’allais le rendre, et, n’y pouvant pas croire, En pleurant j’en doutais encor. Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée, Malgré toi, tu t’en souviendras ! Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ? Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée, Ces sanglots, si tu n’aimais pas ? Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ; Mais ta chimère est entre nous. Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures Qui me sépareront de vous. Partez, partez, et dans ce coeur de glace Emportez l’orgueil satisfait. Je sens encor le mien jeune et vivace, Et bien des maux pourront y trouver place Sur le mal que vous m’avez fait. Partez, partez ! la Nature immortelle N’a pas tout voulu vous donner. Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle, Et ne savez pas pardonner ! Allez, allez, suivez la destinée ; Qui vous perd n’a pas tout perdu. Jetez au vent notre amour consumée ; – Eternel Dieu ! toi que j’ai tant aimée, Si tu pars, pourquoi m’aimes-tu ? Mais tout à coup j’ai vu dans la nuit sombre Une forme glisser sans bruit. Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ; Elle vient s’asseoir sur mon lit. Qui donc es-tu, morne et pâle visage, Sombre portrait vêtu de noir ? Que me veux-tu, triste oiseau de passage ? Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image Que j’aperçois dans ce miroir ? Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse, Pèlerin que rien n’a lassé ? Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse Assis dans l’ombre où j’ai passé. Qui donc es-tu, visiteur solitaire, Hôte assidu de mes douleurs ? Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ? Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère, Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ? LA VISION – Ami, notre père est le tien. Je ne suis ni l’ange gardien, Ni le mauvais destin des hommes. Ceux que j’aime, je ne sais pas De quel côté s’en vont leurs pas Sur ce peu de fange où nous sommes. Je ne suis ni dieu ni démon, Et tu m’as nommé par mon nom Quand tu m’as appelé ton frère ; Où tu vas, j’y serai toujours, Jusques au dernier de tes jours, Où j’irai m’asseoir sur ta pierre. Le ciel m’a confié ton coeur. Quand tu seras dans la douleur, Viens à moi sans inquiétude. Je te suivrai sur le chemin ; Mais je ne puis toucher ta main, Ami, je suis la Solitude.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    La nuit de Mai Poète, prends ton luth et me donne un baiser ; La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore, Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ; Et la bergeronnette, en attendant l’aurore, Aux premiers buissons verts commence à se poser. Poète, prends ton luth, et me donne un baiser. LE POÈTE Comme il fait noir dans la vallée ! J’ai cru qu’une forme voilée Flottait là-bas sur la forêt. Elle sortait de la prairie ; Son pied rasait l’herbe fleurie ; C’est une étrange rêverie ; Elle s’efface et disparaît. LA MUSE Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse, Balance le zéphyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacré qu’elle enivre en mourant. Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée. Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir : l’immortelle nature Se remplit de parfums, d’amour et de murmure, Comme le lit joyeux de deux jeunes époux. LE POÈTE Pourquoi mon coeur bat-il si vite ? Qu’ai-je donc en moi qui s’agite Dont je me sens épouvanté ? Ne frappe-t-on pas à ma porte ? Pourquoi ma lampe à demi morte M’éblouit-elle de clarté ? Dieu puissant ! tout mon corps frissonne. Qui vient ? qui m’appelle ? – Personne. Je suis seul ; c’est l’heure qui sonne ; Ô solitude ! ô pauvreté ! LA MUSE Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet ; la volupté l’oppresse, Et les vents altérés m’ont mis la lèvre en feu. Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t’en souviens-tu pas, Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile, Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ? Ah ! je t’ai consolé d’une amère souffrance ! Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d’amour. Console-moi ce soir, je me meurs d’espérance ; J’ai besoin de prier pour vivre jusqu’au jour. LE POÈTE Est-ce toi dont la voix m’appelle, Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ? Ô ma fleur ! ô mon immortelle ! Seul être pudique et fidèle Où vive encor l’amour de moi ! Oui, te voilà, c’est toi, ma blonde, C’est toi, ma maîtresse et ma soeur ! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d’or qui m’inonde Les rayons glisser dans mon coeur. LA MUSE Poète, prends ton luth ; c’est moi, ton immortelle, Qui t’ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle, Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ; Quelque amour t’est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées, Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu, Éveillons au hasard les échos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie, Et que ce soit un rêve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux où l’on oublie ; Partons, nous sommes seuls, l’univers est à nous. Voici la verte Écosse et la brune Italie, Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux, Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes, Et Messa la divine, agréable aux colombes, Et le front chevelu du Pélion changeant ; Et le bleu Titarèse, et le golfe d’argent Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire, La blanche Oloossone à la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d’or nos chants vont-ils bercer ? D’où vont venir les pleurs que nous allons verser ? Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière, Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe légère, Et te contait tout bas les amours qu’il rêvait ? Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie ? Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier ? Suspendrons-nous l’amant sur l’échelle de soie ? Jetterons-nous au vent l’écume du coursier ? Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre De la maison céleste, allume nuit et jour L’huile sainte de vie et d’éternel amour ? Crierons-nous à Tarquin :  » Il est temps, voici l’ombre ! «  Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ? Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ? Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ? Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ? La biche le regarde ; elle pleure et supplie ; Sa bruyère l’attend ; ses faons sont nouveau-nés ; Il se baisse, il l’égorge, il jette à la curée Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant. Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée, S’en allant à la messe, un page la suivant, Et d’un regard distrait, à côté de sa mère, Sur sa lèvre entr’ouverte oubliant sa prière ? Elle écoute en tremblant, dans l’écho du pilier, Résonner l’éperon d’un hardi cavalier. Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France De monter tout armés aux créneaux de leurs tours, Et de ressusciter la naïve romance Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ? Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ? L’homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie, Et ce qu’il a fauché du troupeau des humains Avant que l’envoyé de la nuit éternelle Vînt sur son tertre vert l’abattre d’un coup d’aile, Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ? Clouerons-nous au poteau d’une satire altière Le nom sept fois vendu d’un pâle pamphlétaire, Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli, S’en vient, tout grelottant d’envie et d’impuissance, Sur le front du génie insulter l’espérance, Et mordre le laurier que son souffle a sali ? Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ; Mon aile me soulève au souffle du printemps. Le vent va m’emporter ; je vais quitter la terre. Une larme de toi ! Dieu m’écoute ; il est temps. LE POÈTE S’il ne te faut, ma soeur chérie, Qu’un baiser d’une lèvre amie Et qu’une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine ; De nos amours qu’il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne chante ni l’espérance, Ni la gloire, ni le bonheur, Hélas ! pas même la souffrance. La bouche garde le silence Pour écouter parler le coeur. LA MUSE Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau, Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ? Ô poète ! un baiser, c’est moi qui te le donne. L’herbe que je voulais arracher de ce lieu, C’est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu. Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du coeur : Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage En le voyant au loin s’abattre sur les eaux. Déjà, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux. Lui, gagnant à pas lents une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée, Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ; En vain il a des mers fouillé la profondeur ; L’Océan était vide et la plage déserte ; Pour toute nourriture il apporte son coeur. Sombre et silencieux, étendu sur la pierre Partageant à ses fils ses entrailles de père, Dans son amour sublime il berce sa douleur, Et, regardant couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle, Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, Fatigué de mourir dans un trop long supplice, Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ; Alors il se soulève, ouvre son aile au vent, Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu, Que les oiseaux des mers désertent le rivage, Et que le voyageur attardé sur la plage, Sentant passer la mort, se recommande à Dieu. Poète, c’est ainsi que font les grands poètes. Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ; Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées, De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur, Ce n’est pas un concert à dilater le coeur. Leurs déclamations sont comme des épées : Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant, Mais il y pend toujours quelque goutte de sang. LE POÈTE Ô Muse ! spectre insatiable, Ne m’en demande pas si long. L’homme n’écrit rien sur le sable À l’heure où passe l’aquilon. J’ai vu le temps où ma jeunesse Sur mes lèvres était sans cesse Prête à chanter comme un oiseau ; Mais j’ai souffert un dur martyre, Et le moins que j’en pourrais dire, Si je l’essayais sur ma lyre, La briserait comme un roseau.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    La mort du loup I Les nuages couraient sur la lune enflammée Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée, Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon. Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon, Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes, Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes, Nous avons aperçu les grands ongles marqués Par les loups voyageurs que nous avions traqués. Nous avons écouté, retenant notre haleine Et le pas suspendu. - Ni le bois, ni la plaine Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement La girouette en deuil criait au firmament ; Car le vent élevé bien au dessus des terres, N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires, Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés, Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés. Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête, Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt, Lui que jamais ici on ne vit en défaut, A déclaré tout bas que ces marques récentes Annonçaient la démarche et les griffes puissantes De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux. Nous avons tous alors préparé nos couteaux, Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches, Nous allions pas à pas en écartant les branches. Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient, J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient, Et je vois au delà quatre formes légères Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères, Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux, Quand le maître revient, les lévriers joyeux. Leur forme était semblable et semblable la danse ; Mais les enfants du loup se jouaient en silence, Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi, Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi. Le père était debout, et plus loin, contre un arbre, Sa louve reposait comme celle de marbre Qu'adoraient les romains, et dont les flancs velus Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus. Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées. Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris, Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ; Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante, Du chien le plus hardi la gorge pantelante Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer, Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles, Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé, Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde. Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde, Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ; Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant. Il nous regarde encore, ensuite il se recouche, Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, Et, sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    L’âge d’or de l’avenir Le rideau s’est levé devant mes yeux débiles, La lumière s’est faite et j’ai vu ses splendeurs ; J’ai compris nos destins par ces ombres mobiles Qui se peignaient en noir sur de vives couleurs. Ces feux, de ta pensée étaient les lueurs pures, Ces ombres, du passé les magiques figures, J’ai tressailli de joie en voyant nos grandeurs. Il est donc vrai que l’homme est monté par lui-même Jusqu’aux sommets glacés de sa vaste raison, Qu’il y peut vivre en paix sans plainte et sans blasphème, Et mesurer le monde et sonder l’horizon. Il sait que l’univers l’écrase et le dévore ; Plus grand que l’univers qu’il juge et qui l’ignore, Le Berger a lui-même éclairé sa maison.

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    Alfred Jarry

    Alfred Jarry

    @alfredJarry

    Madrigal Ma fille — ma, car vous êtes à tous, Donc aucun d’eux ne fut valable maître, Dormez enfin, et fermons la fenêtre : La vie est close, et nous sommes chez nous. C’est un peu haut, le monde s’y termine Et l’absolu ne se peut plus nier ; Il est si grand de venir le dernier Puisque ce jour a lassé Messaline. Vous voici seule et d’oreilles et d’yeux, Tomber souvent désapprend de descendre. Le bruit terrestre est loin, comme la cendre Gît inconnue à l’encens bleu des dieux. Tel le clapotis des carpes nourries A Fontainebleau A des voix meurtries De baisers dans l’eau. Comment s’unit la double destinée? Tant que je n’eus point pris votre trottoir Vous étiez vierge et vous n’étiez point née, Comme un passé se noie en un miroir. La boue à peine a baisé la chaussure De votre pied infinitésimal Et c’est d’avoir mordu dans tout le mal Qui vous a fait une bouche si pure.

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    Alfred Jarry

    Alfred Jarry

    @alfredJarry

    Misère de l’homme L’homme est seul, l’homme est faible. Il doit, pour se nourrir, Asservissant le sol aux moissons réfractaire, Diriger la charrue et cultiver la terre, Sinon, le pain lui manque, et l’homme doit mourir. Il ensemence un champ, et le blé salutaire Germe dans les sillons qu’il commence à couvrir. Mais le soleil ardent fane et fait se flétrir Chaque épi mûrissant, qui se courbe et s’altère. Ou la grêle s’abat et fauche la moisson ; Ou la gelée arrive, et suspend un glaçon A chaque grain de blé qui tremble au bout du chaume. Tout est perdu, tout est anéanti. Mais l’homme, S’il ne meurt de la faim, trouve la mort auprès Des fauves monstrueux qui hantent les forêts.

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    A

    Alix Lerman Enriquez

    @alixLermanEnriquez

    Corps et plaintes Le vent grinçant entre les plinthes des portes, faisait entrer la pluie et la plainte d’un ciel gris. A l’aube, offrait à la nuit glacée percée d’étoiles le jour parcheminé de plaies et des fruits rouges de solitude. Jour balafré de mes blessures de corps et de cœur offerts à tous les vents. Corps brisé, tatoué d’opérations à cœur ouvert qui entendait la plainte des corbeaux dans le soir, qui attendait sa délivrance nue au dessus d’un ciel de suie perforé de silence et de nuit.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    À une jeune fille poète Quand, assise le soir au bord de ta fenêtre, Devant un coin du ciel qui brille entre les toits, L’aiguille matinale a fatigué tes doigts, Et que ton front comprime une âme qui veut naître. Ta main laisse échapper le lin brodé de fleurs Qui doit parer le front d’heureuses fiancées, Et, de peur de tacher ses teintes nuancées, Tes beaux yeux retiennent leurs pleurs. Sur les murs blancs et nus de ton modeste asile, Pauvre enfant, d’un coup d’œil tout ton destin se lit : Un crucifix de bois au-dessus de ton lit, Un réséda jauni dans un vase d’argile, Sous tes pieds délicats la terre en froids carreaux, Et, près du pain du jour que la balance pèse, Pour ton festin du soir le raisin ou la fraise Que partagent tes passereaux ! Tes mains sur tes genoux un moment se délassent : Puis tu vas t’accouder sur le fer du balcon Où le pampre grimpant, le lierre au noir flocon, A tes cheveux épars, amoureux, s’entrelacent ; Tu verses l’eau de source à ton pâle rosier, Tu gazouilles son air à ton oiseau fidèle Qui becqueté ta lèvre en palpitant de l’aile A travers les barreaux d’osier. Tu contemples le ciel que le soir décoloré, Quelque dôme lointain de lumière écumant, Ou plus haut, seule au fond du vide firmament, L’étoile, comme toi, que Dieu seul voit éclore ; L’odeur des champs en fleurs monte à ton haut séjour, Le vent fait ondoyer tes boucles sur ta tempe ; La nuit ferme le ciel, tu rallumes ta lampe, Et le passé t’efface un jour !… Cependant le bruit monte et la ville respire : L’heure sonne, appelant tout un monde au plaisir ; Dans chaque son confus que ton cœur croit saisir, C’est le bonheur qui vibre ou l’amour qui respire. Les chars grondent en bas et font frissonner l’air ; Comme des dois pressés dans le lit des tempêtes, Ils passent emportant les heureux à leurs fêtes, Laissant sous la roue un éclair. Ceux-là versent au seuil de la scène ravie Cette foule attirée au vent des passions, Et qui veut aspirer d’autres sensations Pour oublier le jour et pour doubler la vie ; Ceux-là rentrent des champs, sur de pliants aciers Berçant les maîtres las d’ombrage et de murmure, Des fleurs sur les coussins, des festons de verdure Enlacés aux crins des coursiers. La musique du bal sort des salles sonores, Sous les pas des danseurs l’air ébranlé frémit, Dans des milliers de voix le chœur chante ou gémit, La ville aspire et rend le bruit par tous les pores. Le long des murs dans l’ombre on entend retentir Des pas aussi nombreux que des gouttes de pluie, Pas indécis d’amant, où l’amante s’appuie Et pèse pour le ralentir. Le front dans tes deux mains, pensive, tu te penches : L’imagination te peint de verts coteaux Tout résonnants du bruit des forets et des eaux, Où s’éteint un beau soir sur des chaumières blanches ; Des sources aux flots bleus voilés de liserons ; Des prés où, quand le pied dans la grande herbe nage, Chaque pas aux genoux fait monter un nuage D’étamine et de moucherons ; Des vents sur les guérets, ces immenses coups d’ailes Qui donnent aux épis leurs sonores frissons ; L’aubépine neigeant sur les nids des buissons, Les verts étangs rasés du vol des hirondelles ; Les vergers allongeant leur grande ombre du soir, Les foyers des hameaux ravivant leurs lumières, Les arbres morts couchés près du seuil des chaumières, Où les couples viennent s’asseoir ; Ces conversations à voix que l’amour brise, Où le mot commencé s’arrête et se repent, Où l’avide bonheur que le doute suspend S’envole après l’aveu que lui ravit la brise ; Ces danses où, l’amant prenant l’amante au vol, Dans le ciel qui s’entr’ouvre elle croit fuir en rêve. Entre le bond léger qui du gazon l’enlève Et son pied qui retombe au sol ! Sous la tente de soie ou dans ton nid de feuille Tu vois rentrer le soir, altéré de tes yeux, Un jeune homme au front mâle, au regard studieux. Votre bonheur tardif dans l’ombre se recueille : Ton épaule s’appuie à celle de l’époux ; Sous son front déridé ton front nu se renverse ; Son œil luit dans ton œil, pendant que ton pied berce Un enfant blond sur tes genoux ! De tes yeux dessillés quand ce voile retombe, Tu sens ta joue humide et tes mains pleines d’eau ; Les murs de ce réduit où flottait ce tableau Semblent se rapprocher pour voûter une tombe ; Ta lampe y jette à peine un reste de clarté, Sous tes beaux pieds d’enfant tes parures s’écoulent, Et tes cheveux épars et les ombres déroulent Leurs ténèbres sur ta beauté. Cependant le temps fuit, la jeunesse s’écoule ; Tes beaux yeux sont cernés d’un rayon de pâleur, Des roses sans soleil ton teint prend la couleur ; Sur ton cœur amaigri ton visage se moule ; Ta lèvre a replié le sourire ; ta voix A perdu cette note où le bonheur tressaille ; Des airs lents et plaintifs mesurent maille à maille Le lin qui grandit sous tes doigts. Eh quoi ! ces jours passés dans un labeur vulgaire A gagner miette à miette un pain trempé de fiel, Cet espace sans air, cet horizon sans ciel, Ces amours s’envolant au son d’un vil salaire, Ces désirs refoulés dans un sein étouffant, Ces baisers, de ton front chassés comme une mouche Qui bourdonne l’été sur les coins de ta bouche, C’est donc là vivre, ô belle enfant ! Nul ne verra briller cette étoile nocturne ! Nul n’entendra chanter ce muet rossignol ! Nul ne respirera ces haleines du sol Que la fleur du désert laisse mourir dans l’urne ! Non, Dieu ne brise pas sous ses fruits immortels L’arbre dont le génie a fait courber la tige ; Ce qu’oublia le temps, ce que l’homme néglige, Il le réserve à ses autels ! Ce qui meurt dans les airs, c’est le ciel qui l’aspire : Les anges amoureux recueillent flots à flots Cette vie écoulée en stériles sanglots ; Leur aile emporte ailleurs ce que ta voix soupire De ces langueurs de l’âme où gémit ton destin, De tes pleurs sur ta joue, hélas ! jamais cueillies, De ces espoirs trompés, et ces mélancolies, Qui pâlissent ion pur matin. Ils composent tes chants, mélodieux murmure Qui s’échappe du cœur par le cœur répondu, Comme l’arbre d’encens que le fer a fendu Verse en baume odorant le sang de sa blessure ! Aux accords du génie, à ces divins concerts, Ils mêlent étonnés ces pleurs de jeune fille Qui tombent de ses yeux et baignent son aiguille, Et tous les soupirs sont des vers ! Savent-ils seulement si le monde l’écoute ? Si l’indigence énerve un génie inconnu ? Si le céleste encens au foyer contenu Avec l’eau de ses yeux dans l’argile s’égoutte ? Qu’importe aux voix du ciel l’humble écho d’ici-bas ? Les plus divins accords qui montent de la terre Sont les élans muets de l’âme solitaire, Que le vent même n’entend pas. Non, je n’ai jamais vu la pâle giroflée, Fleurissant au sommet de quelque vieille tour Que bat le vent du Nord ou l’aile du vautour, Incliner sur le mur sa tige échevelée ; Non, je n’ai jamais vu la stérile beauté, Pâlissant sous ses pleurs sa fleur décolorée, S’exhaler sans amour et mourir ignorée, Sans croire à l’immortalité ! Passe donc tes doigts blancs sur tes yeux, jeune fille, Et laisse évaporer ta vie avec tes chants ! Le souffle du Très-Haut sur chaque herbe des champs Cueille la perle d’or où l’aurore scintille ; Toute vie est un flot de la mer de douleurs ; Leur amertume un jour sera ton ambroisie : Car l’urne de la gloire et de la poésie Ne se remplit que de nos pleurs ! Saint-Point, 24 août 1838.

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    Alphonse de Lamartine

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    Dieu Oui, mon âme se plaît à secouer ses chaînes : Déposant le fardeau des misères humaines, Laissant errer mes sens dans ce monde des corps, Au monde des esprits je monte sans efforts. Là, foulant à mes pieds cet univers visible, Je plane en liberté dans les champs du possible, Mon âme est à l’étroit dans sa vaste prison : Il me faut un séjour qui n’ait pas d’horizon. Comme une goutte d’eau dans l’Océan versée, L’infini dans son sein absorbe ma pensée ; Là, reine de l’espace et de l’éternité, Elle ose mesurer le temps, l’immensité, Aborder le néant, parcourir l’existence, Et concevoir de Dieu l’inconcevable essence. Mais sitôt que je veux peindre ce que je sens, Toute parole expire en efforts impuissants. Mon âme croit parler, ma langue embarrassée Frappe l’air de vingt sons, ombre de ma pensée. Dieu fit pour les esprits deux langages divers : En sons articulés l’un vole dans les airs ; Ce langage borné s’apprend parmi les hommes, Il suffit aux besoins de l’exil où nous sommes, Et, suivant des mortels les destins inconstants Change avec les climats ou passe avec les temps. L’autre, éternel, sublime, universel, immense, Est le langage inné de toute intelligence : Ce n’est point un son mort dans les airs répandu, C’est un verbe vivant dans le coeur entendu ; On l’entend, on l’explique, on le parle avec l’âme ; Ce langage senti touche, illumine, enflamme; De ce que l’âme éprouve interprètes brûlants, Il n’a que des soupirs, des ardeurs, des élans ; C’est la langue du ciel que parle la prière, Et que le tendre amour comprend seul sur la terre. Aux pures régions où j’aime à m’envoler, L’enthousiasme aussi vient me la révéler. Lui seul est mon flambeau dans cette nuit profonde, Et mieux que la raison il m’explique le monde. Viens donc ! Il est mon guide, et je veux t’en servir. A ses ailes de feu, viens, laisse-toi ravir ! Déjà l’ombre du monde à nos regards s’efface, Nous échappons au temps, nous franchissons l’espace. Et dans l’ordre éternel de la réalité, Nous voilà face à face avec la vérité ! Cet astre universel, sans déclin, sans aurore, C’est Dieu, c’est ce grand tout, qui soi-même s’adore ! Il est ; tout est en lui : l’immensité, les temps, De son être infini sont les purs éléments ; L’espace est son séjour, l’éternité son âge ; Le jour est son regard, le monde est son image ; Tout l’univers subsiste à l’ombre de sa main ; L’être à flots éternels découlant de son sein, Comme un fleuve nourri par cette source immense, S’en échappe, et revient finir où tout commence. Sans bornes comme lui ses ouvrages parfaits Bénissent en naissant la main qui les a faits ! Il peuple l’infini chaque fois qu’il respire ; Pour lui, vouloir c’est faire, exister c’est produire ! Tirant tout de soi seul, rapportant tout à soi, Sa volonté suprême est sa suprême loi ! Mais cette volonté, sans ombre et sans faiblesse, Est à la fois puissance, ordre, équité, sagesse. Sur tout ce qui peut être il l’exerce à son gré ; Le néant jusqu’à lui s’élève par degré : Intelligence, amour, force, beauté, jeunesse, Sans s’épuiser jamais, il peut donner sans cesse, Et comblant le néant de ses dons précieux, Des derniers rangs de l’être il peut tirer des dieux ! Mais ces dieux de sa main, ces fils de sa puissance, Mesurent d’eux à lui l’éternelle distance, Tendant par leur nature à l’être qui les fit; Il est leur fin à tous, et lui seul se suffit ! Voilà, voilà le Dieu que tout esprit adore, Qu’Abraham a servi, que rêvait Pythagore, Que Socrate annonçait, qu’entrevoyait Platon ; Ce Dieu que l’univers révèle à la raison, Que la justice attend, que l’infortune espère, Et que le Christ enfin vint montrer à la terre ! Ce n’est plus là ce Dieu par l’homme fabriqué, Ce Dieu par l’imposture à l’erreur expliqué, Ce Dieu défiguré par la main des faux prêtres, Qu’adoraient en tremblant nos crédules ancêtres. Il est seul, il est un, il est juste, il est bon ; La terre voit son oeuvre, et le ciel sait son nom ! Heureux qui le connaît ! plus heureux qui l’adore ! Qui, tandis que le monde ou l’outrage ou l’ignore, Seul, aux rayons pieux des lampes de la nuit, S’élève au sanctuaire où la foi l’introduit Et, consumé d’amour et de reconnaissance, Brûle comme l’encens son âme en sa présence ! Mais pour monter à lui notre esprit abattu Doit emprunter d’en haut sa force et sa vertu. Il faut voler au ciel sur des ailes de flamme : Le désir et l’amour sont les ailes de l’âme. Ah ! que ne suis-je né dans l’âge où les humains, Jeunes, à peine encore échappés de ses mains, Près de Dieu par le temps, plus près par l’innocence, Conversaient avec lui, marchaient en sa présence ? Que n’ai-je vu le monde à son premier soleil ? Que n’ai-je entendu l’homme à son premier réveil ? Tout lui parlait de toi, tu lui parlais toi-même ; L’univers respirait ta majesté suprême ; La nature, sortant des mains du Créateur, Etalait en tous sens le nom de son auteur; Ce nom, caché depuis sous la rouille des âges, En traits plus éclatants brillait sur tes Ouvrages ; L’homme dans le passé ne remontait qu’à toi ; Il invoquait son père, et tu disais : C’est moi. Longtemps comme un enfant ta voix daigna l’instruire, Et par la main longtemps tu voulus le conduire. Que de fois dans ta gloire à lui tu t’es montré, Aux vallons de Sennar, aux chênes de Membré, Dans le buisson d’Horeb, ou sur l’auguste cime Où Moïse aux Hébreux dictait sa loi sublime ! Ces enfants de Jacob, premiers-nés des humains, Reçurent quarante ans la manne de tes mains Tu frappais leur esprit par tes vivants oracles ! Tu parlais à leurs yeux par la voix des miracles ! Et lorsqu’ils t’oubliaient, tes anges descendus Rappelaient ta mémoire à leurs coeurs éperdus ! Mais enfin, comme un fleuve éloigné de sa source, Ce souvenir si pur s’altéra dans sa course ! De cet astre vieilli la sombre nuit des temps Eclipsa par degrés les rayons éclatants ; Tu cessas de parler; l’oubli, la main des âges, Usèrent ce grand nom empreint dans tes ouvrages ; Les siècles en passant firent pâlir la foi ; L’homme plaça le doute entre le monde et toi. Oui, ce monde, Seigneur, est vieilli pour ta gloire ; Il a perdu ton nom, ta trace et ta mémoire Et pour les retrouver il nous faut, dans son cours, Remonter flots à flots le long fleuve des jours ! Nature ! firmament ! l’oeil en vain vous contemple ; Hélas ! sans voir le Dieu, l’homme admire le temple, Il voit, il suit en vain, dans les déserts des cieux, De leurs mille soleils le cours mystérieux ! Il ne reconnaît plus la main qui les dirige ! Un prodige éternel cesse d’être un prodige ! Comme ils brillaient hier, ils brilleront demain ! Qui sait où commença leur glorieux chemin ? Qui sait si ce flambeau, qui luit et qui féconde, Une première fois s’est levé sur le monde ? Nos pères n’ont point vu briller son premier tour Et les jours éternels n’ont point de premier jour. Sur le monde moral, en vain ta providence, Dans ces grands changements révèle ta présence ! C’est en vain qu’en tes jeux l’empire des humains Passe d’un sceptre à l’autre, errant de mains en mains ; Nos yeux accoutumés à sa vicissitude Se sont fait de ta gloire une froide habitude ; Les siècles ont tant vu de ces grands coups du sort : Le spectacle est usé, l’homme engourdi s’endort. Réveille-nous, grand Dieu ! parle et change le monde ; Fais entendre au néant ta parole féconde. Il est temps ! lève-toi ! sors de ce long repos ; Tire un autre univers de cet autre chaos. A nos yeux assoupis il faut d’autres spectacles ! A nos esprits flottants il faut d’autres miracles ! Change l’ordre des cieux qui ne nous parle plus ! Lance un nouveau soleil à nos yeux éperdus ! Détruis ce vieux palais, indigne de ta gloire ; Viens ! montre-toi toi-même et force-nous de croire ! Mais peut-être, avant l’heure où dans les cieux déserts Le soleil cessera d’éclairer l’univers, De ce soleil moral la lumière éclipsée Cessera par degrés d’éclairer la pensée ; Et le jour qui verra ce grand flambeau détruit Plongera l’univers dans l’éternelle nuit. Alors tu briseras ton inutile ouvrage : Ses débris foudroyés rediront d’âge en âge : Seul je suis ! hors de moi rien ne peut subsister ! L’homme cessa de croire, il cessa d’exister !

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    Alphonse de Lamartine

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    Eternité de la nature, brièveté de l’homme Roulez dans vos sentiers de flamme, Astres, rois de l’immensité ! Insultez, écrasez mon âme Par votre presque éternité ! Et vous, comètes vagabondes, Du divin océan des mondes Débordement prodigieux, Sortez des limites tracées, Et révélez d’autres pensées De celui qui pensa les cieux ! Triomphe, immortelle nature ! A qui la main pleine de jours Prête des forces sans mesure, Des temps qui renaissent toujours ! La mort retrempe ta puissance, Donne, ravis, rends l’existence A tout ce qui la puise en toi ; Insecte éclos de ton sourire, Je nais, je regarde et j’expire, Marche et ne pense plus à moi ! Vieil océan, dans tes rivages Flotte comme un ciel écumant, Plus orageux que les nuages, Plus lumineux qu’un firmament ! Pendant que les empires naissent, Grandissent, tombent, disparaissent Avec leurs générations, Dresse tes bouillonnantes crêtes, Bats ta rive! et dis aux tempêtes : Où sont les nids des nations ? Toi qui n’es pas lasse d’éclore Depuis la naissance des jours. Lève-toi, rayonnante aurore, Couche-toi, lève-toi toujours! Réfléchissez ses feux sublimes, Neiges éclatantes des cimes, Où le jour descend comme un roi ! Brillez, brillez pour me confondre, Vous qu’un rayon du jour peut fondre, Vous subsisterez plus que moi ! Et toi qui t’abaisse et t’élève Comme la poudre des chemins, Comme les vagues sûr la grève, Race innombrable des humains, Survis au temps qui me consume, Engloutis-moi dans ton écume, Je sens moi-même mon néant, Dans ton sein qu’est-ce qu’une vie ? Ce qu’est une goutte de pluie Dans les bassins de l’océan ! Vous mourez pour renaître encore, Vous fourmillez dans vos sillons ! Un souffle du soir à l’aurore Renouvelle vos tourbillons! Une existence évanouie Ne fait pas baisser d’une vie Le flot de l’être toujours plein; Il ne vous manque quand j’expire Pas plus qu’à l’homme qui respire Ne manque un souffle de son sein ! Vous allez balayer ma cendre ; L’homme ou l’insecte en renaîtra ! Mon nom brûlant de se répandre Dans le nom commun se perdra ; Il fut! voilà tout! bientôt même L’oubli couvre ce mot suprême, Un siècle ou deux l’auront vaincu ! Mais vous ne pouvez, à nature ! Effacer une créature ; Je meurs! qu’importe ? j’ai vécu ! Dieu m’a vu ! le regard de vie S’est abaissé sur mon néant, Votre existence rajeunie A des siècles, j’eus mon instant ! Mais dans la minute qui passe L’infini de temps et d’espace Dans mon regard s’est répété ! Et j’ai vu dans ce point de l’être La même image m’apparaître Que vous dans votre immensité ! Distances incommensurables, Abîmes des monts et des cieux, Vos mystères inépuisables Se sont révélés à mes yeux ! J’ai roulé dans mes voeux sublimes Plus de vagues que tes abîmes N’en roulent, à mer en courroux ! Et vous, soleils aux yeux de flamme, Le regard brûlant de mon âme S’est élevé plus haut que vous ! De l’être universel, unique, La splendeur dans mon ombre a lui, Et j’ai bourdonné mon cantique De joie et d’amour devant lui ! Et sa rayonnante pensée Dans la mienne s’est retracée, Et sa parole m’a connu ! Et j’ai monté devant sa face, Et la nature m’a dit : Passe : Ton sort est sublime, il t’a vu! Vivez donc vos jours sans mesure ! Terre et ciel! céleste flambeau ! Montagnes, mers, et toi, nature, Souris longtemps sur mon tombeau ! Effacé du livre de vie, Que le néant même m’oublie! J’admire et ne suis point jaloux ! Ma pensée a vécu d’avance Et meurt avec une espérance Plus impérissable que vous !

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    Alphonse de Lamartine

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    La poésie sacrée Son front est couronné de palmes et d’étoiles; Son regard immortel, que rien ne peut ternir, Traversant tous les temps, soulevant tous les voiles, Réveille le passé, plonge dans l’avenir! Du monde sous ses yeux ses fastes se déroulent, Les siècles à ses pieds comme un torrent s’écoulent; A son gré descendant ou remontant leurs cours, Elle sonne aux tombeaux l’heure, l’heure fatale, Ou sur sa lyre virginale Chante au monde vieilli ce jour, père des jours! —— Ecoutez! – Jéhova s’élance Du sein de son éternité. Le chaos endormi s’éveille en sa présence, Sa vertu le féconde, et sa toute-puissance Repose sur l’immensité! Dieu dit, et le jour fut; Dieu dit, et les étoiles De la nuit éternelle éclaircirent les voiles; Tous les éléments divers A sa voix se séparèrent; Les eaux soudain s’écoulèrent Dans le lit creusé des mers; Les montagnes s’élevèrent, Et les aquilons volèrent Dans les libres champs des airs! Sept fois de Jéhova la parole féconde Se fit entendre au monde, Et sept fois le néant à sa voix répondit; Et Dieu dit : Faisons l’homme à ma vivante image. Il dit, l’homme naquit; à ce dernier ouvrage Le Verbe créateur s’arrête et s’applaudit! —— Mais ce n’est plus un Dieu! – C’est l’homme qui soupire Eden a fui!… voilà le travail et la mort! Dans les larmes sa voix expire; La corde du bonheur se brise sur sa lyre, Et Job en tire un son triste comme le sort. —— Ah! périsse à jamais le jour qui m’a vu naître! Ah! périsse à jamais la nuit qui m’a conçu! Et le sein qui m’a donné l’être, Et les genoux qui m’ont reçu! Que du nombre des jours Dieu pour jamais l’efface; Que, toujours obscurci des ombres du trépas, Ce jour parmi les jours ne trouve plus sa place, Qu’il soit comme s’il n’était pas! Maintenant dans l’oubli je dormirais encore, Et j’achèverais mon sommeil Dans cette longue nuit qui n’aura point d’aurore, Avec ces conquérants que la terre dévore, Avec le fruit conçu qui meurt avant d’éclore Et qui n’a pas vu le soleil. Mes jours déclinent comme l’ombre; Je voudrais les précipiter. O mon Dieu! retranchez le nombre Des soleils que je dois compter! L’aspect de ma longue infortune Eloigne, repousse, importune Mes frères lassés de mes maux; En vain je m’adresse à leur foule, Leur pitié m’échappe et s’écoule Comme l’onde au flanc des coteaux. Ainsi qu’un nuage qui passe, Mon printemps s’est évanoui; Mes yeux ne verront plus la trace De tous ces biens dont j’ai joui. Par le souffle de la colère, Hélas! arraché à la terre, Je vais d’où l’on ne revient pas! Mes vallons, ma propre demeure, Et cet oeil même qui me pleure, Ne reverront jamais mes pas! L’homme vit un jour sur la terre Entre la mort et la douleur; Rassasié de sa misère, Il tombe enfin comme la fleur; Il tombe! Au moins par la rosée Des fleurs la racine arrosée Peut-elle un moment refleurir! Mais l’homme, hélas!, après la vie, C’est un lac dont l’eau s’est enfuie : On le cherche, il vient de tarir. Mes jours fondent comme la neige Au souffle du courroux divin; Mon espérance, qu’il abrège, S’enfuit comme l’eau de ma main; Ouvrez-moi mon dernier asile; Là, j’ai dans l’ombre un lit tranquille, Lit préparé pour mes douleurs! O tombeau! vous êtes mon père! Et je dis aux vers de la terre : Vous êtes ma mère et mes sœurs! Mais les jours heureux de l’impie Ne s’éclipsent pas au matin; Tranquille, il prolonge sa vie Avec le sang de l’orphelin! Il étend au loin ses racines; Comme un troupeau sur les collines, Sa famille couvre Ségor; Puis dans un riche mausolée Il est couché dans la vallée, Et l’on dirait qu’il vit encor. C’est le secret de Dieu, je me tais et l’adore! C’est sa main qui traça les sentiers de l’aurore, Qui pesa l’Océan, qui suspendit les cieux! Pour lui, l’abîme est nu, l’enfer même est sans voiles! Il a fondé la terre et semé les étoiles! Et qui suis-je à ses yeux? —— Mais la harpe a frémi sous les doigts d’Isaïe; De son sein bouillonnant la menace à longs flots S’échappe; un Dieu l’appelle, il s’élance, il s’écrie : Cieux et terre, écoutez! silence au fils d’Amos! —— Osias n’était plus : Dieu m’apparut; je vis Adonaï vêtu de gloire et d’épouvante! Les bords éblouissants de sa robe flottante Remplissaient le sacré parvis! Des séraphins debout sur des marches d’ivoire Se voilaient devant lui de six ailes de feux; Volant de l’un à l’autre, ils se disaient entre eux : Saint, saint, saint, le Seigneur, le Dieu, le roi des dieux! Toute la terre est pleine de sa gloire! Du temple à ces accents la voûte s’ébranla, Adonaï s’enfuit sous la nue enflammée : Le saint lieu fut rempli de torrents de fumée. La terre sous mes pieds trembla! Et moi! je resterais dans un lâche silence! Moi qui t’ai vu, Seigneur, je n’oserais parler! A ce peuple impur qui t’offense Je craindrais de te révéler! Qui marchera pour nous? dit le Dieu des armées. Qui parlera pour moi? dit Dieu : Qui? moi, Seigneur! Touche mes lèvres enflammées! Me voilà! je suis prêt!… malheur! Malheur à vous qui dès l’aurore Respirez les parfums du vin! Et que le soir retrouve encore Chancelants aux bords du festin! Malheur à vous qui par l’usure Etendez sans fin ni mesure La borne immense de vos champs! Voulez-vous donc, mortels avides, Habiter dans vos champs arides, Seuls, sur la terre des vivants? Malheur à vous, race insensée! Enfants d’un siècle audacieux, Qui dites dans votre pensée : Nous sommes sages à nos yeux : Vous changez ma nuit en lumière, Et le jour en ombre grossière Où se cachent vos voluptés! Mais, comme un taureau dans la plaine, Vous traînez après vous la chaîne Des vos longues iniquités! Malheur à vous, filles de l’onde! Iles de Sydon et de Tyr! Tyrans! qui trafiquez du monde Avec la pourpre et l’or d’Ophyr! Malheur à vous! votre heure sonne! En vain l’Océan vous couronne, Malheur à toi, reine des eaux, A toi qui, sur des mers nouvelles, Fais retentir comme des ailes Les voiles de mille vaisseaux! Ils sont enfin venus les jours de ma justice; Ma colère, dit Dieu, se déborde sur vous! Plus d’encens, plus de sacrifice Qui puisse éteindre mon courroux! Je livrerai ce peuple à la mort, au carnage; Le fer moissonnera comme l’herbe sauvage Ses bataillons entiers! – Seigneur! épargnez-nous! Seigneur! – Non, point de trêve, Et je ferai sur lui ruisseler de mon glaive Le sang de ses guerriers! Ses torrents sécheront sous ma brûlante haleine; Ma main nivellera, comme une vaste plaine, Ses murs et ses palais; Le feu les brûlera comme il brûle le chaume. Là, plus de nation, de ville, de royaume; Le silence à jamais! Ses murs se couvriront de ronces et d’épines; L’hyène et le serpent peupleront ses ruines; Les hiboux, les vautours, L’un l’autre s’appelant durant la nuit obscure, Viendront à leurs petits porter la nourriture Au sommet de ses tours! —— Mais Dieu ferme à ces mots les lèvres d’Isaïe; Le sombre Ezéchiel Sur le tronc desséché de l’ingrat Israël Fait descendre à son tour la parole de vie. —— L’Eternel emporta mon esprit au désert : D’ossements desséchés le sol était couvert; J’approche en frissonnant; mais Jéhova me crie : Si je parle à ces os, reprendront-ils la vie? – Eternel, tu le sais! – Eh bien! dit le Seigneur, Ecoute mes accents! retiens-les et dis-leur : Ossements desséchés! insensible poussière! Levez-vous! recevez l’esprit et la lumière! Que vos membres épars s’assemblent à ma voix! Que l’esprit vous anime une seconde fois! Qu’entre vos os flétris vos muscles se replacent! Que votre sang circule et vos nerfs s’entrelacent! Levez-vous et vivez, et voyez qui je suis! J’écoutai le Seigneur, j’obéis et je dis : Esprits, soufflez sur eux du couchant, de l’aurore; Soufflez de l’aquilon, soufflez!… Pressés d’éclore, Ces restes du tombeau, réveillés par mes cris, Entrechoquent soudain leurs ossements flétris; Aux clartés du soleil leur paupière se rouvre, Leurs os sont rassemblés, et la chair les recouvre! Et ce champ de la mort tout entier se leva, Redevint un grand peuple, et connut Jéhova! —— Mais Dieu de ses enfants a perdu la mémoire; La fille de Sion, méditant ses malheurs, S’assied en soupirant, et, veuve de sa gloire, Ecoute Jérémie, et retrouve des pleurs. —— Le seigneur, m’accablant du poids de sa colère, Retire tour à tour et ramène sa main; Vous qui passez par le chemin, Est-il une misère égale à ma misère? En vain ma voix s’élève, il n’entend plus ma voix; Il m’a choisi pour but de ses flèches de flamme, Et tout le jour contre mon âme Sa fureur a lancé les fils de son carquois! Sur mes os consumés ma peau s’est desséchée; Les enfants m’ont chanté dans leurs dérisions; Seul, au milieu des nations, Le Seigneur m’a jeté comme une herbe arrachée. Il s’est enveloppé de son divin courroux; Il a fermé ma route, il a troublé ma voie; Mon sein n’a plus connu la joie, Et j’ai dit au Seigneur : Seigneur, souvenez-vous, Souvenez-vous, Seigneur, de ces jours de colère; Souvenez-vous du fiel dont vous m’avez nourri; Non, votre amour n’est point tari : Vous me frappez, Seigneur, et c’est pourquoi j’espère. Je repasse en pleurant ces misérables jours; J’ai connu le Seigneur dès ma plus tendre aurore : Quand il punit, il aime encore; Il ne s’est pas, mon âme, éloigné pour toujours. Heureux qui le connaît! heureux qui dès l’enfance Porta le joug d’un Dieu, clément dans sa rigueur! Il croit au salut du Seigneur, S’assied au bord du fleuve et l’attend en silence. Il sent peser sur lui ce joug de votre amour; Il répand dans la nuit ses pleurs et sa prière, Et la bouche dans la poussière, Il invoque, il espère, il attend votre jour. —— Silence, ô lyre! et vous silence, Prophètes, voix de l’avenir! Tout l’univers se tait d’avance Devant celui qui doit venir! Fermez-vous, lèvres inspirées; Reposez-vous, harpes sacrées, Jusqu’au jour où sur les hauts lieux Une voix au monde inconnue, Fera retentir dans la nue : PAIX A LA TERRE, ET GLOIRE AUX CIEUX!

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Le désespoir Lorsque du Créateur la parole féconde, Dans une heure fatale, eut enfanté le monde Des germes du chaos, De son oeuvre imparfaite il détourna sa face, Et d’un pied dédaigneux le lançant dans l’espace, Rentra dans son repos. Va, dit-il, je te livre à ta propre misère ; Trop indigne à mes yeux d’amour ou de colère, Tu n’es rien devant moi. Roule au gré du hasard dans les déserts du vide ; Qu’à jamais loin de moi le destin soit ton guide, Et le Malheur ton roi. Il dit. Comme un vautour qui plonge sur sa proie, Le Malheur, à ces mots, pousse, en signe de joie, Un long gémissement ; Et pressant l’univers dans sa serre cruelle, Embrasse pour jamais de sa rage éternelle L’éternel aliment. Le mal dès lors régna dans son immense empire ; Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire Commença de souffrir ; Et la terre, et le ciel, et l’âme, et la matière, Tout gémit : et la voix de la nature entière Ne fut qu’un long soupir. Levez donc vos regards vers les célestes plaines, Cherchez Dieu dans son oeuvre, invoquez dans vos peines Ce grand consolateur, Malheureux ! sa bonté de son oeuvre est absente, Vous cherchez votre appui ? l’univers vous présente Votre persécuteur. De quel nom te nommer, ô fatale puissance ? Qu’on t’appelle destin, nature, providence, Inconcevable loi ! Qu’on tremble sous ta main, ou bien qu’on la blasphème, Soumis ou révolté, qu’on te craigne ou qu’on t’aime, Toujours, c’est toujours toi ! Hélas ! ainsi que vous j’invoquai l’espérance ; Mon esprit abusé but avec complaisance Son philtre empoisonneur ; C’est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes, De festons et de fleurs couronne les victimes Qu’elle livre au Malheur. Si du moins au hasard il décimait les hommes, Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes Avec d’égales lois ? Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes, La beauté, le génie, ou les vertus sublimes, Victimes de son choix. Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices Des troupeaux innocents les sanglantes prémices, Dans leurs temples cruels, De cent taureaux choisis on formait l’hécatombe, Et l’agneau sans souillure, ou la blanche colombe Engraissaient leurs autels. Créateur, Tout-Puissant, principe de tout être ! Toi pour qui le possible existe avant de naître : Roi de l’immensité, Tu pouvais cependant, au gré de ton envie, Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie Dans ton éternité ? Sans t’épuiser jamais, sur toute la nature Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure Un bonheur absolu. L’espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte. Ah! ma raison frémit ; tu le pouvais sans doute, Tu ne l’as pas voulu. Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ? L’insensible néant t’a-t-il demandé l’être, Ou l’a-t-il accepté ? Sommes-nous, ô hasard, l’oeuvre de tes caprices ? Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices Pour ta félicité ? Montez donc vers le ciel, montez, encens qu’il aime, Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème, Plaisirs, concerts divins ! Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles, Montez, allez frapper les voûtes insensibles Du palais des destins ! Terre, élève ta voix; cieux, répondez ; abîmes, Noirs séjours où la mort entasse ses victimes, Ne formez qu’un soupir. Qu’une plainte éternelle accuse la nature, Et que la douleur donne à toute créature Une voix pour gémir. Du jour où la nature, au néant arrachée, S’échappa de tes mains comme une oeuvre ébauchée, Qu’as-tu vu cependant ? Aux désordres du mal la matière asservie, Toute chair gémissant, hélas! et toute vie Jalouse du néant. Des éléments rivaux les luttes intestines ; Le Temps, qui flétrit tout, assis sur les ruines Qu’entassèrent ses mains, Attendant sur le seuil tes oeuvres éphémères ; Et la mort étouffant, dès le sein de leurs mères, Les germes des humains ! La vertu succombant sous l’audace impunie, L’imposture en honneur, la vérité bannie ; L’errante liberté Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice ; Et la force, partout, fondant de l’injustice Le règne illimité. La valeur sans les dieux décidant des batailles ! Un Caton libre encor déchirant ses entrailles Sur la foi de Platon ! Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu’il aime, Doute au dernier moment de cette vertu même, Et dit : Tu n’es qu’un nom !… La fortune toujours du parti des grands crimes ! Les forfaits couronnés devenus légitimes ! La gloire au prix du sang ! Les enfants héritant l’iniquité des pères ! Et le siècle qui meurt racontant ses misères Au siècle renaissant ! Eh quoi ! tant de tourments, de forfaits, de supplices, N’ont-ils pas fait fumer d’assez de sacrifices Tes lugubres autels ? Ce soleil, vieux témoin des malheurs de la terre, Ne fera-t-il pas naître un seul jour qui n’éclaire L’angoisse des mortels ? Héritiers des douleurs, victimes de la vie, Non, non, n’espérez pas que sa rage assouvie Endorme le Malheur ! Jusqu’à ce que la Mort, ouvrant son aile immense, Engloutisse à jamais dans l’éternel silence L’éternelle douleur !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    L’homme À lord Byron Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom, Esprit mystérieux, mortel, ange, ou démon, Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie, J’aime de tes concerts la sauvage harmonie, Comme j’aime le bruit de la foudre et des vents Se mêlant dans l’orage à la voix des torrents ! La nuit est ton séjour, l’horreur est ton domaine : L’aigle, roi des déserts, dédaigne ainsi la plaine; Il ne veut, comme toi, que des rocs escarpés Que l’hiver a blanchis, que la foudre a frappés; Des rivages couverts des débris du naufrage, Ou des champs tout noircis des restes du carnage. Et, tandis que l’oiseau qui chante ses douleurs Bâtit au bord des eaux son nid parmi les fleurs, Lui, des sommets d’Athos franchit l’horrible cime, Suspend aux flancs des monts son aire sur l’abîme, Et là, seul, entouré de membres palpitants, De rochers d’un sang noir sans cesse dégouttants, Trouvant sa volupté dans les cris de sa proie, Bercé par la tempête, il s’endort dans sa joie. Et toi, Byron, semblable à ce brigand des airs, Les cris du désespoir sont tes plus doux concerts. Le mal est ton spectacle, et l’homme est ta victime. Ton oeil, comme Satan, a mesuré l’abîme, Et ton âme, y plongeant loin du jour et de Dieu, A dit à l’espérance un éternel adieu ! Comme lui, maintenant, régnant dans les ténèbres, Ton génie invincible éclate en chants funèbres; Il triomphe, et ta voix, sur un mode infernal, Chante l’hymne de gloire au sombre dieu du mal. Mais que sert de lutter contre sa destinée ? Que peut contre le sort la raison mutinée ? Elle n’a comme l’œil qu’un étroit horizon. Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison : Hors de là tout nous fuit, tout s’éteint, tout s’efface; Dans ce cercle borné Dieu t’a marqué ta place. Comment ? pourquoi ? qui sait ? De ses puissantes mains Il a laissé tomber le monde et les humains, Comme il a dans nos champs répandu la poussière, Ou semé dans les airs la nuit et la lumière; Il le sait, il suffit : l’univers est à lui, Et nous n’avons à nous que le jour d’aujourd’hui ! Notre crime est d’être homme et de vouloir connaître : Ignorer et servir, c’est la loi de notre être. Byron, ce mot est dur : longtemps j’en ai douté; Mais pourquoi reculer devant la vérité ? Ton titre devant Dieu c’est d’être son ouvrage ! De sentir, d’adorer ton divin esclavage; Dans l’ordre universel, faible atome emporté, D’unir à tes desseins ta libre volonté, D’avoir été conçu par son intelligence, De le glorifier par ta seule existence ! Voilà, voilà ton sort. Ah ! loin de l’accuser, Baise plutôt le joug que tu voudrais briser; Descends du rang des dieux qu’usurpait ton audace; Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place; Aux regards de celui qui fit l’immensité, L’insecte vaut un monde : ils ont autant coûté ! Mais cette loi, dis-tu, révolte ta justice; Elle n’est à tes yeux qu’un bizarre caprice, Un piège où la raison trébuche à chaque pas. Confessons-la, Byron, et ne la jugeons pas ! Comme toi, ma raison en ténèbres abonde, Et ce n’est pas à moi de t’expliquer le monde. Que celui qui l’a fait t’explique l’univers ! Plus je sonde l’abîme, hélas ! plus je m’y perds. Ici-bas, la douleur à la douleur s’enchaîne. Le jour succède au jour, et la peine à la peine. Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux; Soit que déshérité de son antique gloire, De ses destins perdus il garde la mémoire; Soit que de ses désirs l’immense profondeur Lui présage de loin sa future grandeur : Imparfait ou déchu, l’homme est le grand mystère. Dans la prison des sens enchaîné sur la terre, Esclave, il sent un cœur né pour la liberté; Malheureux, il aspire à la félicité; Il veut sonder le monde, et son œil est débile ; Il veut aimer toujours : ce qu’il aime est fragile ! Tout mortel est semblable à l’exilé d’Eden : Lorsque Dieu l’eut banni du céleste jardin, Mesurant d’un regard les fatales limites, Il s’assit en pleurant aux portes interdites. Il entendit de loin dans le divin séjour L’harmonieux soupir de l’éternel amour, Les accents du bonheur, les saints concerts des anges Qui, dans le sein de Dieu, célébraient ses louanges; Et, s’arrachant du ciel dans un pénible effort, Son oeil avec effroi retomba sur son sort. Malheur à qui du fond de l’exil de la vie Entendit ces concerts d’un monde qu’il envie ! Du nectar idéal sitôt qu’elle a goûté, La nature répugne à la réalité : Dans le sein du possible en songe elle s’élance; Le réel est étroit, le possible est immense; L’âme avec ses désirs s’y bâtit un séjour, Où l’on puise à jamais la science et l’amour; L’homme, altéré toujours, toujours se désaltère; Et, de songes si beaux enivrants son sommeil, Ne se reconnaît plus au moment du réveil. Hélas ! tel fut ton sort, telle est ma destinée. J’ai vidé comme toi la coupe empoisonnée; Mes yeux, comme les tiens, sans voir se sont ouverts; Jai cherché vainement le mot de l’univers. J’ai demandé sa cause à toute la nature, J’ai demandé sa fin à toute créature; Dans l’abîme sans fond mon regard a plongé; De l’atome au soleil, j’ai tout interrogé; J’ai devancé les temps, j’ai remonté les âges. Tantôt passant les mers pour écouter les sages, Mais le monde à l’orgueil est un livre fermé ! Tantôt, pour deviner le monde inanimé, Fuyant avec mon âme au sein de la nature, J’ai cru trouver un sens à cette langue obscure. J’étudiai la loi par qui roulent les cieux : Dans leurs brillants déserts Newton guida mes yeux, Des empires détruits je méditai la cendre : Dans ses sacrés tombeaux Rome m’a vu descendre; Des mânes les plus saints troublant le froid repos, J’ai pesé dans mes mains la cendre des héros. J’allais redemander à leur vaine poussière Cette immortalité que tout mortel espère ! Que dis-je ? suspendu sur le lit des mourants, Mes regards la cherchaient dans des yeux expirants; Sur ces sommets noircis par d’éternels nuages, Sur ces flots sillonnés par d’éternels orages, J’appelais, je bravais le choc des éléments. Semblable à la sybille en ses emportements, J’ai cru que la nature en ces rares spectacles Laissait tomber pour nous quelqu’un de ses oracles; J’aimais à m’enfoncer dans ces sombres horreurs. Mais en vain dans son calme, en vain dans ses fureurs, Cherchant ce grand secret sans pouvoir le surprendre, J’ai vu partout un Dieu sans jamais le comprendre ! J’ai vu le bien, le mal, sans choix et sans dessein, Tomber comme au hasard, échappés de son sein; Mes yeux dans l’univers n’ont vu qu’un grand peut-être, J’ai blasphémé ce Dieu, ne pouvant le connaître; Et ma voix, se brisant contre ce ciel d’airain, N’a pas même eu l’honneur d’arrêter le destin. Mais, un jour que, plongé dans ma propre infortune, J’avais lassé le ciel d’une plainte importune, Une clarté d’en haut dans mon sein descendit, Me tenta de bénir ce que j’avais maudit, Et, cédant sans combattre au souffle qui m’inspire, L’hymne de la raison s’élança de ma lyre. – « Gloire à toi, dans les temps et dans l’éternité ! Éternelle raison, suprême volonté ! Toi, dont l’immensité reconnaît la présence ! Toi, dont chaque matin annonce l’existence ! Ton souffle créateur s’est abaissé sur moi; Celui qui n’était pas a paru devant toi ! J’ai reconnu ta voix avant de me connaître, Je me suis élancé jusqu’aux portes de l’être : Me voici ! le néant te salue en naissant; Me voici ! mais que suis-je ? un atome pensant ! Qui peut entre nous deux mesurer la distance ? Moi, qui respire en toi ma rapide existence, A l’insu de moi-même à ton gré façonné, Que me dois-tu, Seigneur, quand je ne suis pas né ? Rien avant, rien après : Gloire à la fin suprême : Qui tira tout de soi se doit tout à soi-même ! Jouis, grand artisan, de l’œuvre de tes mains : Je suis, pour accomplir tes ordres souverains, Dispose, ordonne, agis; dans les temps, dans l’espace, Marque-moi pour ta gloire et mon jour et ma place; Mon être, sans se plaindre, et sans t’interroger, De soi-même, en silence, accourra s’y ranger. Comme ces globes d’or qui dans les champs du vide Suivent avec amour ton ombre qui les guide, Noyé dans la lumière, ou perdu dans la nuit, Je marcherai comme eux où ton doigt me conduit; Soit que choisi par toi pour éclairer les mondes, Réfléchissant sur eux les feux dont tu m’inondes, Je m’élance entouré d’esclaves radieux, Et franchisse d’un pas tout l’abîme des cieux; Soit que, me reléguant loin, bien loin de ta vue, Tu ne fasses de moi, créature inconnue, Qu’un atome oublié sur les bords du néant, Ou qu’un grain de poussière emporté par le vent, Glorieux de mon sort, puisqu’il est ton ouvrage, J’irai, j’irai partout te rendre un même hommage, Et, d’un égal amour accomplissant ma loi, Jusqu’aux bords du néant murmurer : Gloire à toi ! – « Ni si haut, ni si bas ! simple enfant de la terre, Mon sort est un problème, et ma fin un mystère; Je ressemble, Seigneur, au globe de la nuit Qui, dans la route obscure où ton doigt le conduit, Réfléchit d’un côté les clartés éternelles, Et de l’autre est plongé dans les ombres mortelles. L’homme est le point fatal où les deux infinis Par la toute-puissance ont été réunis. A tout autre degré, moins malheureux peut-être, J’eusse été… Mais je suis ce que je devais être, J’adore sans la voir ta suprême raison, Gloire à toi qui m’as fait ! Ce que tu fais est bon ! – « Cependant, accablé sous le poids de ma chaîne, Du néant au tombeau l’adversité m’entraîne; Je marche dans la nuit par un chemin mauvais, Ignorant d’où je viens, incertain où je vais, Et je rappelle en vain ma jeunesse écoulée, Comme l’eau du torrent dans sa source troublée. Gloire à toi ! Le malheur en naissant m’a choisi; Comme un jouet vivant, ta droite m’a saisi; J’ai mangé dans les pleurs le pain de ma misère, Et tu m’as abreuvé des eaux de ta colère. Gloire à toi ! J’ai crié, tu n’as pas répondu; J’ai jeté sur la terre un regard confondu. J’ai cherché dans le ciel le jour de ta justice; Il s’est levé, Seigneur, et c’est pour mon supplice ! Gloire à toi ! L’innocence est coupable à tes yeux : Un seul être, du moins, me restait sous les cieux; Toi-même de nos jours avais mêlé la trame, Sa vie était ma vie, et son âme mon âme; Comme un fruit encor vert du rameau détaché, Je l’ai vu de mon sein avant l’âge arraché ! Ce coup, que tu voulais me rendre plus terrible La frappa lentement pour m’être plus sensible; Dans ses traits expirants, où je lisais mon sort, J’ai vu lutter ensemble et l’amour et la mort; J’ai vu dans ses regards la flamme de la vie, Sous la main du trépas par degrés assoupie, Se ranimer encore au souffle de l’amour ! Je disais chaque jour : Soleil ! encore un jour ! Semblable au criminel qui, plongé dans les ombres, Et descendu vivant dans les demeures sombres, Près du dernier flambeau qui doive l’éclairer, Se penche sur sa lampe et la voit expirer, Je voulais retenir l’âme qui s’évapore; Dans son dernier regard je la cherchais encore ! Ce soupir, ô mon Dieu ! dans ton sein s’exhala; Hors du monde avec lui mon espoir s’envola ! Pardonne au désespoir un moment de blasphème, J’osai… Je me repens : Gloire au maître suprême ! Il fit l’eau pour couler, l’aquilon pour courir, Les soleils pour brûler, et l’homme pour souffrir ! – « Que j’ai bien accompli cette loi de mon être ! La nature insensible obéit sans connaître; Moi seul, te découvrant sous la nécessité, J’immole avec amour ma propre volonté, Moi seul, je t’obéis avec intelligence; Moi seul, je me complais dans cette obéissance; Je jouis de remplir, en tout temps, en tout lieu, La loi de ma nature et l’ordre de mon Dieu; J’adore en mes destins ta sagesse suprême, J’aime ta volonté dans mes supplices même, Gloire à toi ! Gloire à toi ! Frappe, anéantis-moi ! Tu n’entendras qu’un cri : Gloire à jamais à toi ! » Ainsi ma voix monta vers la voûte céleste : Je rendis gloire au ciel, et le ciel fit le reste. Fais silence, ô ma lyre ! Et toi, qui dans tes mains Tiens le cœur palpitant des sensibles humains, Byron, viens en tirer des torrents d’harmonie : C’est pour la vérité que Dieu fit le génie. Jette un cri vers le ciel, ô chantre des enfers ! Le ciel même aux damnés enviera tes concerts ! Peut-être qu’à ta voix, de la vivante flamme Un rayon descendra dans l’ombre de ton âme ? Peut-être que ton cœur, ému de saints transports, S’apaisera soi-même à tes propres accords, Et qu’un éclair d’en haut perçant ta nuit profonde, Tu verseras sur nous la clarté qui t’inonde ? Ah ! si jamais ton luth, amolli par tes pleurs, Soupirait sous tes doigts l’hymne de tes douleurs, Ou si, du sein profond des ombres éternelles, Comme un ange tombé, tu secouais tes ailes, Et prenant vers le jour un lumineux essor, Parmi les chœurs sacrés tu t’asseyais encor; Jamais, jamais l’écho de la céleste voûte, Jamais ces harpes d’or que Dieu lui-même écoute, Jamais des séraphins les chœurs mélodieux, De plus divins accords n’auront ravi les cieux ! Courage ! enfant déchu d’une race divine ! Tu portes sur ton front ta superbe origine ! Tout homme en te voyant reconnaît dans tes yeux Un rayon éclipsé de la splendeur des cieux ! Roi des chants immortels, reconnais-toi toi-même ! Laisse aux fils de la nuit le doute et le blasphème; Dédaigne un faux encens qu’on offre de si bas, La gloire ne peut être où la vertu n’est pas. Viens reprendre ton rang dans ta splendeur première, Parmi ces purs enfants de gloire et de lumière, Que d’un souffle choisi Dieu voulut animer, Et qu’il fit pour chanter, pour croire et pour aimer !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Pensée des morts Voilà les feuilles sans sève Qui tombent sur le gazon, Voilà le vent qui s’élève Et gémit dans le vallon, Voilà l’errante hirondelle . Qui rase du bout de l’aile : L’eau dormante des marais, Voilà l’enfant des chaumières Qui glane sur les bruyères Le bois tombé des forêts. L’onde n’a plus le murmure , Dont elle enchantait les bois ; Sous des rameaux sans verdure. Les oiseaux n’ont plus de voix ; Le soir est près de l’aurore, L’astre à peine vient d’éclore Qu’il va terminer son tour, Il jette par intervalle Une heure de clarté pâle Qu’on appelle encore un jour. L’aube n’a plus de zéphire Sous ses nuages dorés, La pourpre du soir expire Sur les flots décolorés, La mer solitaire et vide N’est plus qu’un désert aride Où l’oeil cherche en vain l’esquif, Et sur la grève plus sourde La vague orageuse et lourde N’a qu’un murmure plaintif. La brebis sur les collines Ne trouve plus le gazon, Son agneau laisse aux épines Les débris de sa toison, La flûte aux accords champêtres Ne réjouit plus les hêtres Des airs de joie ou d’amour, Toute herbe aux champs est glanée : Ainsi finit une année, Ainsi finissent nos jours ! C’est la saison où tout tombe Aux coups redoublés des vents ; Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants : Ils tombent alors par mille, Comme la plume inutile Que l’aigle abandonne aux airs, Lorsque des plumes nouvelles Viennent réchauffer ses ailes A l’approche des hivers. C’est alors que ma paupière Vous vit pâlir et mourir, Tendres fruits qu’à la lumière Dieu n’a pas laissé mûrir ! Quoique jeune sur la terre, Je suis déjà solitaire Parmi ceux de ma saison, Et quand je dis en moi-même : Où sont ceux que ton coeur aime ? Je regarde le gazon. Leur tombe est sur la colline, Mon pied la sait ; la voilà ! Mais leur essence divine, Mais eux, Seigneur, sont-ils là ? Jusqu’à l’indien rivage Le ramier porte un message Qu’il rapporte à nos climats ; La voile passe et repasse, Mais de son étroit espace Leur âme ne revient pas. Ah ! quand les vents de l’automne Sifflent dans les rameaux morts, Quand le brin d’herbe frissonne, Quand le pin rend ses accords, Quand la cloche des ténèbres Balance ses glas funèbres, La nuit, à travers les bois, A chaque vent qui s’élève, A chaque flot sur la grève, Je dis : N’es-tu pas leur voix? Du moins si leur voix si pure Est trop vague pour nos sens, Leur âme en secret murmure De plus intimes accents ; Au fond des coeurs qui sommeillent, Leurs souvenirs qui s’éveillent Se pressent de tous côtés, Comme d’arides feuillages Que rapportent les orages Au tronc qui les a portés ! C’est une mère ravie A ses enfants dispersés, Qui leur tend de l’autre vie Ces bras qui les ont bercés ; Des baisers sont sur sa bouche, Sur ce sein qui fut leur couche Son coeur les rappelle à soi ; Des pleurs voilent son sourire, Et son regard semble dire : Vous aime-t-on comme moi ? C’est une jeune fiancée Qui, le front ceint du bandeau, N’emporta qu’une pensée De sa jeunesse au tombeau ; Triste, hélas ! dans le ciel même, Pour revoir celui qu’elle aime Elle revient sur ses pas, Et lui dit : Ma tombe est verte ! Sur cette terre déserte Qu’attends-tu ? Je n’y suis pas ! C’est un ami de l’enfance, Qu’aux jours sombres du malheur Nous prêta la Providence Pour appuyer notre cœur ; Il n’est plus ; notre âme est veuve, Il nous suit dans notre épreuve Et nous dit avec pitié : Ami, si ton âme est pleine, De ta joie ou de ta peine Qui portera la moitié ? C’est l’ombre pâle d’un père Qui mourut en nous nommant ; C’est une soeur, c’est un frère, Qui nous devance un moment ; Sous notre heureuse demeure, Avec celui qui les pleure, Hélas ! ils dormaient hier ! Et notre coeur doute encore, Que le ver déjà dévore Cette chair de notre chair ! L’enfant dont la mort cruelle Vient de vider le berceau, Qui tomba de la mamelle Au lit glacé du tombeau ; Tous ceux enfin dont la vie Un jour ou l’autre ravie, Emporte une part de nous, Murmurent sous la poussière : Vous qui voyez la lumière, Vous souvenez-vous de nous ? Ah ! vous pleurer est le bonheur suprême Mânes chéris de quiconque a des pleurs ! Vous oublier c’est s’oublier soi-même : N’êtes-vous pas un débris de nos coeurs ? En avançant dans notre obscur voyage, Du doux passé l’horizon est plus beau, En deux moitiés notre âme se partage, Et la meilleure appartient au tombeau ! Dieu du pardon ! leur Dieu ! Dieu de leurs pères ! Toi que leur bouche a si souvent nommé ! Entends pour eux les larmes de leurs frères ! Prions pour eux, nous qu’ils ont tant aimé ! Ils t’ont prié pendant leur courte vie, Ils ont souri quand tu les as frappés ! Ils ont crié : Que ta main soit bénie ! Dieu, tout espoir ! les aurais-tu trompés ? Et cependant pourquoi ce long silence ? Nous auraient-ils oubliés sans retour ? N’aiment-ils plus ? Ah ! ce doute t’offense ! Et toi, mon Dieu, n’es-tu pas tout amour ? Mais, s’ils parlaient à l’ami qui les pleure, S’ils nous disaient comment ils sont heureux, De tes desseins nous devancerions l’heure, Avant ton jour nous volerions vers eux. Où vivent-ils ? Quel astre, à leur paupière Répand un jour plus durable et plus doux ? Vont-ils peupler ces îles de lumière ? Ou planent-ils entre le ciel et nous ? Sont-ils noyés dans l’éternelle flamme ? Ont-ils perdu ces doux noms d’ici-bas, Ces noms de soeur et d’amante et de femme ? A ces appels ne répondront-ils pas ? Non, non, mon Dieu, si la céleste gloire Leur eût ravi tout souvenir humain, Tu nous aurais enlevé leur mémoire ; Nos pleurs sur eux couleraient-ils en vain ? Ah ! dans ton sein que leur âme se noie ! Mais garde-nous nos places dans leur cœur ; Eux qui jadis ont goûté notre joie, Pouvons-nous être heureux sans leur bonheur ? Etends sur eux la main de ta clémence, Ils ont péché; mais le ciel est un don ! Ils ont souffert; c’est une autre innocence ! Ils ont aimé; c’est le sceau du pardon ! Ils furent ce que nous sommes, Poussière, jouet du vent ! Fragiles comme des hommes, Faibles comme le néant ! Si leurs pieds souvent glissèrent, Si leurs lèvres transgressèrent Quelque lettre de ta loi, Ô Père! ô juge suprême ! Ah ! ne les vois pas eux-mêmes, Ne regarde en eux que toi ! Si tu scrutes la poussière, Elle s’enfuit à ta voix ! Si tu touches la lumière, Elle ternira tes doigts ! Si ton oeil divin les sonde, Les colonnes de ce monde Et des cieux chancelleront : Si tu dis à l’innocence : Monte et plaide en ma présence ! Tes vertus se voileront. Mais toi, Seigneur, tu possèdes Ta propre immortalité ! Tout le bonheur que tu cèdes Accroît ta félicité ! Tu dis au soleil d’éclore, Et le jour ruisselle encore ! Tu dis au temps d’enfanter, Et l’éternité docile, Jetant les siècles par mille, Les répand sans les compter ! Les mondes que tu répares Devant toi vont rajeunir, Et jamais tu ne sépares Le passé de l’avenir ; Tu vis ! et tu vis ! les âges, Inégaux pour tes ouvrages, Sont tous égaux sous ta main ; Et jamais ta voix ne nomme, Hélas ! ces trois mots de l’homme : Hier, aujourd’hui, demain ! Ô Père de la nature, Source, abîme de tout bien, Rien à toi ne se mesure, Ah ! ne te mesure à rien ! Mets, à divine clémence, Mets ton poids dans la balance, Si tu pèses le néant ! Triomphe, à vertu suprême ! En te contemplant toi-même, Triomphe en nous pardonnant !

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Aux premiers fruits de mon verger Précurseurs de l’automne, Ô fruits nés d’une terre Ou l’art industrieux, sous ses maisons de verre, Des soleils du midi sait feindre les chaleurs, Allez trouver Fanny ; cette mère craintive. À sa fille aux doux yeux, fleur débile et tardive, Rendez la force et les couleurs. Non qu’un péril funeste assiége son enfance ; Mais du cœur maternel la tendre défiance N’attend pas le danger qu’elle sait trop prévoir. Et Fanny, qu’une fois les destins ont frappée, Soupçonneuse et long-temps de sa perte occupée, Redoute de loin leur pouvoir. L’été va dissiper de si promptes alarmes. Nous devons en naissant tous un tribut de larmes ; Les siennes ont déjà trop satisfait aux dieux. Sa beauté, ses vertus, ses grâces naturelles, N’ont point des dieux sans doute, ainsi que des mortelles, Armé le courroux envieux. Belle bientôt comme elle, au retour d’Érigone, L’enfant va ranimer, nourrisson de Pomone, Ce front que de Borée un souffle avait terni. Ô de la conserver, Cieux, faites votre étude ; Que jamais la douleur, même l’inquiétude, N’approchent du sein de Fanny. Que n’est-ce encor ce temps let d’amour et de gloire, Qui de Pollux, d’Alceste, a gardé la mémoire, Quand un pieux échange apaisait les enfers ! Quand les trois Sœurs pouvaient n’être point inflexibles, Et qu’au prix de ses jours, de leurs ciseaux terribles, On rachetait des jours plus chers ! Oui, je voudrais alors qu’en effet toute prête, La Parque, aimable enfant, vint menacer ta tête, Pour me mettre en ta place et te sauver le jour ; Voir ma trame rompue à la tienne enchaînée ; Et Fanny s’avouer par moi seul fortuné Et s’applaudir de mon amour. Ma tombe quelque jour troublerait sa pensée. Quelque jour, à sa fille entre ses bras pressée, L’œil humide peut-être, en passant prés de moi : « Celui-ci, dirait-elle, à qui je fus bien chère, » Fut content de mourir, en songeant que ta mère » N’aurait point à pleurer sur toi. »

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    André Suarès

    André Suarès

    @andreSuares

    Âme de la nuit Mol et sans voix, le couperet de l’ombre descend du ciel et le jour tombe, la face contre terre, dans le fatal étang ; et les yeux s’enfoncent dans la fosse. Long crépuscule.

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    Mélodie Comme un couteau dans un fruit Amène un glissant ravage, La mélodie au doux bruit Fend le coeur et le partage Et tendrement le détruit. — Et la langueur irisée Des arpèges, des accords, Descend, tranchante et rusée, Dans la faiblesse du corps Et dans l’âme divisée…

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Faim Si j’ai du goût, ce n’est guère Que pour la terre et les pierres. Je déjeune toujours d’air, De roc, de charbons, de fer. Mes faims, tournez. Paissez, faims, Le pré des sons. Attirez le gai venin Des liserons. Mangez les cailloux qu’on brise, Les vieilles pierres d’églises ; Les galets des vieux déluges, Pains semés dans les vallées grises. *** Le loup criait sous les feuilles En crachant les belles plumes De son repas de volailles : Comme lui je me consume. Les salades, les fruits N’attendent que la cueillette ; Mais l’araignée de la haie Ne mange que des violettes. Que je dorme ! que je bouille Aux autels de Salomon. Le bouillon court sur la rouille, Et se mêle au Cédron.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    L’eternité Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Eternité. C’est la mer allée Avec le soleil. Ame sentinelle, Murmurons l’aveu De la nuit si nulle Et du jour en feu. Des humains suffrages, Des communs élans Là tu te dégages Et voles selon. Puisque de vous seules, Braises de satin, Le Devoir s’exhale Sans qu’on dise : enfin. Là pas d’espérance, Nul orietur. Science avec patience, Le supplice est sûr. Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Eternité. C’est la mer allée Avec le soleil.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Ma bohème Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ; Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! Mon unique culotte avait un large trou. – Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. – Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Cri Quelle vie !… Il est dur, né pour de nobles guerres, De dépenser sa force en des luttes vulgaires ! Fier, d’avoir à défendre et partout et toujours Contre de vils besoins de misérables jours ! Brave, étouffant sa voix, jeune, éteignant sa flamme, D’immoler à son corps sa pensée et son âme ! Ou si l’on veut mourir, fidèle à son mandat, De succomber sans vaincre, inutile soldat !…

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Rêverie Dis-moi, mobile étoile aux ailes de lumière, Qui poursuis dans l’azur ton vol mystérieux, Où va ta course ? Est-il un but à ta carrière ? Cloras-tu quelque part tes ailes dans les cieux ? Dis-moi, lune pensive, ô pâle voyageuse ! Cheminant aux déserts du firmament lacté, Dans quelle profondeur obscure ou lumineuse, O lune ! cherches-tu le repos souhaité ? Dis-moi, vent fatigué, qui vas à l’aventure, Comme un déshérité sans foyer ni repos, Est-il un lit secret au fond de la nature, Est-il un nid pour toi dans l’arbre ou sur les flots ? Dis-moi, mer tourmentée, au murmure sauvage, Qui te plains à la nuit, qui te plains au soleil, Par delà l’horizon est-il quelque rivage Où tu doives trouver un lit et le sommeil ? Et toi, cœur inquiet, plus agité que l’onde, Plus errant que la brise et qu’un rien fait gémir, Est-il un lieu béni, dans l’un ou l’autre monde, Où tu puisses, mon cœur, oublier et dormir ?

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    S

    Sadek Belhamissi

    @sadekBelhamissi

    Charlot, la légende Tu me faisais rêver, avec ta poésie magique Le charlot du muet et le clown en musique. Le charlot du fou rire a fait mon cœur pleurer J’ai aimé ce charlot qui une aveugle aimait. La fille sa rose offrait au charlot qui l’adulait, La rose de la vie est toujours du poète, aimée. Charlot en comédien, apprenti dictateur, Charlot en Hitler pour démasquer l’imposteur. le Führer et son ballon dans un bureau morose, Le ballon pris pour sa terre qui devant lui explose. L’autre charlot qui pleure à la chaîne, l’ouvrier Et l’ immigré qui a faim mangeant ses souliers. Dans tous ses films, universel héros Charlot en être libre haïssait le cachot. Tous en nos cœurs nous le gardons par amour Ainsi ce grand poète en nous vivra toujours . . Belhamissi Sadek le 30.07.2017 . _Charlot poète, il s'agit bien sûr de Charlie Chaplin .Tellement il s'est fondu dans son personnage qu'on les confond_Belhamissi Sadek . _ce que Philippe Soupault poète français 02.08.97-12.03.90 avait dit de lui dans son livre CHARLOT petit résumé : «Pour les millions d’êtres humains qui vont au cinéma, le personnage créé par Chaplin était devenu un ami. Il jouissait d’une popularité et d’une affection qu’aucune créature née de l’imagination humaine n’a connues. Il vivait avec plus d’intensité que tous les personnages des légendes qui, du nord au sud et de l’ouest à l’est, enchantent les enfants des hommes et les hommes enfants. Charlot était le héros de notre temps, un héros universel, l'homme qui avait fait rire le monde et qui l’avait aussi fait pleurer. ……. »

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    B

    Bertrand Naivin

    @bertrandNaivin

    Cette colère de vivre L’habiter sans fuir cette douleur dans le dos cette peur dans la mâchoire cette colère de vivre

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    B

    Bertrand Naivin

    @bertrandNaivin

    Derrière le selfie Derrière le soupir comme derrière la colère sous la salive mauvaise dans le creux de chaque ride mal assis courbatures au fond de l’ennui du monde il y a toi toi toi toi et la sieste coupable la nudité honteuse

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    C

    Carolyne Cannella

    @carolyneCannella

    En toi L’univers rayonne temps immobile où les jours, à l’infini, résonnent En Toi le puzzle de l’univers la clé de tous les sons la gamme de toutes les couleurs Et l’aube un soupçon de rose dans la nuit …

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Abel et Caïn I Race d’Abel, dors, bois et mange ; Dieu te sourit complaisamment. Race de Caïn, dans la fange Rampe et meurs misérablement. Race d’Abel, ton sacrifice Flatte le nez du Séraphin ! Race de Caïn, ton supplice Aura-t-il jamais une fin ? Race d’Abel, vois tes semailles Et ton bétail venir à bien ; Race de Caïn, tes entrailles Hurlent la faim comme un vieux chien. Race d’Abel, chauffe ton ventre À ton foyer patriarcal ; Race de Caïn, dans ton antre Tremble de froid, pauvre chacal ! Race d’Abel, aime et pullule ! Ton or fait aussi des petits. Race de Caïn, cœur qui brûle, Prends garde à ces grands appétits. Race d’Abel, tu croîs et broutes Comme les punaises des bois ! Race de Caïn, sur les routes Traîne ta famille aux abois. II Ah ! race d’Abel, ta charogne Engraissera le sol fumant ! Race de Caïn, ta besogne N’est pas faite suffisamment ; Race d’Abel, voici ta honte : Le fer est vaincu par l’épieu ! Race de Caïn, au ciel monte, Et sur la terre jette Dieu !

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