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Le temps qui passe

146 poésies en cours de vérification
Le temps qui passe

Poésies de la collection le temps qui passe

    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    En printemps En printemps, quand le blond vitrier Ariel Nettoie à neuf la vitre éclatante du ciel, Quand aux carrefours noirs qu'éclairent les toilettes En monceaux odorants croulent les violettes Et le lilas tremblant, frileux encor d'hier, Toujours revient en moi le songe absurde et cher Que mes seize ans ravis aux candeurs des keepsakes Vivaient dans les grands murs blancs des bibliothèques Rêveurs à la fenêtre où passaient des oiseaux... Dans des pays d'argent, de cygnes, de roseaux Dont les noms avaient des syllabes d'émeraude, Au bord des étangs verts où la sylphide rôde, Parmi les donjons noirs et les châteaux hantés, Déchiquetant des ciels d'eau-forte tourmentés, Traînaient limpidement les robes des légendes. Ossian ! Walter Scott ! Ineffables guirlandes De vierges en bandeaux s'inclinant de profil. Ô l'ovale si pur d'alors, et le pistil Du col où s'éploraient les anglaises bouclées ! Ô manches à gigot ! Longues mains fuselées Faites pour arpéger le cœur de Raphaël, Avec des yeux à l'ange et l'air « Exil du ciel », Ô les brunes de flamme et les blondes de miel ! Mil-huit-cent-vingt... parfum des lyres surannées ; Dans vos fauteuils d'Utrecht bonnes vieilles fanées, Bonnes vieilles voguant sur « le lac » étoilé, Ô âmes sœurs de Lamartine inconsolé. Tel aussi j'ai vécu les sanglots de vos harpes Et vos beaux chevaliers ceints de blanches écharpes Et vos pâles amants mourant d'un seul baiser. L'idéal était roi sur un grand cœur brisé. C'était le temps du patchouli, des janissaires, D'Elvire, et des turbans, et des hardis corsaires. Byron disparaissait, somptueux et fatal. Et le cor dans les bois sonnait sentimental. Ô mon beau cœur vibrant et pur comme un cristal.

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Retraite Remonte, lent rameur, le cours de tes années, Et, les yeux clos, suspends ta rame par endroits… La brise qui s’élève aux jardins d’autrefois Courbe suavement les âmes inclinées. Cherche en ton coeur, loin des grand’routes calcinées, L’enclos plein d’herbe épaisse et verte où sont les croix. Écoutes-y l’air triste où reviennent les voix, Et baise au coeur tes petites mortes fanées. Songe à tels yeux poignants dans la fuite du jour. Les heures, que toucha l’ongle d’or de l’amour, À jamais sous l’archet chantent mélodieuses. Lapidaire secret des soirs quotidiens, Taille tes souvenirs en pierres précieuses, Et fais-en pour tes doigts des bijoux anciens.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    À Juana Ô ciel ! je vous revois, madame, De tous les amours de mon âme Vous le plus tendre et le premier. Vous souvient-il de notre histoire ? Moi, j'en ai gardé la mémoire : C'était, je crois, l'été dernier. Ah ! marquise, quand on y pense, Ce temps qu'en folie on dépense, Comme il nous échappe et nous fuit ! Sais-tu bien, ma vieille maîtresse, Qu'à l'hiver, sans qu'il y paraisse, J'aurai vingt ans, et toi dix-huit ? Eh bien ! m'amour, sans flatterie, Si ma rose est un peu pâlie, Elle a conservé sa beauté. Enfant ! jamais tête espagnole Ne fut si belle, ni si folle. Te souviens-tu de cet été ? De nos soirs, de notre querelle ? Tu me donnas, je me rappelle, Ton collier d'or pour m'apaiser, Et pendant trois nuits, que je meure, Je m'éveillai tous les quarts d'heure, Pour le voir et pour le baiser. Et ta duègne, ô duègne damnée ! Et la diabolique journée Où tu pensas faire mourir, O ma perle d'Andalousie, Ton vieux mari de jalousie, Et ton jeune amant de plaisir ! Ah ! prenez-y garde, marquise, Cet amour-là, quoi qu'on en dise, Se retrouvera quelque jour. Quand un coeur vous a contenue, Juana, la place est devenue Trop vaste pour un autre amour. Mais que dis-je ? ainsi va le monde. Comment lutterais-je avec l'onde Dont les flots ne reculent pas ? Ferme tes yeux, tes bras, ton âme ; Adieu, ma vie, adieu, madame, Ainsi va le monde ici-bas. Le temps emporte sur son aile Et le printemps et l'hirondelle, Et la vie et les jours perdus ; Tout s'en va comme la fumée, L'espérance et la renommée, Et moi qui vous ai tant aimée, Et toi qui ne t'en souviens plus !

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    La nuit Quand la lune blanche S’accroche à la branche Pour voir Si quelque feu rouge Dans l’horizon bouge Le soir, Fol alors qui livre A la nuit son livre Savant, Son pied aux collines, Et ses mandolines Au vent ; Fol qui dit un conte, Car minuit qui compte Le temps, Passe avec le prince Des sabbats qui grince Des dents. L’amant qui compare Quelque beauté rare Au jour, Tire une ballade De son coeur malade D’amour. Mais voici dans l’ombre Qu’une ronde sombre Se fait, L’enfer autour danse, Tous dans un silence Parfait. Tout pendu de Grève, Tout Juif mort soulève Son front, Tous noyés des havres Pressent leurs cadavres En rond. Et les âmes feues Joignent leurs mains bleues Sans os ; Lui tranquille chante D’une voix touchante Ses maux. Mais lorsque sa harpe, Où flotte une écharpe, Se tait, Il veut fuir… La danse L’entoure en silence Parfait. Le cercle l’embrasse, Son pied s’entrelace Aux morts, Sa tête se brise Sur la terre grise ! Alors La ronde contente, En ris éclatante, Le prend ; Tout mort sans rancune Trouve au clair de lune Son rang. Car la lune blanche S’accroche à la branche Pour voir Si quelque feu rouge Dans l’horizon bouge Le soir.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Souvenir J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir En osant te revoir, place à jamais sacrée, O la plus chère tombe et la plus ignorée Où dorme un souvenir ! Que redoutiez-vous donc de cette solitude, Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main, Alors qu’une si douce et si vieille habitude Me montrait ce chemin ? Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries, Et ces pas argentins sur le sable muet, Ces sentiers amoureux, remplis de causeries, Où son bras m’enlaçait. Les voilà, ces sapins à la sombre verdure, Cette gorge profonde aux nonchalants détours, Ces sauvages amis, dont l’antique murmure A bercé mes beaux jours. Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse, Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas. Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse, Ne m’attendiez-vous pas ? Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères, Ces larmes que soulève un coeur encor blessé ! Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières Ce voile du passé ! Je ne viens point jeter un regret inutile Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur. Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille, Et fier aussi mon coeur. Que celui-là se livre à des plaintes amères, Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami. Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières Ne poussent point ici. Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages. Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ; Mais du sombre horizon déjà tu te dégages, Et tu t’épanouis. Ainsi de cette terre, humide encor de pluie, Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour : Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie Sort mon ancien amour. Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ? Tout ce qui m’a fait vieux est bien loin maintenant ; Et rien qu’en regardant cette vallée amie Je redeviens enfant. O puissance du temps ! ô légères années ! Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ; Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées Vous ne marchez jamais. Tout mon coeur te bénit, bonté consolatrice ! Je n’aurais jamais cru que l’on pût tant souffrir D’une telle blessure, et que sa cicatrice Fût si douce à sentir. Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées, Des vulgaires douleurs linceul accoutumé, Que viennent étaler sur leurs amours passées Ceux qui n’ont point aimé ! Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ? Quel chagrin t’a dicté cette parole amère, Cette offense au malheur ? En est-il donc moins vrai que la lumière existe, Et faut-il l’oublier du moment qu’il fait nuit ? Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste, Est-ce toi qui l’as dit ? Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire, Ce blasphème vanté ne vient pas de ton coeur. Un souvenir heureux est peut-être sur terre Plus vrai que le bonheur. Eh quoi ! l’infortuné qui trouve une étincelle Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis, Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle Ses regards éblouis ; Dans ce passé perdu quand son âme se noie, Sur ce miroir brisé lorsqu’il rêve en pleurant, Tu lui dis qu’il se trompe, et que sa faible joie N’est qu’un affreux tourment ! Et c’est à ta Françoise, à ton ange de gloire, Que tu pouvais donner ces mots à prononcer, Elle qui s’interrompt, pour conter son histoire, D’un éternel baiser ! Qu’est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine, Et qui pourra jamais aimer la vérité, S’il n’est joie ou douleur si juste et si certaine Dont quelqu’un n’ait douté ? Comment vivez-vous donc, étranges créatures ? Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ; Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures Ne vous dérangent pas ; Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène Vers quelque monument d’un amour oublié, Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine Qu’il vous heurte le pied. Et vous criez alors que la vie est un songe ; Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant, Et vous trouvez fâcheux qu’un si joyeux mensonge Ne dure qu’un instant. Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie A secoué les fers qu’elle traîne ici-bas, Ce fugitif instant fut toute votre vie ; Ne le regrettez pas ! Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre, Vos agitations dans la fange et le sang, Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière : C’est là qu’est le néant ! Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ? Que demandent au ciel ces regrets inconstants Que vous allez semant sur vos propres ruines, A chaque pas du Temps ? Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve, Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin, Nous n’avons pas plus tôt ce roseau dans la main, Que le vent nous l’enlève. Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments Que deux êtres mortels échangèrent sur terre, Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents, Sur un roc en poussière. Ils prirent à témoin de leur joie éphémère Un ciel toujours voilé qui change à tout moment, Et des astres sans nom que leur propre lumière Dévore incessamment. Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage, La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs pieds, La source desséchée où vacillait l’image De leurs traits oubliés ; Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile, Etourdis des éclairs d’un instant de plaisir, Ils croyaient échapper à cet être immobile Qui regarde mourir ! Insensés ! dit le sage. Heureux dit le poète. Et quels tristes amours as-tu donc dans le coeur, Si le bruit du torrent te trouble et t’inquiète, Si le vent te fait peur? J’ai vu sous le soleil tomber bien d’autres choses Que les feuilles des bois et l’écume des eaux, Bien d’autres s’en aller que le parfum des roses Et le chant des oiseaux. Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres Que Juliette morte au fond de son tombeau, Plus affreux que le toast à l’ange des ténèbres Porté par Roméo. J’ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère, Devenue elle-même un sépulcre blanchi, Une tombe vivante où flottait la poussière De notre mort chéri, De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde, Nous avions sur nos coeurs si doucement bercé ! C’était plus qu’une vie, hélas ! c’était un monde Qui s’était effacé ! Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire, Je l’ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois. Ses lèvres s’entr’ouvraient, et c’était un sourire, Et c’était une voix ; Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage, Ces regards adorés dans les miens confondus ; Mon coeur, encor plein d’elle, errait sur son visage, Et ne la trouvait plus. Et pourtant j’aurais pu marcher alors vers elle, Entourer de mes bras ce sein vide et glacé, Et j’aurais pu crier :  » Qu’as-tu fait, infidèle, Qu’as-tu fait du passé?  » Mais non : il me semblait qu’une femme inconnue Avait pris par hasard cette voix et ces yeux ; Et je laissai passer cette froide statue En regardant les cieux. Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère Que ce riant adieu d’un être inanimé. Eh bien ! qu’importe encore ? O nature! ô ma mère ! En ai-je moins aimé? La foudre maintenant peut tomber sur ma tête : Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché ! Comme le matelot brisé par la tempête, Je m’y tiens attaché. Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent; Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain, Ni si ces vastes cieux éclaireront demain Ce qu’ils ensevelissent. Je me dis seulement :  » À cette heure, en ce lieu, Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle.  » J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle, Et je l’emporte à Dieu !

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    La neige I Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires, Des histoires du temps passé, Quand les branches d’arbres sont noires, Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé ! Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s’élance, Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher L’immobile corbeau sur l’arbre se balance, Comme la girouette au bout du long clocher ! Ils sont petits et seuls, ces deux pieds dans la neige. Derrière les vitraux dont l’azur le protège, Le Roi pourtant regarde et voudrait ne pas voir, Car il craint sa colère et surtout son pouvoir. De cheveux longs et gris son front brun s’environne, Et porte en se ridant le fer de la couronne ; Sur l’habit dont la pourpre a peint l’ample velours L’empereur a jeté la lourde peau d’un ours. Avidement courbé, sur le sombre vitrage Ses soupirs inquiets impriment un nuage. Contre un marbre frappé d’un pied appesanti, Sa sandale romaine a vingt fois retenti. Est-ce vous, blanche Emma, princesse de la Gaule ? Quel amoureux fardeau pèse à sa jeune épaule ? C’est le page Eginard, qu’à ses genoux le jour Surprit, ne dormant pas, dans la secrète tour. Doucement son bras droit étreint un cou d’ivoire, Doucement son baiser suit une tresse noire, Et la joue inclinée, et ce dos où les lys De l’hermine entourés sont plus blancs que ses plis. Il retient dans son coeur une craintive haleine, Et de sa dame ainsi pense alléger la peine, Et gémit de son poids, et plaint ses faibles pieds Qui, dans ses mains, ce soir, dormiront essuyés ; Lorsqu’arrêtée Emma vante sa marche sûre, Lève un front caressant, sourit et le rassure, D’un baiser mutuel implore le secours, Puis repart chancelante et traverse les cours. Mais les voix des soldats résonnent sous les voûtes, Les hommes d’armes noirs en ont fermé les routes ; Eginard, échappant à ses jeunes liens, Descend des bras d’Emma, qui tombe dans les siens. II Un grand trône, ombragé des drapeaux d’Allemagne, De son dossier de pourpre entoure Charlemagne. Les douze pairs debout sur ses larges degrés Y font luire l’orgueil des lourds manteaux dorés. Tous posent un bras fort sur une longue épée, Dans le sang des Saxons neuf fois par eux trempée ; Par trois vives couleurs se peint sur leurs écus La gothique devise autour des rois vaincus. Sous les triples piliers des colonnes moresques, En cercle sont placés des soldats gigantesques, Dont le casque fermé, chargé de cimiers blancs, Laisse à peine entrevoir les yeux étincelants. Tous deux joignant les mains, à genoux sur la pierre, L’un pour l’autre en leur coeur cherchant une prière, Les beaux enfants tremblaient en abaissant leur front Tantôt pâle de crainte ou rouge de l’affront. D’un silence glacé régnait la paix profonde. Bénissant en secret sa chevelure blonde, Avec un lent effort, sous ce voile, Eginard Tente vers sa maîtresse un timide regard. Sous l’abri de ses mains Emma cache sa tête, Et, pleurant, elle attend l’orage qui s’apprête : Comme on se tait encore, elle donne à ses yeux A travers ses beaux doigts un jour audacieux. L’Empereur souriait en versant une larme Qui donnait à ses traits un ineffable charme ; Il appela Turpin, l’évêque du palais, Et d’une voix très douce il dit : Bénissez-les. Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires, Des histoires du temps passé, Quand les branches d’arbres sont noires, Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    Le bal La harpe tremble encore et la flûte soupire, Car la Walse bondit dans son sphérique empire ; Des couples passagers éblouissent les yeux, Volent entrelacés en cercle gracieux, Suspendent des repos balancés en mesure, Aux reflets d’une glace admirent leur parure, Repartent ; puis, troublés par leur groupe riant, Dans leurs tours moins adroits se heurtent en criant. La danseuse, enivrée aux transports de la fête, Sème et foule en passant les bouquets de sa tête, Au bras qui la soutient se livre, et, pâlissant, Tourne, les yeux baissés sur un sein frémissant. Courez, jeunes beautés, formez la double danse : Entendez-vous l’archet du bal joyeux, Jeunes beautés ? Bientôt la légère cadence Toutes va, tout à coup, vous mêler à mes yeux. Dansez et couronnez de fleurs vos fronts d’albâtre ; Liez au blanc muguet l’hyacinthe bleuâtre, Et que vos pas moelleux, délices d’un amant, Sur le chêne poli glissent légèrement ; Dansez, car dès demain vos mères exigeantes A vos jeunes travaux vous diront négligentes ; L’aiguille détestée aura fui de vos doigts, Ou, de la mélodie interrompant les lois, Sur l’instrument mobile, harmonieux ivoire, Vos mains auront perdu la touche blanche et noire ; Demain, sous l’humble habit du jour laborieux, Un livre, sans plaisir, fatiguera vos yeux… ; Ils chercheront en vain, sur la feuille indocile, De ses simples discours le sens clair et facile ; Loin du papier noirci votre esprit égaré, Partant, seul et léger, vers le Bal adoré, Laissera de vos yeux l’indécise prunelle Recommencer vingt fois une page éternelle. Prolongez, s’il se peut, oh ! prolongez la nuit Qui d’un pas diligent plus que vos pas s’enfuit ! Le signal est donné, l’archet frémit encore : Elancez-vous, liez ces pas nouveaux Que l’Anglais inventa, noeuds chers à Terpsichore, Qui d’une molle chaîne imitent les anneaux. Dansez, un soir encore usez de votre vie : L’étincelante nuit d’un long jour est suivie ; A l’orchestre brillant le silence fatal Succède, et les dégoûts aux doux propos du bal. Ah ! reculez le jour où, surveillantes mères, Vous saurez du berceau les angoisses amères : Car, dès que de l’enfant le cri s’est élevé, Adieu, plaisir, long voile à demi relevé, Et parure éclatante, et beaux joyaux des fêtes, Et le soir, en passant, les riantes conquêtes Sous les ormes, le soir, aux heures de l’amour, Quand les feux suspendus ont rallumé le jour. Mais, aux yeux maternels, les veilles inquiètes Ne manquèrent jamais, ni les peines muettes Que dédaigne l’époux, que l’enfant méconnaît, Et dont le souvenir dans les songes renaît. Ainsi, toute au berceau qui la tient asservie, La mère avec ses pleurs voit s’écouler sa vie. Rappelez les plaisirs, ils fuiront votre voix, Et leurs chaînes de fleurs se rompront sous vos doigts. Ensemble, à pas légers, traversez la carrière ; Que votre main touche une heureuse main, Et que vos pieds savants à leur place première Reviennent, balancés dans leur double chemin. Dansez : un jour, hélas ! ô reines éphémères ! De votre jeune empire auront fui les chimères; Rien n’occupera plus vos coeurs désenchantés, Que des rêves d’amour, bien vite épouvantés, Et le regret lointain de ces fraîches années Qu’un souffle a fait mourir, en moins de temps fanées Que la rose et l’oeillet, l’honneur de votre front ; Et, du temps indompté lorsque viendra l’affront, Quelles seront alors vos tardives alarmes ? Un teint, déjà flétri, pâlira sous les larmes, Les larmes, à présent doux trésor des amours, Les larmes, contre l’âge inutile secours : Car les ans maladifs, avec un doigt de glace, Des chagrins dans vos coeurs auront marqué la place, La morose vieillesse… O légères beautés ! Dansez, multipliez vos pas précipités, Et dans les blanches mains les mains entrelacées, Et les regards de feu, les guirlandes froissées, Et le rire éclatant, cri des joyeux loisirs, Et que la salle au loin tremble de vos plaisirs.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    L’esprit pur I Si l’orgueil prend ton cœur quand le peuple me nomme, Que de mes livres seuls te vienne ta fierté. J’ai mis sur le cimier doré du gentilhomme Une plume de fer qui n’est pas sans beauté. J’ai fait illustre un nom qu’on m’a transmis sans gloire. Qu’il soit ancien, qu’importe ? — Il n’aura de mémoire Que du jour seulement où mon front l’a porté. II Dans le caveau des miens plongeant mes pas nocturnes, J’ai compté mes aïeux, suivant leur vieille loi. J’ouvris leurs parchemins, je fouillai dans leurs urnes Empreintes sur le flanc des sceaux de chaque roi. À peine une étincelle a relui dans leur cendre. C’est en vain que d’eux tous le sang m’a fait descendre ; Si j’écris leur histoire, ils descendront de moi. III Ils furent opulents, seigneurs de vastes terres, Grands chasseurs devant Dieu, comme Nemrod, jaloux Des beaux cerfs qu’ils lançaient des bois héréditaires Jusqu’où voulait la mort les livrer à leurs coups ; Suivant leur forte meute à travers deux provinces, Coupant les chiens du Roi, déroutant ceux des princes, Forçant les sangliers et détruisant les loups ; IV Galants guerriers sur terre et sur mer, se montrèrent Gens d’honneur en tous temps, comme en tous lieux, cherchant De la Chine au Pérou les Anglais, qu’ils brûlèrent Sur l’eau qu’ils écumaient du levant au couchant ; Puis, sur leur talon rouge, en quittant les batailles, Parfumés et blessés revenaient à Versailles Jaser à l’Œil-de-bœuf avant de voir leur champ. V Mais les champs de la Beauce avaient leurs cœurs, leurs âmes, Leurs soins. Ils les peuplaient d’innombrables garçons, De filles qu’ils donnaient aux chevaliers pour femmes, Dignes de suivre en tout l’exemple et les leçons ; Simples et satisfaits si chacun de leur race Apposait saint Louis en croix sur sa cuirasse, Comme leurs vieux portraits qu’aux murs noirs nous plaçons. VI Mais aucun, au sortir d’une rude campagne, Ne sut se recueillir, quitter le destrier, Dételer pour un jour ses palefrois d’Espagne, Ni des coursiers de chasse enlever l’étrier Pour graver quelque page et dire en quelque livre Comme son temps vivait et comment il sut vivre, Dès qu’ils n’agissaient plus, se hâtant d’oublier. VII Tous sont morts en laissant leur nom sans auréole ; Mais sur le disque d’or voilà qu’il est écrit, Disant : « Ici passaient deux races de la Gaule « Dont le dernier vivant monte au temple et s’inscrit, « Non sur l’obscur amas des vieux noms inutiles, « Des orgueilleux méchants et des riches futiles, « Mais sur le pur tableau des livres de l’esprit. » VIII Ton règne est arrivé, pur esprit, roi du monde ! Quand ton aile d’azur dans la nuit nous surprit, Déesse de nos mœurs, la guerre vagabonde Régnait sur nos aïeux. — Aujourd’hui, c’est l’écrit, L’écrit universel, parfois impérissable, Que tu graves au marbre ou traînes sur le sable, Colombe au bec d’airain ! visible saint-esprit ! IX Seul et dernier anneau de deux chaînes brisées, Je reste. — Et je soutiens encor dans les hauteurs, Parmi les maîtres purs de nos savants musées, L’idéal du poëte et des graves penseurs. J’éprouve sa durée en vingt ans de silence, Et toujours, d’âge en âge encor, je vois la France Contempler mes tableaux et leur jeter des fleurs. X Jeune postérité d’un vivant qui vous aime ! Mes traits dans vos regards ne sont pas effacés ; Je peux en ce miroir me connaître moi-même, Juge toujours nouveau de nos travaux passés ! Flots d’amis renaissants ! Puissent mes destinées Vous amener à moi, de dix en dix années, Attentifs à mon œuvre, et pour moi c’est assez ! 10 mars 1863.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    À une jeune fille poète Quand, assise le soir au bord de ta fenêtre, Devant un coin du ciel qui brille entre les toits, L’aiguille matinale a fatigué tes doigts, Et que ton front comprime une âme qui veut naître. Ta main laisse échapper le lin brodé de fleurs Qui doit parer le front d’heureuses fiancées, Et, de peur de tacher ses teintes nuancées, Tes beaux yeux retiennent leurs pleurs. Sur les murs blancs et nus de ton modeste asile, Pauvre enfant, d’un coup d’œil tout ton destin se lit : Un crucifix de bois au-dessus de ton lit, Un réséda jauni dans un vase d’argile, Sous tes pieds délicats la terre en froids carreaux, Et, près du pain du jour que la balance pèse, Pour ton festin du soir le raisin ou la fraise Que partagent tes passereaux ! Tes mains sur tes genoux un moment se délassent : Puis tu vas t’accouder sur le fer du balcon Où le pampre grimpant, le lierre au noir flocon, A tes cheveux épars, amoureux, s’entrelacent ; Tu verses l’eau de source à ton pâle rosier, Tu gazouilles son air à ton oiseau fidèle Qui becqueté ta lèvre en palpitant de l’aile A travers les barreaux d’osier. Tu contemples le ciel que le soir décoloré, Quelque dôme lointain de lumière écumant, Ou plus haut, seule au fond du vide firmament, L’étoile, comme toi, que Dieu seul voit éclore ; L’odeur des champs en fleurs monte à ton haut séjour, Le vent fait ondoyer tes boucles sur ta tempe ; La nuit ferme le ciel, tu rallumes ta lampe, Et le passé t’efface un jour !… Cependant le bruit monte et la ville respire : L’heure sonne, appelant tout un monde au plaisir ; Dans chaque son confus que ton cœur croit saisir, C’est le bonheur qui vibre ou l’amour qui respire. Les chars grondent en bas et font frissonner l’air ; Comme des dois pressés dans le lit des tempêtes, Ils passent emportant les heureux à leurs fêtes, Laissant sous la roue un éclair. Ceux-là versent au seuil de la scène ravie Cette foule attirée au vent des passions, Et qui veut aspirer d’autres sensations Pour oublier le jour et pour doubler la vie ; Ceux-là rentrent des champs, sur de pliants aciers Berçant les maîtres las d’ombrage et de murmure, Des fleurs sur les coussins, des festons de verdure Enlacés aux crins des coursiers. La musique du bal sort des salles sonores, Sous les pas des danseurs l’air ébranlé frémit, Dans des milliers de voix le chœur chante ou gémit, La ville aspire et rend le bruit par tous les pores. Le long des murs dans l’ombre on entend retentir Des pas aussi nombreux que des gouttes de pluie, Pas indécis d’amant, où l’amante s’appuie Et pèse pour le ralentir. Le front dans tes deux mains, pensive, tu te penches : L’imagination te peint de verts coteaux Tout résonnants du bruit des forets et des eaux, Où s’éteint un beau soir sur des chaumières blanches ; Des sources aux flots bleus voilés de liserons ; Des prés où, quand le pied dans la grande herbe nage, Chaque pas aux genoux fait monter un nuage D’étamine et de moucherons ; Des vents sur les guérets, ces immenses coups d’ailes Qui donnent aux épis leurs sonores frissons ; L’aubépine neigeant sur les nids des buissons, Les verts étangs rasés du vol des hirondelles ; Les vergers allongeant leur grande ombre du soir, Les foyers des hameaux ravivant leurs lumières, Les arbres morts couchés près du seuil des chaumières, Où les couples viennent s’asseoir ; Ces conversations à voix que l’amour brise, Où le mot commencé s’arrête et se repent, Où l’avide bonheur que le doute suspend S’envole après l’aveu que lui ravit la brise ; Ces danses où, l’amant prenant l’amante au vol, Dans le ciel qui s’entr’ouvre elle croit fuir en rêve. Entre le bond léger qui du gazon l’enlève Et son pied qui retombe au sol ! Sous la tente de soie ou dans ton nid de feuille Tu vois rentrer le soir, altéré de tes yeux, Un jeune homme au front mâle, au regard studieux. Votre bonheur tardif dans l’ombre se recueille : Ton épaule s’appuie à celle de l’époux ; Sous son front déridé ton front nu se renverse ; Son œil luit dans ton œil, pendant que ton pied berce Un enfant blond sur tes genoux ! De tes yeux dessillés quand ce voile retombe, Tu sens ta joue humide et tes mains pleines d’eau ; Les murs de ce réduit où flottait ce tableau Semblent se rapprocher pour voûter une tombe ; Ta lampe y jette à peine un reste de clarté, Sous tes beaux pieds d’enfant tes parures s’écoulent, Et tes cheveux épars et les ombres déroulent Leurs ténèbres sur ta beauté. Cependant le temps fuit, la jeunesse s’écoule ; Tes beaux yeux sont cernés d’un rayon de pâleur, Des roses sans soleil ton teint prend la couleur ; Sur ton cœur amaigri ton visage se moule ; Ta lèvre a replié le sourire ; ta voix A perdu cette note où le bonheur tressaille ; Des airs lents et plaintifs mesurent maille à maille Le lin qui grandit sous tes doigts. Eh quoi ! ces jours passés dans un labeur vulgaire A gagner miette à miette un pain trempé de fiel, Cet espace sans air, cet horizon sans ciel, Ces amours s’envolant au son d’un vil salaire, Ces désirs refoulés dans un sein étouffant, Ces baisers, de ton front chassés comme une mouche Qui bourdonne l’été sur les coins de ta bouche, C’est donc là vivre, ô belle enfant ! Nul ne verra briller cette étoile nocturne ! Nul n’entendra chanter ce muet rossignol ! Nul ne respirera ces haleines du sol Que la fleur du désert laisse mourir dans l’urne ! Non, Dieu ne brise pas sous ses fruits immortels L’arbre dont le génie a fait courber la tige ; Ce qu’oublia le temps, ce que l’homme néglige, Il le réserve à ses autels ! Ce qui meurt dans les airs, c’est le ciel qui l’aspire : Les anges amoureux recueillent flots à flots Cette vie écoulée en stériles sanglots ; Leur aile emporte ailleurs ce que ta voix soupire De ces langueurs de l’âme où gémit ton destin, De tes pleurs sur ta joue, hélas ! jamais cueillies, De ces espoirs trompés, et ces mélancolies, Qui pâlissent ion pur matin. Ils composent tes chants, mélodieux murmure Qui s’échappe du cœur par le cœur répondu, Comme l’arbre d’encens que le fer a fendu Verse en baume odorant le sang de sa blessure ! Aux accords du génie, à ces divins concerts, Ils mêlent étonnés ces pleurs de jeune fille Qui tombent de ses yeux et baignent son aiguille, Et tous les soupirs sont des vers ! Savent-ils seulement si le monde l’écoute ? Si l’indigence énerve un génie inconnu ? Si le céleste encens au foyer contenu Avec l’eau de ses yeux dans l’argile s’égoutte ? Qu’importe aux voix du ciel l’humble écho d’ici-bas ? Les plus divins accords qui montent de la terre Sont les élans muets de l’âme solitaire, Que le vent même n’entend pas. Non, je n’ai jamais vu la pâle giroflée, Fleurissant au sommet de quelque vieille tour Que bat le vent du Nord ou l’aile du vautour, Incliner sur le mur sa tige échevelée ; Non, je n’ai jamais vu la stérile beauté, Pâlissant sous ses pleurs sa fleur décolorée, S’exhaler sans amour et mourir ignorée, Sans croire à l’immortalité ! Passe donc tes doigts blancs sur tes yeux, jeune fille, Et laisse évaporer ta vie avec tes chants ! Le souffle du Très-Haut sur chaque herbe des champs Cueille la perle d’or où l’aurore scintille ; Toute vie est un flot de la mer de douleurs ; Leur amertume un jour sera ton ambroisie : Car l’urne de la gloire et de la poésie Ne se remplit que de nos pleurs ! Saint-Point, 24 août 1838.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Consolation Quand le Dieu qui me frappe, attendri par mes larmes, De mon coeur oppressé soulève un peu sa main, Et, donnant quelque trêve à mes longues alarmes, Laisse tarir mes yeux et respirer mon sein ; Soudain, comme le flot refoulé du rivage Aux bords qui l’ont brisé revient en gémissant, Ou comme le roseau, vain jouet de l’orage, Qui plie et rebondit sous la main du passant, Mon coeur revient à Dieu, plus docile et plus tendre, Et de ses châtiments perdant le souvenir, Comme un enfant soumis n’ose lui faire entendre Qu’un murmure amoureux pour se plaindre et bénir ! Que le deuil de mon âme était lugubre et sombre ! Que de nuits sans pavots, que de jours sans soleil ! Que de fois j’ai compté les pas du temps dans l’ombre, Quand les heures passaient sans mener le sommeil! Mais loin de moi ces temps! que l’oubli les dévore ! Ce qui n’est plus pour l’homme a-t-il jamais été ? Quelques jours sont perdus; mais le bonheur encore, Peut fleurir sous mes yeux comme une fleur d’été ! Tous les jours sont à toi! que t’importe leur nombre ? Tu dis : le temps se hâte, ou revient sur ses pas; Eh ! n’es-tu pas celui qui fit reculer l’ombre Sur le cadran rempli d’un roi que tu sauvas ? Si tu voulais! ainsi le torrent de ma vie, À sa source aujourd’hui remontant sans efforts, Nourrirait de nouveau ma jeunesse tarie, Et de ses flots vermeils féconderait ses bords; Ces cheveux dont la neige, hélas ! argente à peine Un front où la douleur a gravé le passé, S’ombrageraient encor de leur touffe d’ébène, Aussi pur que la vague où le cygne a passé! L’amour ranimerait l’éclat de ces prunelles, Et ce foyer du coeur, dans les yeux répété, Lancerait de nouveau ces chastes étincelles Qui d’un désir craintif font rougir la beauté ! Dieu ! laissez-moi cueillir cette palme féconde, Et dans mon sein ravi l’emporter pour toujours, Ainsi que le torrent emporte dans son onde Les roses de Saron qui parfument son cours ! Quand pourrai-je la voir sur l’enfant qui repose S’incliner doucement dans le calme des nuits ? Quand verrai-je ses fils de leurs lèvres de rose Se suspendre à son sein comme l’abeille aux lis ! A l’ombre du figuier, près du courant de l’onde, Loin de l’oeil de l’envie et des pas du pervers, Je bâtirai pour eux un nid parmi le monde, Comme sur un écueil l’hirondelle des mers ! Là, sans les abreuver à ces sources amères Où l’humaine sagesse a mêlé son poison, De ma bouche fidèle aux leçons de mes pères, Pour unique sagesse ils apprendront ton nom ! Là je leur laisserai, pour unique héritage, Tout ce qu’à ses petits laisse l’oiseau du ciel, L’eau pure du torrent, un nid sous le feuillage, Les fruits tombés de l’arbre, et ma place au soleil! Alors, le front chargé de guirlandes fanées, Tel qu’un vieux olivier parmi ses rejetons, Je verrai de mes fils les brillantes années Cacher mon tronc flétri sous leurs jeunes festons ! Alors j’entonnerai l’hymne de ma vieillesse, Et, convive enivré des vins de ta bonté, Je passerai la coupe aux mains de la jeunesse, Et je m’endormirai dans ma félicité !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Le vallon Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance, N’ira plus de ses vœux importuner le sort ; Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance, Un asile d’un jour pour attendre la mort. Voici l’étroit sentier de l’obscure vallée : Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais, Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée, Me couvrent tout entier de silence et de paix. Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure Tracent en serpentant les contours du vallon ; Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure, Et non loin de leur source ils se perdent sans nom. La source de mes jours comme eux s’est écoulée ; Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour : Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour. La fraîcheur de leurs lits, l’ombre qui les couronne, M’enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux ; Comme un enfant bercé par un chant monotone, Mon âme s’assoupit au murmure des eaux. Ah ! c’est là qu’entouré d’un rempart de verdure, D’un horizon borné qui suffit à mes yeux, J’aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature, À n’entendre que l’onde, à ne voir que les cieux. J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ; Je viens chercher vivant le calme du Léthé. Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie : L’oubli seul désormais est ma félicité. Mon cœur est en repos, mon âme est en silence ; Le bruit lointain du monde expire en arrivant, Comme un son éloigné qu’affaiblit la distance, À l’oreille incertaine apporté par le vent. D’ici je vois la vie, à travers un nuage, S’évanouir pour moi dans l’ombre du passé ; L’amour seul est resté, comme une grande image Survit seule au réveil dans un songe effacé. Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile, Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir, S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville, Et respire un moment l’air embaumé du soir. Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ; L’homme par ce chemin ne repasse jamais ; Comme lui, respirons au bout de la carrière Ce calme avant-coureur de l’éternelle paix. Tes jours, sombres et courts comme les jours d’automne, Déclinent comme l’ombre au penchant des coteaux ; L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne, Et, seule, tu descends le sentier des tombeaux. Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ; Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours : Quand tout change pour toi, la nature est la même, Et le même soleil se lève sur tes jours. De lumière et d’ombrage elle t’entoure encore : Détache ton amour des faux biens que tu perds ; Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore, Prête avec lui l’oreille aux célestes concerts. Suis le jour dans le ciel, suis l’ombre sur la terre ; Dans les plaines de l’air vole avec l’aquilon ; Avec les doux rayons de l’astre du mystère Glisse à travers les bois dans l’ombre du vallon. Dieu, pour le concevoir, a fait l’intelligence : Sous la nature enfin découvre son auteur ! Une voix à l’esprit parle dans son silence : Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Les voiles Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes, Les ailes de mon âme à tous les vents des mers, Les voiles emportaient ma pensée avec elles, Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers. Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin Des continents de vie et des îles de joie Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main. J’enviais chaque nef qui blanchissait l’écume, Heureuse d’aspirer au rivage inconnu, Et maintenant, assis au bord du cap qui fume, J’ai traversé ces flots et j’en suis revenu. Et j’aime encor ces mers autrefois tant aimées, Non plus comme le champ de mes rêves chéris, Mais comme un champ de mort où mes ailes semées De moi-même partout me montrent les débris. Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste, Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ; La foudre ici sur moi tomba de l’arc céleste Et chacun de ces flots roule un peu de mon coeur.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Pensée des morts Voilà les feuilles sans sève Qui tombent sur le gazon, Voilà le vent qui s’élève Et gémit dans le vallon, Voilà l’errante hirondelle . Qui rase du bout de l’aile : L’eau dormante des marais, Voilà l’enfant des chaumières Qui glane sur les bruyères Le bois tombé des forêts. L’onde n’a plus le murmure , Dont elle enchantait les bois ; Sous des rameaux sans verdure. Les oiseaux n’ont plus de voix ; Le soir est près de l’aurore, L’astre à peine vient d’éclore Qu’il va terminer son tour, Il jette par intervalle Une heure de clarté pâle Qu’on appelle encore un jour. L’aube n’a plus de zéphire Sous ses nuages dorés, La pourpre du soir expire Sur les flots décolorés, La mer solitaire et vide N’est plus qu’un désert aride Où l’oeil cherche en vain l’esquif, Et sur la grève plus sourde La vague orageuse et lourde N’a qu’un murmure plaintif. La brebis sur les collines Ne trouve plus le gazon, Son agneau laisse aux épines Les débris de sa toison, La flûte aux accords champêtres Ne réjouit plus les hêtres Des airs de joie ou d’amour, Toute herbe aux champs est glanée : Ainsi finit une année, Ainsi finissent nos jours ! C’est la saison où tout tombe Aux coups redoublés des vents ; Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants : Ils tombent alors par mille, Comme la plume inutile Que l’aigle abandonne aux airs, Lorsque des plumes nouvelles Viennent réchauffer ses ailes A l’approche des hivers. C’est alors que ma paupière Vous vit pâlir et mourir, Tendres fruits qu’à la lumière Dieu n’a pas laissé mûrir ! Quoique jeune sur la terre, Je suis déjà solitaire Parmi ceux de ma saison, Et quand je dis en moi-même : Où sont ceux que ton coeur aime ? Je regarde le gazon. Leur tombe est sur la colline, Mon pied la sait ; la voilà ! Mais leur essence divine, Mais eux, Seigneur, sont-ils là ? Jusqu’à l’indien rivage Le ramier porte un message Qu’il rapporte à nos climats ; La voile passe et repasse, Mais de son étroit espace Leur âme ne revient pas. Ah ! quand les vents de l’automne Sifflent dans les rameaux morts, Quand le brin d’herbe frissonne, Quand le pin rend ses accords, Quand la cloche des ténèbres Balance ses glas funèbres, La nuit, à travers les bois, A chaque vent qui s’élève, A chaque flot sur la grève, Je dis : N’es-tu pas leur voix? Du moins si leur voix si pure Est trop vague pour nos sens, Leur âme en secret murmure De plus intimes accents ; Au fond des coeurs qui sommeillent, Leurs souvenirs qui s’éveillent Se pressent de tous côtés, Comme d’arides feuillages Que rapportent les orages Au tronc qui les a portés ! C’est une mère ravie A ses enfants dispersés, Qui leur tend de l’autre vie Ces bras qui les ont bercés ; Des baisers sont sur sa bouche, Sur ce sein qui fut leur couche Son coeur les rappelle à soi ; Des pleurs voilent son sourire, Et son regard semble dire : Vous aime-t-on comme moi ? C’est une jeune fiancée Qui, le front ceint du bandeau, N’emporta qu’une pensée De sa jeunesse au tombeau ; Triste, hélas ! dans le ciel même, Pour revoir celui qu’elle aime Elle revient sur ses pas, Et lui dit : Ma tombe est verte ! Sur cette terre déserte Qu’attends-tu ? Je n’y suis pas ! C’est un ami de l’enfance, Qu’aux jours sombres du malheur Nous prêta la Providence Pour appuyer notre cœur ; Il n’est plus ; notre âme est veuve, Il nous suit dans notre épreuve Et nous dit avec pitié : Ami, si ton âme est pleine, De ta joie ou de ta peine Qui portera la moitié ? C’est l’ombre pâle d’un père Qui mourut en nous nommant ; C’est une soeur, c’est un frère, Qui nous devance un moment ; Sous notre heureuse demeure, Avec celui qui les pleure, Hélas ! ils dormaient hier ! Et notre coeur doute encore, Que le ver déjà dévore Cette chair de notre chair ! L’enfant dont la mort cruelle Vient de vider le berceau, Qui tomba de la mamelle Au lit glacé du tombeau ; Tous ceux enfin dont la vie Un jour ou l’autre ravie, Emporte une part de nous, Murmurent sous la poussière : Vous qui voyez la lumière, Vous souvenez-vous de nous ? Ah ! vous pleurer est le bonheur suprême Mânes chéris de quiconque a des pleurs ! Vous oublier c’est s’oublier soi-même : N’êtes-vous pas un débris de nos coeurs ? En avançant dans notre obscur voyage, Du doux passé l’horizon est plus beau, En deux moitiés notre âme se partage, Et la meilleure appartient au tombeau ! Dieu du pardon ! leur Dieu ! Dieu de leurs pères ! Toi que leur bouche a si souvent nommé ! Entends pour eux les larmes de leurs frères ! Prions pour eux, nous qu’ils ont tant aimé ! Ils t’ont prié pendant leur courte vie, Ils ont souri quand tu les as frappés ! Ils ont crié : Que ta main soit bénie ! Dieu, tout espoir ! les aurais-tu trompés ? Et cependant pourquoi ce long silence ? Nous auraient-ils oubliés sans retour ? N’aiment-ils plus ? Ah ! ce doute t’offense ! Et toi, mon Dieu, n’es-tu pas tout amour ? Mais, s’ils parlaient à l’ami qui les pleure, S’ils nous disaient comment ils sont heureux, De tes desseins nous devancerions l’heure, Avant ton jour nous volerions vers eux. Où vivent-ils ? Quel astre, à leur paupière Répand un jour plus durable et plus doux ? Vont-ils peupler ces îles de lumière ? Ou planent-ils entre le ciel et nous ? Sont-ils noyés dans l’éternelle flamme ? Ont-ils perdu ces doux noms d’ici-bas, Ces noms de soeur et d’amante et de femme ? A ces appels ne répondront-ils pas ? Non, non, mon Dieu, si la céleste gloire Leur eût ravi tout souvenir humain, Tu nous aurais enlevé leur mémoire ; Nos pleurs sur eux couleraient-ils en vain ? Ah ! dans ton sein que leur âme se noie ! Mais garde-nous nos places dans leur cœur ; Eux qui jadis ont goûté notre joie, Pouvons-nous être heureux sans leur bonheur ? Etends sur eux la main de ta clémence, Ils ont péché; mais le ciel est un don ! Ils ont souffert; c’est une autre innocence ! Ils ont aimé; c’est le sceau du pardon ! Ils furent ce que nous sommes, Poussière, jouet du vent ! Fragiles comme des hommes, Faibles comme le néant ! Si leurs pieds souvent glissèrent, Si leurs lèvres transgressèrent Quelque lettre de ta loi, Ô Père! ô juge suprême ! Ah ! ne les vois pas eux-mêmes, Ne regarde en eux que toi ! Si tu scrutes la poussière, Elle s’enfuit à ta voix ! Si tu touches la lumière, Elle ternira tes doigts ! Si ton oeil divin les sonde, Les colonnes de ce monde Et des cieux chancelleront : Si tu dis à l’innocence : Monte et plaide en ma présence ! Tes vertus se voileront. Mais toi, Seigneur, tu possèdes Ta propre immortalité ! Tout le bonheur que tu cèdes Accroît ta félicité ! Tu dis au soleil d’éclore, Et le jour ruisselle encore ! Tu dis au temps d’enfanter, Et l’éternité docile, Jetant les siècles par mille, Les répand sans les compter ! Les mondes que tu répares Devant toi vont rajeunir, Et jamais tu ne sépares Le passé de l’avenir ; Tu vis ! et tu vis ! les âges, Inégaux pour tes ouvrages, Sont tous égaux sous ta main ; Et jamais ta voix ne nomme, Hélas ! ces trois mots de l’homme : Hier, aujourd’hui, demain ! Ô Père de la nature, Source, abîme de tout bien, Rien à toi ne se mesure, Ah ! ne te mesure à rien ! Mets, à divine clémence, Mets ton poids dans la balance, Si tu pèses le néant ! Triomphe, à vertu suprême ! En te contemplant toi-même, Triomphe en nous pardonnant !

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Le buffet C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre, Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ; Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ; Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries, De linges odorants et jaunes, de chiffons De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries, De fichus de grand’mère où sont peints des griffons ; – C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits. – Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

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    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    La cloche du soir Quand la cloche du soir, dans l’air mélancolique, Vibre et rappelle au loin, vers le chaume rustique, Le pâtre et ses troupeaux dans les champs dispersés, Des ans qui ne sont plus le souvenir s’éveille, Et dans les voix du soir je crois prêter l’oreille A la voix de mes jours passés. Où sont mes frais espoirs ? Craintives hirondelles, Vers les pays d’azur ouvrant leurs jeunes ailes, Avec mes beaux soleils ils se sont éclipsés ; Ils ont fui des hivers les haleines trop rudes. Oh ! revenez parfois peupler mes solitudes, Doux fantômes des jours passés ! Où ont mes compagnons de joie et de jeunesse ? L’avenir a trahi sa riante promesse : Les meilleurs dans la mort reposent embrassés ! De ceux qui restent l’âme est oublieuse ou fière. Rappelez à mon cœur leur tendresse première, Douce voix de mes jours passés ! Où donc est cette enfant toute blonde et naïve Que j’aimais, jeune encor, d’une amitié si vive ? De nos sentiers déjà ses pas sont effacés ; Et du clocher natal, dans ta sombre demeure, Tu n’entends plus la voix qui vibre et qui te pleure, Douce Amour de mes jours passés ! Cloche, qui chaque soir, comme une sainte mère, Me rappelais des champs pour dire ma prière, Quand la chaleur fuira de mes membres glacés, Que ta voix dans les airs m’arrive et me console ; Au ciel avec tes sons que mon âme s’envole, Doux timbre de mes jours passés !

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    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    La vierge des pamplemousses Marie, ô douce enfant aux grands yeux de gazelle, Qui naquis sur un sol où croissent les palmiers ; Toi dont l’âme charmante et les songes premiers Se sont ouverts, bercés à la voix fraternelle Des bengalis et des ramiers ! O douce enfant ! ta vie aux flots riants et calmes, Pareille aux bassins bleus de mon climat natal, N’a jamais réfléchi dans son sein virginal Que la liane en fleur et l’arbre aux vertes palmes Penchés sur son mouvant cristal. Sous les bambous lustrés où l’oiseau de la Vierge Fait son nid, où la brise a d’ineffables voix, Au pied du morne, abri de la biche aux abois, Parmi les blancs lotus qui parfumaient ta berge, Ton onde errait, source des bois ! Le soleil sous le dôme où ton urne s’épanche, En rayons tamisés te versait sa clarté, Et l’astre aux feux d’argent des tièdes nuits d’été, Comme un oiseau, semblait passer de branche en branche, Pour se mirer dans ta beauté. Le poète qui rêve au fond de nos ravines, Ivre d’ombre et d’oubli, charme des lieux déserts, En t’écoutant courir sous les framboisiers verts, Sentait, enveloppé de tes fraîcheurs divines, Chanter en lui l’esprit des vers. Et voici que tes flots, changeant leur destinée, Loin du lit maternel vont prendre un autre cours ; L’oranger te sourit au rivage où tu cours, Et tu vas réfléchir dans ton eau fortunée D’autres bonheurs, d’autres amours. Et moi, moi que berçait ta voix parmi les mousses, Plongé dans le présent, j’oubliais l’avenir. Un jour vient où la vigne à l’ormeau veut s’unir ; Et l’enfant aux grands yeux, l’enfant des Pamplemousses N’est plus pour nous qu’un souvenir ! Et c’est la vie, hélas ! tout change et rien ne dure. L’été sort du printemps, du bouton naît la fleur. Pardonne à ces regrets que dément ton bonheur ! Ma pensive amitié, belle enfant, se rassure, Voyant le choix fait par ton cœur. L’âme honnête et virile à ta jeune âme unie, D’un monde aux durs sentiers t’aplanira le sol. Vers le nid du ramier, colombe, prends ton vol ! Nous léguons notre vierge, – une autre Virginie – Aux dévoûments d’un autre Paul ! Septembre 1867.

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    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Le passé ! Happy years ! Once more who would not be a boy ? Byron. Passé, matins riants, bienheureuses années, Candeurs des jours éteints, illusions fanées, Ah ! pour vous ressaisir, vous que nous pleurons tant, Ah ! qui donc ne voudrait redevenir enfant ! Comme ils sont loin déjà, les jours de mon enfance ! La vie en moi s’ouvrait dans sa fleur d’innocence ; De mon être imprégné d’odorante fraîcheur Un parfum printanier montait vers le Seigneur ; Et, tel qu’un arbre en fleur, mon esprit plein de sèves Berçait au vent de Dieu la beauté de ses rêves ! Du chant voilé des eaux, du bruit mourant des bois J’enivrais mon oreille et j’emplissais ma voix ; Ma Muse se baignait, blonde et jeune d’années, Dans les moites senteurs des vertes matinées ; Et l’inspiration au virginal essor Se levait sur mon âme ainsi qu’une aube d’or. Poète, oh ! je l’étais alors ! et mes pensées S’épandaient dans les airs en ondes cadencées, Et, comme un lac au fond des bois mystérieux, Pures, réfléchissaient la pureté des cieux. De la foi sur mes jours brillait encor l’étoile ; Je trouvais Dieu partout sans mystère et sans voile : Je l’entendais parler dans le bruit des roseaux, Je l’entendais chanter dans la voix des oiseaux, Je le sentais passer dans les larges haleines Des brises ondoyant au sein profond des plaines ; Je le voyais sourire et briller plus qu’ailleurs Dans la splendeur de l’astre et la gloire des fleurs ! Et de mon âme ouverte, effusion première, Montait ma poésie en strophes de lumière ; Et, tel que la colombe à l’harmonieux vol, Mon esprit sans effort se détachait du sol Et dans les feux de l’aube, aux voûtes éternelles, N’avait pour s’élever qu’à déployer les ailes ! Mais ces temps ne sont plus ! Sans flamme et sans accords, Je languis désormais sous les chaînes du corps. Mon luth n’a plus de corde où vibre l’espérance ; Ma voix est un sanglot, mon chant, une souffrance ; Et, comme cet arbuste aux larmes d’ambre et d’or, A qui le fer cruel fait saigner son trésor, Trahissant à mes flancs de secrètes morsures, Mes vers ne coulent plus qu’à travers mes blessures ! Et ces vers douloureux, cette amère liqueur, Goutte à goutte, en secret, s’épanchant de mon cœur, Me font plus douce encor la douce poésie Dont s’abreuvait, enfant, ma jeune fantaisie. Et je songe avec pleurs à mon enfance aux bois, A ma lyre facile, à mes chants d’autrefois, A ces jours où, pareils au lys de ma colline, Essaim mélodieux à la voix cristalline, Mes frais pensers, ouvrant leurs ailes de blancheur, D’un naturel essor s’en allaient au Seigneur ! Et je me dis alors, pris du mal de la vie, Et vers mes jours éteints tournant des yeux d’envie : Pour croire et pour aimer, pour prier et chanter, Pour se sentir vers Dieu palpiter et monter, Pour déborder de foi, de sève et de puissance, Pour revêtir d’Abel la robe d’innocence, Pour être fort et pur, candide et triomphant, Ah ! qui donc ne voudrait redevenir enfant !

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    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Souvenirs d’enfance O frère, ô jeune ami, dernier fils de ma mère, O toi qui devanças, dans le val regretté, Cette enfant, notre sœur, une rose éphémère, Qui ne vécut qu’un jour d’été ; Que fais-tu, cher absent, ô mon frère ! à cette heure Où mon cœur et mes yeux se retournent vers toi ? Ta pensée, évoquant les beaux jours que je pleure, Revole-t-elle aussi vers moi ? Souvent dans mon exil, je rêve à notre enfance, A nos matins si purs écoulés sous les bois, Et sur mon front le vent des souvenirs balance Les molles ombres d’autrefois. Pour tromper les ennuis d’un présent bien aride Pour rafraîchir mon pied que la route a lassé, Je remonte, songeur, à la source limpide Qui gazouille dans mon passé. De nos beaux jours c’était le matin et le rêve : Tout était joie et chants, fleurs et félicités ! O bonheurs des enfants que le temps nous enlève, Pourquoi nous avez-vous quittés ? Nous étions trois alors. Éveillés dès l’aurore, Sortant du nid à l’heure où l’aube sort du ciel, Nous allions dans les fleurs qu’elle avait fait éclore Boire la rosée et le miel. Elle et toi, de concert à ma voix indociles, Vous braviez du soleil les torrides chaleurs. Quand ma mère accourait, l’arbre aux ombres mobiles Voilait nos plaisirs querelleurs. Elle avait tout vu. Quittant le frais ombrage, Nous lisions notre faute à son front rembruni. Moi – j’étais votre aîné – bien qu’étant le plus sage, Je n’étais pas le moins puni. Nous la suivions. Bientôt, trompant sa vigilance, Nous revolions aux champs, au grand air, au soleil, Et des bois assoupis, tiède abri du silence, Nous allions troubler le sommeil. Alors, malheur à l’arbre à la grappe embaumée, Au fruit d’or rayonnant à travers les rameaux ! Nous brisions branche et fruits, la grappe et la ramée, Et jusqu’aux nids des tourtereaux. Et puis nous descendions la pente des ravines, Où l’onde et les oiseaux confondaient leurs chansons, Nous heurtant aux cailloux, nous blessant aux épines Des framboisiers et des buissons. Un lac était au bas, large, aux eaux peu profondes. Sur ses bords qu’ombrageait le dais mouvant des bois, Avec les beaux oiseaux furtifs amis des ondes, Enfants, nous jouions tous les trois. Pour suivre sur les flots leur caprice sauvage, Des troncs du bananier nous faisions un radeau, Et sur ce frêle esquif, glissant près du rivage, Nous poursuivions les poules d’eau. Ma sœur, trempant ses pieds dans l’onde claire et belle, Comme la fée-enfant de ces bords enchanteurs, Jetait aux bleus oiseaux qui nageaient devant elle Des fruits, des baisers et des fleurs. Et puis nous revenions. Notre mère, inquiète, Pour nous punir s’armant de sévères froideurs, Nous attendait au seuil de l’humble maisonnette, Heureuse, avec des mots grondeurs. O chagrin des enfants, qu’aisément tu désarmes Les mères ! Nous donnant et des fruits et du lait, Elle mêlait aux mots qui nous coûtaient des larmes Le baiser qui nous consolait. Ainsi coulaient nos jours. – O radieuse aurore ! O mes doux compagnons, je crois vous voir encore ! Bonheurs évanouis des printemps révolus, Soleils des gais matins qui ne m’éclairez plus, A vos jeunes chaleurs rajeunissant mon être, Je sens mon cœur revivre et mon passé renaître ! Je vous retrouve enfin ! Je vois là, sous mes yeux, Courir sur les gazons mes souvenirs joyeux. Je vois, de notre mère oubliant la défense, Par les grands champs de riz voltiger notre enfance. Chassons le papillon, l’insecte, les oiseaux, Glanons un fruit tombé sur le cristal des eaux ; C’est le ravin, le lac aux vagues argentines, Le vieil arbre ombrageant nos têtes enfantines ; C’est toi, c’est notre mère aux yeux pleins de douceur ! C’est moi, c’est… ; ô mon frère ! où donc est notre sœur ? Un tertre vert, voilà ce qui nous reste d’elle ! Quand une âme est si blanche, à lui Dieu la rappelle. Tige, orgueil de nos champs et que la brise aimait, Tout en elle brillait, fleurissait, embaumait. Lys sans tache, à la vie elle venait d’éclore, Douce comme un parfum, blonde comme une aurore ! Le soleil à ses jours mesurait les chaleurs ; Des roses du Bengale elle avait les pâleurs. Oh ! les fins cheveux d’or ! Les nouvelles épouses Du bonheur de ma mère, hélas ! étaient jalouses. Toutes lui faisaient fête et, des mains et des yeux Caressant de son front l’ovale harmonieux, Demandaient au Seigneur, d’une lèvre muette, Un blond enfant semblable à cette blonde tête ! Nos Noirs, comme ils l’aimaient ! Dans leur langue de feu Ils la disaient l’étoile et la fille de Dieu. Naïfs, ils comparaient cette fleur des savanes Aux fraîches visions qui hantent les cabanes : C’était un bon génie, une âme douce aux Noirs ; Et, lorsque du labour ils revenaient, les soirs, Tous, ils lui rapportaient des nids et des jam-roses, Ou le bleu papillon, amant ailé des roses. Hélas ! que vous dirais-je encor de notre sœur ? Elle était tout pour nous, grâce et fée, astre et fleur ; L’ange de la maison au nimbe d’innocence ; La tige virginale, et le palmier d’enfance Qui, croissant avec nous sous les yeux maternels, Mêlait à nos rameaux ses rameaux fraternels. C’est ma nourrice aussi qui l’avait élevée : Nous étions presque enfants d’une même couvée ; Oiseaux à qui le ciel faisait des jours pareils, Un même nid le soir berçait nos longs sommeils. Temps heureux ! Et la mort ! ô deuil ! ma pauvre mère !… Elle vint après nous et s’en fut la première. Sous un souffle glacé j’ai vu ployer son corps ; L’ange froid des tombeaux éteignit sa prunelle, Et, loin d’un sol en pleurs l’emportant sur son aile, Ensemble ils sont partis pour le pays des morts. Sa tombe ?… Elle est au pied de la haute colline Dont le front large et nu sur l’Océan s’incline ; Où la vague aux soupirs des mornes filaos Vient mêler jour et nuit ses lugubres sanglots, Et semble pour les morts, d’une voix solennelle, Chanter le Requiem de sa plainte éternelle. Paris, 1840.

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    B

    Bertrand Naivin

    @bertrandNaivin

    Ce corps vieux pour ton âge Elle t’a laissée cette vie qui n’y a jamais cru à l’indolence nue sur la plage au beignet sans remords Toi tu n’as toujours vu que la chute le plaisir de trop là dans ces vagues qui s’avancent le risque de noyade Et sur ce corps vieux pour ton âge seuls tes deux seins osent encore prétendre à la caresse à la volupté de l’adolescence

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    Casimir Delavigne

    Casimir Delavigne

    @casimirDelavigne

    Les limbes Comme un vain rêve du matin, Un parfum vague, un bruit lointain, C’est je ne sais quoi d’incertain Que cet empire ; Lieux qu’à peine vient éclairer Un jour qui, sans rien colorer, À chaque instant près d’expirer, Jamais n’expire. Partout cette demi-clarté Dont la morne tranquillité Suit un crépuscule d’été, Ou de l’aurore, Fait pressentir que le retour Va poindre au céleste séjour, Quand la nuit n’est plus, quand le jour N’est pas encore ! Ce ciel terne, où manque un soleil, N’est jamais bleu, jamais vermeil ; Jamais brisé, dans ce sommeil De la nature, N’agita d’un frémissement La torpeur de ce lac dormant, Dont l’eau n’a point de mouvement, Point de murmure. L’air n’entr’ouvre sous sa tiédeur Que fleurs qui, presque sans odeur, Comme les lis ont la candeur De l’innocence ; Sur leur sein pâle et sans reflets Languissent des oiseaux muets : Dans le ciel, l’onde et les forêts, Tout est silence. Loin de Dieu, là, sont renfermés Les milliers d’êtres tant aimés, Qu’en ces bosquets inanimés La tombe envoie. Le calme d’un vague loisir, Sans regret comme sans désir, Sans peine comme sans plaisir, C’est là leur joie. Là, ni veille ni lendemain ! Ils n’ont sur un bonheur prochain, Sur celui qu’on rappelle en vain, Rien à se dire. Leurs sanglots ne troublent jamais De l’air l’inaltérable paix ; Mais aussi leur rire jamais N’est qu’un sourire. Sur leurs doux traits que de pâleur ! Adieu cette fraîche couleur Qui de baiser leur joue en fleur Donnait l’envie ! De leurs yeux, qui charment d’abord, Mais dont aucun éclair ne sort, Le morne éclat n’est pas la mort, N’est pas la vie. Rien de bruyant, rien d’agité Dans leur triste félicité ! Ils se couronnent sans gaîté De fleurs nouvelles. Ils se parlent, mais c’est tout bas ; Ils marchent, mais c’est pas à pas ; Ils volent, mais on n’entend pas Battre leurs ailes. Parmi tout ce peuple charmant, Qui se meut si nonchalamment, Qui fait sous son balancement Plier les branches, Quelle est cette ombre aux blonds cheveux, Au regard timide, aux yeux bleus, Qui ne mêle pas à leurs jeux Ses ailes blanches ? Elle arrive, et, fantôme ailé, Elle n’a pas encor volé ; L’effroi dont son cœur est troublé, J’en vois la cause : N’est-ce pas celui que ressent La colombe qui, s’avançant Pour essayer son vol naissant, Voudrait et n’ose ? Non ; dans ses yeux roulent des pleurs. Belle enfant, calme tes douleurs ; Là sont des fruits, là sont des fleurs Dont tu disposes. Laisse-toi tenter, et, crois-moi, Cueille ces roses sans effroi ; Car, bien que pâles comme toi, Ce sont des roses. Triomphe en tenant à deux mains Ta robe pleine de jasmins ; Et puis, courant par les chemins, Va les répandre. Viens, tu prendras en le guettant L’oiseau qui, sans but voletant, N’aime ni ne chante, et partant Se laisse prendre. Avec ces enfants tu joûras ; Viens, ils tendent vers toi les bras ; On danse tristement là-bas, Mais on y danse. Pourquoi penser, pleurer ainsi ? Aucun enfant ne pleure ici, Ombre rêveuse ; mais aussi Aucun ne pense. Dieu permet-il qu’un souvenir Laisse ton cœur entretenir D’un bien qui ne peut revenir L’idée amère ? « Oui, je me souviens du passé Du berceau vide où j’ai laissé Mon rêve à peine commencé, Et de ma mère. »

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    L'horloge Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit : "Souviens-toi ! Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi Se planteront bientôt comme dans une cible, Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ; Chaque instant te dévore un morceau du délice A chaque homme accordé pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois, Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde ! Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor ! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    La chambre double Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu. L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. — C’est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse. Les meubles ont des formes allongées, prostrées, alanguies. Les meubles ont l’air de rêver ; on les dirait doués d’une vie somnambulique, comme le végétal et le minéral. Les étoffes parlent une langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils couchants. Sur les murs nulle abomination artistique. Relativement au rêve pur, à l’impression non analysée, l’art défini, l’art positif est un blasphème. Ici, tout a la suffisante clarté et la délicieuse obscurité de l’harmonie. Une senteur infinitésimale du choix le plus exquis, à laquelle se mêle une très-légère humidité, nage dans cette atmosphère, où l’esprit sommeillant est bercé par des sensations de serre-chaude. La mousseline pleut abondamment devant les fenêtres et devant le lit ; elle s’épanche en cascades neigeuses. Sur ce lit est couchée l’Idole, la souveraine des rêves. Mais comment est-elle ici ? Qui l’a amenée ? quel pouvoir magique l’a installée sur ce trône de rêverie et de volupté ? Qu’importe ? la voilà ! je la reconnais. Voilà bien ces yeux dont la flamme traverse le crépuscule ; ces subtiles et terribles mirettes, que je reconnais à leur effrayante malice ! Elles attirent, elles subjuguent, elles dévorent le regard de l’imprudent qui les contemple. Je les ai souvent étudiées, ces étoiles noires qui commandent la curiosité et l’admiration. À quel démon bienveillant dois-je d’être ainsi entouré de mystère, de silence, de paix et de parfums ? Ô béatitude ! ce que nous nommons généralement la vie, même dans son expansion la plus heureuse, n’a rien de commun avec cette vie suprême dont j’ai maintenant connaissance et que je savoure minute par minute, seconde par seconde ! Non ! il n’est plus de minutes, il n’est plus de secondes ! Le temps a disparu ; c’est l’Éternité qui règne, une éternité de délices ! Mais un coup terrible, lourd, a retenti à la porte, et, comme dans les rêves infernaux, il m’a semblé que je recevais un coup de pioche dans l’estomac. Et puis un Spectre est entré. C’est un huissier qui vient me torturer au nom de la loi ; une infâme concubine qui vient crier misère et ajouter les trivialités de sa vie aux douleurs de la mienne ; ou bien le saute-ruisseau d’un directeur de journal qui réclame la suite du manuscrit. La chambre paradisiaque, l’idole, la souveraine des rêves, la Sylphide, comme disait le grand René, toute cette magie a disparu au coup brutal frappé par le Spectre. Horreur ! je me souviens ! je me souviens ! Oui ! ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui, est bien le mien. Voici les meubles sots, poudreux, écornés ; la cheminée sans flamme et sans braise, souillée de crachats ; les tristes fenêtres où la pluie a tracé des sillons dans la poussière ; les manuscrits, raturés ou incomplets ; l’almanach où le crayon a marqué les dates sinistres ! Et ce parfum d’un autre monde, dont je m’enivrais avec une sensibilité perfectionnée, hélas ! il est remplacé par une fétide odeur de tabac mêlée à je ne sais quelle nauséabonde moisissure. On respire ici maintenant le ranci de la désolation. Dans ce monde étroit, mais si plein de dégoût, un seul objet connu me sourit : la fiole de laudanum ; une vieille et terrible amie ; comme toutes les amies, hélas ! féconde en caresses et en traîtrises. Oh ! oui ! Le Temps a reparu ; Le Temps règne en souverain maintenant ; et avec le hideux vieillard est revenu tout son démoniaque cortége de Souvenirs, de Regrets, de Spasmes, de Peurs, d’Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses. Je vous assure que les secondes maintenant sont fortement et solennellement accentuées, et chacune, en jaillissant de la pendule, dit : — « Je suis la Vie, l’insupportable, l’implacable Vie ! » Il n’y a qu’une Seconde dans la vie humaine qui ait mission d’annoncer une bonne nouvelle, la bonne nouvelle qui cause à chacun une inexplicable peur. Oui ! le Temps règne ; il a repris sa brutale dictature. Et il me pousse, comme si j’étais un bœuf, avec son double aiguillon. — « Et hue donc ! bourrique ! Sue donc, esclave ! Vis donc, damné ! »

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le désespoir de la vieille La petite vieille ratatinée se sentit toute réjouie en voyant ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde voulait plaire ; ce joli être, si fragile comme elle, la petite vieille, et, comme elle aussi, sans dents et sans cheveux. Et elle s’approcha de lui, voulant lui faire des risettes et des mines agréables. Mais l’enfant épouvanté se débattait sous les caresses de la bonne femme décrépite, et remplissait la maison de ses glapissements. Alors la bonne vieille se retira dans sa solitude éternelle, et elle pleurait dans un coin, se disant : — « Ah ! pour nous, malheureuses vieilles femelles, l’âge est passé de plaire, même aux innocents ; et nous faisons horreur aux petits enfants que nous voulons aimer ! »

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    Charles Cros

    Charles Cros

    @charlesCros

    Croquis Beau corps, mais mauvais caractère. Elle ne veut jamais se taire, Disant, d’ailleurs d’un ton charmant, Des choses absurdes vraiment. N’ayant presque rien de la terre, Douce au tact comme une panthère. Il est dur d’être son amant ; Mais, qui ne s’en dit pas fou, ment. Pour dire tout ce qu’on en pense De bien et de mal, la science Essaie et n’a pas réussi. Et pourquoi faire ? Elle se moque De ce qu’on dit. Drôle d’époque Où les anges sont faits ainsi.

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    C

    Chloe Douglas

    @chloeDouglas

    La nuit blanche La salle est bleue. La boisson est dorée, remplie de petites gorgées curieuses. Languissants, des chercheurs écoutent d’autres invités, dans une fumée parfumée. Dans cette tapisserie, les conversations glissent et respirent, convexes et concaves. La salle est rose. La boisson est pâle. Furtivement l’air devient épais. Un rideau dévoile, puis un autre, des rires nus, Applaudissements confus, parmi des ouis désireux et des nons négligents. La salle est rouge. La boisson est transparente. Les murs suintent. Les chûtes exagèrent. Des encouragements titubent des divans. Les murmures spectraux envahissent la fête. S’épanouissant, l’air bouillonne. La salle est orange. La boisson est finie. Les lys de tigre tourbillonnent le long des bêtes persanes. Des chapeaux melon et des jupons à fleur, de la dentelle noire et de mouchoirs en soie, demeurent, demeurent… Chatouilleuses et frissonnantes, les ombres vacillent. La salle est brune. Les verres vides, éparpillés. Débordées, les bavardages fiévreux, les chimères se couchent bas, se racontent des vérités obscures. Elles respirent la brûlure de l’air, devenue de la braise. L’air est bleu, du charbon. Des saphirs dans de l’eau boueuse, Leurs silhouettes sont noyées et oubliées. Les mains instinctives, emmêlées. La salle est grise. Les fenêtres sont ouvertes, La lumière remplit la pièce d’une brise argentée. Trébuchants, les oursins se réveillent de dessous les rochers, et sortent de l’eau salée. Somnambules, sous un ciel illuminé d’étoiles passantes.

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    C

    Chloe Douglas

    @chloeDouglas

    Main dans la main Nous marchons Nous vivons En discussion En silence Parfois dans nos pensées Dans nos rêves Dans nos plans Dans le noir Sans savoir Où nous allons ! Le jeu est divertissant Même si le résultat N’est pas satisfaisant. Main dans la main Nous allons Nous allons Croiser la rue Tourner un coin Tourner une page De notre vie élue Sans prétention Ni regret, Nous avons reçu Une vie parfaite C’est notre secret.

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    Christian Mégrelis

    @christianMegrelis

    Anniversaire 10 mai Années fuyantes et brèves une à une écoulées Comme de l’arbre blessé goutte à goutte la sève Années de marbre et vous années de glaise Où l’absence a creusé un sillon familier Vous toutes mes années sur un mal sort scellées Si tôt que seul l’oubli qui la douleur apaise En vivant n’a permis que trop cela ne pèse Venez, je vous convoque, arrêtez de FILER Avant que mai ne passe, ô mes années venez Conduisons la nouvelle saluer en silence L’absente qui doucit mon âpre adolescence Sur l’océan du temps, vous les plus vieux rochers Vous, années de tendresse, vous qui vous souvenez A partir d’aujourd’hui, d’elle vous m’approchez

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    Cécile Carrara

    @cecileCarrara

    Horizon décousu Pour ceux qui étaient là et un jour ne sont plus qui traversent la voie, l’horizon décousu. Ils passent dans nos vies, semblent s’en accorder puis disparaissent sans bruit, la corde dénouée. Pour les liens que l’on crée et que l’on croit solides, où chaque nœud tissé repose dans le vide. À ces pierres déposées pour fonder les parcours que l’on construit ensemble et qui s’éboulent un jour. Rien ne dure, ne sera, pareil à maintenant. Rien n’est plus dur à vivre que l’impermanent. Pourtant c’est le constat un peu cru et amer qui nous offre à l’instant et en soi nous libère.

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    Comme un geste ancien j’ai vu sur le mur Comme un geste ancien j’ai vu sur le mur S’allonger la treille Et parmi l’azur Flotter les abeilles. M’habituai-je, cependant, À voir la lune pâle et ronde Sortir de la courbe du monde, S’élever dans l’air en glissant Et s’effacer à l’aurore, Plus lente et plus pâle encore ?

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    Je ne peux rien retenir Je ne peux rien retenir, Ni la lune ni la brise, Ni la couleur rose et grise D’un étang plein de dormir ; Ni l’amitié ni ma vie, Ombre fuyante et pâlie Dont je perds le souvenir.

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