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Le poète

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Le poète

Poésies de la collection le poète

    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    À Marceline Desbordes-Valmore L’amour, dont l’autre nom sur terre est la douleur, De ton sein fit jaillir une source écumante, Et ta voix était triste et ton âme charmante, Et de toi la pitié divine eût fait sa sœur. Ivresse ou désespoir, enthousiasme ou langueur, Tu jetais tes cris d’or à travers la tourmente ; Et les vers qui brûlaient sur ta bouche d’amante Formaient leur rythme aux seuls battements de ton cœur. Aujourd’hui, la justice, à notre voix émue, Vient, la palme à la main, vers ta noble statue, Pour proclamer ta gloire au vieux soleil flamand. Mais pour mieux attendrir ton bronze aux tendres charmes, Peut-être il suffirait — quelque soir — simplement Qu’une amante vînt là jeter, négligemment, Une touffe de fleurs où trembleraient des larmes.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A Sainte-Beuve Ami, tu l’as bien dit : en nous, tant que nous sommes, Il existe souvent une certaine fleur Qui s’en va dans la vie et s’effeuille du coeur. « Il existe, en un mot, chez les trois quarts des hommes, Un poète mort jeune à qui l’homme survit. » Tu l’as bien dit, ami, mais tu l’as trop bien dit. Tu ne prenais pas garde, en traçant ta pensée, Que ta plume en faisait un vers harmonieux, Et que tu blasphémais dans la langue des dieux. Relis-toi, je te rends à ta Muse offensée ; Et souviens-toi qu’en nous il existe souvent Un poète endormi toujours jeune et vivant.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    À la malibran I Sans doute il est trop tard pour parler encor d’elle ; Depuis qu’elle n’est plus quinze jours sont passés, Et dans ce pays-ci quinze jours, je le sais, Font d’une mort récente une vieille nouvelle. De quelque nom d’ailleurs que le regret s’appelle, L’homme, par tout pays, en a bien vite assez. II Ô Maria-Felicia ! le peintre et le poète Laissent, en expirant, d’immortels héritiers ; Jamais l’affreuse nuit ne les prend tout entiers. À défaut d’action, leur grande âme inquiète De la mort et du temps entreprend la conquête, Et, frappés dans la lutte, ils tombent en guerriers. III Celui-là sur l’airain a gravé sa pensée ; Dans un rythme doré l’autre l’a cadencée ; Du moment qu’on l’écoute, on lui devient ami. Sur sa toile, en mourant, Raphaël l’a laissée, Et, pour que le néant ne touche point à lui, C’est assez d’un enfant sur sa mère endormi. IV Comme dans une lampe une flamme fidèle, Au fond du Parthénon le marbre inhabité Garde de Phidias la mémoire éternelle, Et la jeune Vénus, fille de Praxitèle, Sourit encor, debout dans sa divinité, Aux siècles impuissants qu’a vaincus sa beauté. V Recevant d’âge en âge une nouvelle vie, Ainsi s’en vont à Dieu les gloires d’autrefois ; Ainsi le vaste écho de la voix du génie Devient du genre humain l’universelle voix… Et de toi, morte hier, de toi, pauvre Marie, Au fond d’une chapelle il nous reste une croix ! VI Une croix ! et l’oubli, la nuit et le silence ! Écoutez ! c’est le vent, c’est l’Océan immense ; C’est un pêcheur qui chante au bord du grand chemin. Et de tant de beauté, de gloire et d’espérance, De tant d’accords si doux d’un instrument divin, Pas un faible soupir, pas un écho lointain ! VII Une croix ! et ton nom écrit sur une pierre, Non pas même le tien, mais celui d’un époux, Voilà ce qu’après toi tu laisses sur la terre ; Et ceux qui t’iront voir à ta maison dernière, N’y trouvant pas ce nom qui fut aimé de nous, Ne sauront pour prier où poser les genoux. VIII Ô Ninette ! où sont-ils, belle muse adorée, Ces accents pleins d’amour, de charme et de terreur, Qui voltigeaient le soir sur ta lèvre inspirée, Comme un parfum léger sur l’aubépine en fleur ? Où vibre maintenant cette voix éplorée, Cette harpe vivante attachée à ton coeur ? IX N’était-ce pas hier, fille joyeuse et folle, Que ta verve railleuse animait Corilla, Et que tu nous lançais avec la Rosina La roulade amoureuse et l’oeillade espagnole ? Ces pleurs sur tes bras nus, quand tu chantais le Saule, N’était-ce pas hier, pâle Desdemona ? X N’était-ce pas hier qu’à la fleur de ton âge Tu traversais l’Europe, une lyre à la main ; Dans la mer, en riant, te jetant à la nage, Chantant la tarentelle au ciel napolitain, Coeur d’ange et de lion, libre oiseau de passage, Espiègle enfant ce soir, sainte artiste demain ? XI N’était-ce pas hier qu’enivrée et bénie Tu traînais à ton char un peuple transporté, Et que Londre et Madrid, la France et l’Italie, Apportaient à tes pieds cet or tant convoité, Cet or deux fois sacré qui payait ton génie, Et qu’à tes pieds souvent laissa ta charité ? XII Qu’as-tu fait pour mourir, ô noble créature, Belle image de Dieu, qui donnais en chemin Au riche un peu de joie, au malheureux du pain ? Ah ! qui donc frappe ainsi dans la mère nature, Et quel faucheur aveugle, affamé de pâture, Sur les meilleurs de nous ose porter la main ? XIII Ne suffit-il donc pas à l’ange de ténèbres Qu’à peine de ce temps il nous reste un grand nom ? Que Géricault, Cuvier, Schiller, Goethe et Byron Soient endormis d’hier sous les dalles funèbres, Et que nous ayons vu tant d’autres morts célèbres Dans l’abîme entr’ouvert suivre Napoléon ? XIV Nous faut-il perdre encor nos têtes les plus chères, Et venir en pleurant leur fermer les paupières, Dès qu’un rayon d’espoir a brillé dans leurs yeux ? Le ciel de ses élus devient-il envieux ? Ou faut-il croire, hélas ! ce que disaient nos pères, Que lorsqu’on meurt si jeune on est aimé des dieux ? XV Ah ! combien, depuis peu, sont partis pleins de vie ! Sous les cyprès anciens que de saules nouveaux ! La cendre de Robert à peine refroidie, Bellini tombe et meurt ! – Une lente agonie Traîne Carrel sanglant à l’éternel repos. Le seuil de notre siècle est pavé de tombeaux. XVI Que nous restera-t-il si l’ombre insatiable, Dès que nous bâtissons, vient tout ensevelir ? Nous qui sentons déjà le sol si variable, Et, sur tant de débris, marchons vers l’avenir, Si le vent, sous nos pas, balaye ainsi le sable, De quel deuil le Seigneur veut-il donc nous vêtir ? XVII Hélas ! Marietta, tu nous restais encore. Lorsque, sur le sillon, l’oiseau chante à l’aurore, Le laboureur s’arrête, et, le front en sueur, Aspire dans l’air pur un souffle de bonheur. Ainsi nous consolait ta voix fraîche et sonore, Et tes chants dans les cieux emportaient la douleur. XVIII Ce qu’il nous faut pleurer sur ta tombe hâtive, Ce n’est pas l’art divin, ni ses savants secrets : Quelque autre étudiera cet art que tu créais ; C’est ton âme, Ninette, et ta grandeur naïve, C’est cette voix du coeur qui seule au coeur arrive, Que nul autre, après toi, ne nous rendra jamais. XIX Ah ! tu vivrais encor sans cette âme indomptable. Ce fut là ton seul mal, et le secret fardeau Sous lequel ton beau corps plia comme un roseau. Il en soutint longtemps la lutte inexorable. C’est le Dieu tout-puissant, c’est la Muse implacable Qui dans ses bras en feu t’a portée au tombeau. XX Que ne l’étouffais-tu, cette flamme brûlante Que ton sein palpitant ne pouvait contenir ! Tu vivrais, tu verrais te suivre et t’applaudir De ce public blasé la foule indifférente, Qui prodigue aujourd’hui sa faveur inconstante À des gens dont pas un, certes, n’en doit mourir. XXI Connaissais-tu si peu l’ingratitude humaine ? Quel rêve as-tu donc fait de te tuer pour eux ? Quelques bouquets de fleurs te rendaient-ils si vaine, Pour venir nous verser de vrais pleurs sur la scène, Lorsque tant d’histrions et d’artistes fameux, Couronnés mille fois, n’en ont pas dans les yeux ? XXII Que ne détournais-tu la tête pour sourire, Comme on en use ici quand on feint d’être ému ? Hélas ! on t’aimait tant, qu’on n’en aurait rien vu. Quand tu chantais le Saule, au lieu de ce délire, Que ne t’occupais-tu de bien porter ta lyre ? La Pasta fait ainsi : que ne l’imitais-tu ? XXIII Ne savais-tu donc pas, comédienne imprudente, Que ces cris insensés qui te sortaient du coeur De ta joue amaigrie augmentaient la pâleur ? Ne savais-tu donc pas que, sur ta tempe ardente, Ta main de jour en jour se posait plus tremblante, Et que c’est tenter Dieu que d’aimer la douleur ? XXIV Ne sentais-tu donc pas que ta belle jeunesse De tes yeux fatigués s’écoulait en ruisseaux, Et de ton noble coeur s’exhalait en sanglots ? Quand de ceux qui t’aimaient tu voyais la tristesse, Ne sentais-tu donc pas qu’une fatale ivresse Berçait ta vie errante à ses derniers rameaux ? XXV Oui, oui, tu le savais, qu’au sortir du théâtre, Un soir dans ton linceul il faudrait te coucher. Lorsqu’on te rapportait plus froide que l’albâtre, Lorsque le médecin, de ta veine bleuâtre, Regardait goutte à goutte un sang noir s’épancher, Tu savais quelle main venait de te toucher. XXVI Oui, oui, tu le savais, et que, dans cette vie, Rien n’est bon que d’aimer, n’est vrai que de souffrir. Chaque soir dans tes chants tu te sentais pâlir. Tu connaissais le monde, et la foule, et l’envie, Et, dans ce corps brisé concentrant ton génie, Tu regardais aussi la Malibran mourir. XXVII Meurs donc ! ta mort est douce, et ta tâche est remplie. Ce que l’homme ici-bas appelle le génie, C’est le besoin d’aimer ; hors de là tout est vain. Et, puisque tôt ou tard l’amour humain s’oublie, Il est d’une grande âme et d’un heureux destin

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    La nuit de Décembre Le poète Du temps que j’étais écolier, Je restais un soir à veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s’asseoir Un pauvre enfant vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Son visage était triste et beau : A la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire. Il pencha son front sur sa main, Et resta jusqu’au lendemain, Pensif, avec un doux sourire. Comme j’allais avoir quinze ans Je marchais un jour, à pas lents, Dans un bois, sur une bruyère. Au pied d’un arbre vint s’asseoir Un jeune homme vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Je lui demandai mon chemin ; Il tenait un luth d’une main, De l’autre un bouquet d’églantine. Il me fit un salut d’ami, Et, se détournant à demi, Me montra du doigt la colline. A l’âge où l’on croit à l’amour, J’étais seul dans ma chambre un jour, Pleurant ma première misère. Au coin de mon feu vint s’asseoir Un étranger vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il était morne et soucieux ; D’une main il montrait les cieux, Et de l’autre il tenait un glaive. De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu’un soupir, Et s’évanouit comme un rêve. A l’âge où l’on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevais mon verre. En face de moi vint s’asseoir Un convive vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il secouait sous son manteau Un haillon de pourpre en lambeau, Sur sa tête un myrte stérile. Son bras maigre cherchait le mien, Et mon verre, en touchant le sien, Se brisa dans ma main débile. Un an après, il était nuit ; J’étais à genoux près du lit Où venait de mourir mon père. Au chevet du lit vint s’asseoir Un orphelin vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Ses yeux étaient noyés de pleurs ; Comme les anges de douleurs, Il était couronné d’épine ; Son luth à terre était gisant, Sa pourpre de couleur de sang, Et son glaive dans sa poitrine. Je m’en suis si bien souvenu, Que je l’ai toujours reconnu A tous les instants de ma vie. C’est une étrange vision, Et cependant, ange ou démon, J’ai vu partout cette ombre amie. Lorsque plus tard, las de souffrir, Pour renaître ou pour en finir, J’ai voulu m’exiler de France ; Lorsqu’impatient de marcher, J’ai voulu partir, et chercher Les vestiges d’une espérance ; A Pise, au pied de l’Apennin ; A Cologne, en face du Rhin ; A Nice, au penchant des vallées ; A Florence, au fond des palais ; A Brigues, dans les vieux chalets ; Au sein des Alpes désolées ; A Gênes, sous les citronniers ; A Vevey, sous les verts pommiers ; Au Havre, devant l’Atlantique ; A Venise, à l’affreux Lido, Où vient sur l’herbe d’un tombeau Mourir la pâle Adriatique ; Partout où, sous ces vastes cieux, J’ai lassé mon coeur et mes yeux, Saignant d’une éternelle plaie ; Partout où le boiteux Ennui, Traînant ma fatigue après lui, M’a promené sur une claie ; Partout où, sans cesse altéré De la soif d’un monde ignoré, J’ai suivi l’ombre de mes songes ; Partout où, sans avoir vécu, J’ai revu ce que j’avais vu, La face humaine et ses mensonges ; Partout où, le long des chemins, J’ai posé mon front dans mes mains, Et sangloté comme une femme ; Partout où j’ai, comme un mouton, Qui laisse sa laine au buisson, Senti se dénuder mon âme ; Partout où j’ai voulu dormir, Partout où j’ai voulu mourir, Partout où j’ai touché la terre, Sur ma route est venu s’asseoir Un malheureux vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Qui donc es-tu, toi que dans cette vie Je vois toujours sur mon chemin ? Je ne puis croire, à ta mélancolie, Que tu sois mon mauvais Destin. Ton doux sourire a trop de patience, Tes larmes ont trop de pitié. En te voyant, j’aime la Providence. Ta douleur même est soeur de ma souffrance ; Elle ressemble à l’Amitié. Qui donc es-tu ? – Tu n’es pas mon bon ange, Jamais tu ne viens m’avertir. Tu vois mes maux (c’est une chose étrange !) Et tu me regardes souffrir. Depuis vingt ans tu marches dans ma voie, Et je ne saurais t’appeler. Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie ? Tu me souris sans partager ma joie, Tu me plains sans me consoler ! Ce soir encor je t’ai vu m’apparaître. C’était par une triste nuit. L’aile des vents battait à ma fenêtre ; J’étais seul, courbé sur mon lit. J’y regardais une place chérie, Tiède encor d’un baiser brûlant ; Et je songeais comme la femme oublie, Et je sentais un lambeau de ma vie Qui se déchirait lentement. Je rassemblais des lettres de la veille, Des cheveux, des débris d’amour. Tout ce passé me criait à l’oreille Ses éternels serments d’un jour. Je contemplais ces reliques sacrées, Qui me faisaient trembler la main : Larmes du coeur par le coeur dévorées, Et que les yeux qui les avaient pleurées Ne reconnaîtront plus demain ! J’enveloppais dans un morceau de bure Ces ruines des jours heureux. Je me disais qu’ici-bas ce qui dure, C’est une mèche de cheveux. Comme un plongeur dans une mer profonde, Je me perdais dans tant d’oubli. De tous côtés j’y retournais la sonde, Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde, Mon pauvre amour enseveli. J’allais poser le sceau de cire noire Sur ce fragile et cher trésor. J’allais le rendre, et, n’y pouvant pas croire, En pleurant j’en doutais encor. Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée, Malgré toi, tu t’en souviendras ! Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ? Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée, Ces sanglots, si tu n’aimais pas ? Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ; Mais ta chimère est entre nous. Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures Qui me sépareront de vous. Partez, partez, et dans ce coeur de glace Emportez l’orgueil satisfait. Je sens encor le mien jeune et vivace, Et bien des maux pourront y trouver place Sur le mal que vous m’avez fait. Partez, partez ! la Nature immortelle N’a pas tout voulu vous donner. Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle, Et ne savez pas pardonner ! Allez, allez, suivez la destinée ; Qui vous perd n’a pas tout perdu. Jetez au vent notre amour consumée ; – Eternel Dieu ! toi que j’ai tant aimée, Si tu pars, pourquoi m’aimes-tu ? Mais tout à coup j’ai vu dans la nuit sombre Une forme glisser sans bruit. Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ; Elle vient s’asseoir sur mon lit. Qui donc es-tu, morne et pâle visage, Sombre portrait vêtu de noir ? Que me veux-tu, triste oiseau de passage ? Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image Que j’aperçois dans ce miroir ? Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse, Pèlerin que rien n’a lassé ? Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse Assis dans l’ombre où j’ai passé. Qui donc es-tu, visiteur solitaire, Hôte assidu de mes douleurs ? Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ? Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère, Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ? LA VISION – Ami, notre père est le tien. Je ne suis ni l’ange gardien, Ni le mauvais destin des hommes. Ceux que j’aime, je ne sais pas De quel côté s’en vont leurs pas Sur ce peu de fange où nous sommes. Je ne suis ni dieu ni démon, Et tu m’as nommé par mon nom Quand tu m’as appelé ton frère ; Où tu vas, j’y serai toujours, Jusques au dernier de tes jours, Où j’irai m’asseoir sur ta pierre. Le ciel m’a confié ton coeur. Quand tu seras dans la douleur, Viens à moi sans inquiétude. Je te suivrai sur le chemin ; Mais je ne puis toucher ta main, Ami, je suis la Solitude.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    La nuit de Mai Poète, prends ton luth et me donne un baiser ; La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore, Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ; Et la bergeronnette, en attendant l’aurore, Aux premiers buissons verts commence à se poser. Poète, prends ton luth, et me donne un baiser. LE POÈTE Comme il fait noir dans la vallée ! J’ai cru qu’une forme voilée Flottait là-bas sur la forêt. Elle sortait de la prairie ; Son pied rasait l’herbe fleurie ; C’est une étrange rêverie ; Elle s’efface et disparaît. LA MUSE Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse, Balance le zéphyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacré qu’elle enivre en mourant. Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée. Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir : l’immortelle nature Se remplit de parfums, d’amour et de murmure, Comme le lit joyeux de deux jeunes époux. LE POÈTE Pourquoi mon coeur bat-il si vite ? Qu’ai-je donc en moi qui s’agite Dont je me sens épouvanté ? Ne frappe-t-on pas à ma porte ? Pourquoi ma lampe à demi morte M’éblouit-elle de clarté ? Dieu puissant ! tout mon corps frissonne. Qui vient ? qui m’appelle ? – Personne. Je suis seul ; c’est l’heure qui sonne ; Ô solitude ! ô pauvreté ! LA MUSE Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet ; la volupté l’oppresse, Et les vents altérés m’ont mis la lèvre en feu. Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t’en souviens-tu pas, Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile, Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ? Ah ! je t’ai consolé d’une amère souffrance ! Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d’amour. Console-moi ce soir, je me meurs d’espérance ; J’ai besoin de prier pour vivre jusqu’au jour. LE POÈTE Est-ce toi dont la voix m’appelle, Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ? Ô ma fleur ! ô mon immortelle ! Seul être pudique et fidèle Où vive encor l’amour de moi ! Oui, te voilà, c’est toi, ma blonde, C’est toi, ma maîtresse et ma soeur ! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d’or qui m’inonde Les rayons glisser dans mon coeur. LA MUSE Poète, prends ton luth ; c’est moi, ton immortelle, Qui t’ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle, Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ; Quelque amour t’est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées, Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu, Éveillons au hasard les échos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie, Et que ce soit un rêve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux où l’on oublie ; Partons, nous sommes seuls, l’univers est à nous. Voici la verte Écosse et la brune Italie, Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux, Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes, Et Messa la divine, agréable aux colombes, Et le front chevelu du Pélion changeant ; Et le bleu Titarèse, et le golfe d’argent Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire, La blanche Oloossone à la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d’or nos chants vont-ils bercer ? D’où vont venir les pleurs que nous allons verser ? Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière, Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe légère, Et te contait tout bas les amours qu’il rêvait ? Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie ? Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier ? Suspendrons-nous l’amant sur l’échelle de soie ? Jetterons-nous au vent l’écume du coursier ? Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre De la maison céleste, allume nuit et jour L’huile sainte de vie et d’éternel amour ? Crierons-nous à Tarquin :  » Il est temps, voici l’ombre ! «  Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ? Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ? Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ? Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ? La biche le regarde ; elle pleure et supplie ; Sa bruyère l’attend ; ses faons sont nouveau-nés ; Il se baisse, il l’égorge, il jette à la curée Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant. Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée, S’en allant à la messe, un page la suivant, Et d’un regard distrait, à côté de sa mère, Sur sa lèvre entr’ouverte oubliant sa prière ? Elle écoute en tremblant, dans l’écho du pilier, Résonner l’éperon d’un hardi cavalier. Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France De monter tout armés aux créneaux de leurs tours, Et de ressusciter la naïve romance Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ? Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ? L’homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie, Et ce qu’il a fauché du troupeau des humains Avant que l’envoyé de la nuit éternelle Vînt sur son tertre vert l’abattre d’un coup d’aile, Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ? Clouerons-nous au poteau d’une satire altière Le nom sept fois vendu d’un pâle pamphlétaire, Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli, S’en vient, tout grelottant d’envie et d’impuissance, Sur le front du génie insulter l’espérance, Et mordre le laurier que son souffle a sali ? Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ; Mon aile me soulève au souffle du printemps. Le vent va m’emporter ; je vais quitter la terre. Une larme de toi ! Dieu m’écoute ; il est temps. LE POÈTE S’il ne te faut, ma soeur chérie, Qu’un baiser d’une lèvre amie Et qu’une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine ; De nos amours qu’il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne chante ni l’espérance, Ni la gloire, ni le bonheur, Hélas ! pas même la souffrance. La bouche garde le silence Pour écouter parler le coeur. LA MUSE Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau, Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ? Ô poète ! un baiser, c’est moi qui te le donne. L’herbe que je voulais arracher de ce lieu, C’est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu. Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du coeur : Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage En le voyant au loin s’abattre sur les eaux. Déjà, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux. Lui, gagnant à pas lents une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée, Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ; En vain il a des mers fouillé la profondeur ; L’Océan était vide et la plage déserte ; Pour toute nourriture il apporte son coeur. Sombre et silencieux, étendu sur la pierre Partageant à ses fils ses entrailles de père, Dans son amour sublime il berce sa douleur, Et, regardant couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle, Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, Fatigué de mourir dans un trop long supplice, Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ; Alors il se soulève, ouvre son aile au vent, Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu, Que les oiseaux des mers désertent le rivage, Et que le voyageur attardé sur la plage, Sentant passer la mort, se recommande à Dieu. Poète, c’est ainsi que font les grands poètes. Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ; Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées, De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur, Ce n’est pas un concert à dilater le coeur. Leurs déclamations sont comme des épées : Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant, Mais il y pend toujours quelque goutte de sang. LE POÈTE Ô Muse ! spectre insatiable, Ne m’en demande pas si long. L’homme n’écrit rien sur le sable À l’heure où passe l’aquilon. J’ai vu le temps où ma jeunesse Sur mes lèvres était sans cesse Prête à chanter comme un oiseau ; Mais j’ai souffert un dur martyre, Et le moins que j’en pourrais dire, Si je l’essayais sur ma lyre, La briserait comme un roseau.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

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    L’esprit pur I Si l’orgueil prend ton cœur quand le peuple me nomme, Que de mes livres seuls te vienne ta fierté. J’ai mis sur le cimier doré du gentilhomme Une plume de fer qui n’est pas sans beauté. J’ai fait illustre un nom qu’on m’a transmis sans gloire. Qu’il soit ancien, qu’importe ? — Il n’aura de mémoire Que du jour seulement où mon front l’a porté. II Dans le caveau des miens plongeant mes pas nocturnes, J’ai compté mes aïeux, suivant leur vieille loi. J’ouvris leurs parchemins, je fouillai dans leurs urnes Empreintes sur le flanc des sceaux de chaque roi. À peine une étincelle a relui dans leur cendre. C’est en vain que d’eux tous le sang m’a fait descendre ; Si j’écris leur histoire, ils descendront de moi. III Ils furent opulents, seigneurs de vastes terres, Grands chasseurs devant Dieu, comme Nemrod, jaloux Des beaux cerfs qu’ils lançaient des bois héréditaires Jusqu’où voulait la mort les livrer à leurs coups ; Suivant leur forte meute à travers deux provinces, Coupant les chiens du Roi, déroutant ceux des princes, Forçant les sangliers et détruisant les loups ; IV Galants guerriers sur terre et sur mer, se montrèrent Gens d’honneur en tous temps, comme en tous lieux, cherchant De la Chine au Pérou les Anglais, qu’ils brûlèrent Sur l’eau qu’ils écumaient du levant au couchant ; Puis, sur leur talon rouge, en quittant les batailles, Parfumés et blessés revenaient à Versailles Jaser à l’Œil-de-bœuf avant de voir leur champ. V Mais les champs de la Beauce avaient leurs cœurs, leurs âmes, Leurs soins. Ils les peuplaient d’innombrables garçons, De filles qu’ils donnaient aux chevaliers pour femmes, Dignes de suivre en tout l’exemple et les leçons ; Simples et satisfaits si chacun de leur race Apposait saint Louis en croix sur sa cuirasse, Comme leurs vieux portraits qu’aux murs noirs nous plaçons. VI Mais aucun, au sortir d’une rude campagne, Ne sut se recueillir, quitter le destrier, Dételer pour un jour ses palefrois d’Espagne, Ni des coursiers de chasse enlever l’étrier Pour graver quelque page et dire en quelque livre Comme son temps vivait et comment il sut vivre, Dès qu’ils n’agissaient plus, se hâtant d’oublier. VII Tous sont morts en laissant leur nom sans auréole ; Mais sur le disque d’or voilà qu’il est écrit, Disant : « Ici passaient deux races de la Gaule « Dont le dernier vivant monte au temple et s’inscrit, « Non sur l’obscur amas des vieux noms inutiles, « Des orgueilleux méchants et des riches futiles, « Mais sur le pur tableau des livres de l’esprit. » VIII Ton règne est arrivé, pur esprit, roi du monde ! Quand ton aile d’azur dans la nuit nous surprit, Déesse de nos mœurs, la guerre vagabonde Régnait sur nos aïeux. — Aujourd’hui, c’est l’écrit, L’écrit universel, parfois impérissable, Que tu graves au marbre ou traînes sur le sable, Colombe au bec d’airain ! visible saint-esprit ! IX Seul et dernier anneau de deux chaînes brisées, Je reste. — Et je soutiens encor dans les hauteurs, Parmi les maîtres purs de nos savants musées, L’idéal du poëte et des graves penseurs. J’éprouve sa durée en vingt ans de silence, Et toujours, d’âge en âge encor, je vois la France Contempler mes tableaux et leur jeter des fleurs. X Jeune postérité d’un vivant qui vous aime ! Mes traits dans vos regards ne sont pas effacés ; Je peux en ce miroir me connaître moi-même, Juge toujours nouveau de nos travaux passés ! Flots d’amis renaissants ! Puissent mes destinées Vous amener à moi, de dix en dix années, Attentifs à mon œuvre, et pour moi c’est assez ! 10 mars 1863.

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    Alphonse de Lamartine

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    Adieux à la poésie Il est une heure de silence Où la solitude est sans voix, Où tout dort, même l’espérance ; Où nul zéphyr ne se balance Sous l’ombre immobile des bois. Il est un âge où de la lyre L’âme aussi semble s’endormir, Où du poétique délire Le souffle harmonieux expire Dans le sein qu’il faisait frémir. L’oiseau qui charme le bocage, Hélas ! ne chante pas toujours : A midi, caché sous l’ombrage, Il n’enchante de son ramage Que l’aube et le déclin des jours. Adieu donc, adieu, voici l’heure, Lyre aux accords mélodieux ! En vain à la main qui t’effleure Ta fibre encor répond et pleure : Voici l’heure de nos adieux. Reçois cette larme rebelle Que mes yeux ne peuvent cacher. Combien sur ta corde fidèle Mon âme, hélas ! en versa-t-elle, Que tes soupirs n’ont pu sécher ! Sur cette terre infortunée, Où tous les yeux versent des pleurs, Toujours de cyprès couronnée, La lyre ne nous fut donnée Que pour endormir nos douleurs. Tout ce qui chante ne répète Que des regrets ou des désirs ; Du bonheur la corde est muette ; De Philomèle et du poëte Les plus doux chants sont des soupirs. Dans l’ombre auprès d’un mausolée, O lyre, tu suivis mes pas ; Et, des doux festins exilée, Jamais ta voix ne s’est mêlée, Aux chants des heureux d’ici-bas. Pendue aux saules de la rive, Libre comme l’oiseau des bois, On n’a point vu ma main craintive T’attacher, comme une captive, Aux portes des palais des rois. Des partis l’haleine glacée Ne t’inspira pas tour à tour ; Aussi chaste que la pensée, Nul souffle ne t’a caressée, Hormis le souffle de l’Amour. En quelque lieu qu’un sort sévère Fît plier mon front sous ses lois, Grâce à toi, mon âme étrangère A trouvé partout sur la terre Un céleste écho de sa voix. Aux monts d’où le jour semble éclore, Quand je t’emportais avec moi Pour louer celui que j’adore, Le premier rayon de l’aurore Ne se réveillait qu’après toi. Au bruit des flots et des cordages, Aux feux livides des éclairs, Tu jetais des accords sauvages, Et, comme l’oiseau des orages, Tu rasais l’écume des mers. Celle dont le regard m’enchaîne A tes accents mêlait sa voix, Et souvent ses tresses d’ébène Frissonnaient sous ma molle haleine, Comme tes cordes sous mes doigts. Peut-être à moi, lyre chérie, Tu reviendras dans l’avenir, Quand, de songes divins suivie, La mort approche, et que la vie S’éloigne comme un souvenir. Dans cette seconde jeunesse Qu’un doux oubli rend aux humains, Souvent l’homme, dans sa tristesse, Sur toi se penche et te caresse, Et tu résonnes sous ses mains. Ce vent qui sur nos âmes passe Souffle à l’aurore, ou souffle tard ; Il aime à jouer avec grâce Dans les cheveux qu’un myrte enlace, Ou dans la barbe du vieillard. En vain une neige glacée D’Homère ombrageait le menton ; Et le rayon de la pensée Rendait la lumière éclipsée Aux yeux aveugles de Milton. Autour d’eux voltigeaient encore L’amour, l’illusion, l’espoir, Comme l’insecte amant de Flore, Dont les ailes semblent éclore Aux tardives lueurs du soir. Peut-être ainsi… Mais avant l’âge Où tu reviens nous visiter, Flottant de rivage en rivage, J’aurai péri dans un naufrage, Loin des cieux que je vais quitter. Depuis longtemps ma voix plaintive Sera couverte par les flots, Et, comme l’algue fugitive, Sur quelque sable de la rive La vague aura roulé mes os. Mais toi, lyre mélodieuse, Surnageant sur les flots amers, Des cygnes la troupe envieuse Suivra ta trace harmonieuse Sur l’abîme roulant des mers. Vingt-sixième méditation

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    Alphonse de Lamartine

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    À Elvire Oui, l'Anio murmure encore Le doux nom de Cynthie aux rochers de Tibur, Vaucluse a retenu le nom chéri de Laure, Et Ferrare au siècle futur Murmurera toujours celui d'Eléonore ! Heureuse la beauté que le poète adore ! Heureux le nom qu'il a chanté ! Toi, qu'en secret son culte honore, Tu peux, tu peux mourir ! dans la postérité Il lègue à ce qu'il aime une éternelle vie, Et l'amante et l'amant sur l'aile du génie Montent, d'un vol égal, à l'immortalité ! Ah ! si mon frêle esquif, battu par la tempête, Grâce à des vents plus doux, pouvait surgir au port ? Si des soleils plus beaux se levaient sur ma tête ? Si les pleurs d'une amante, attendrissant le sort, Ecartaient de mon front les ombres de la mort ? Peut-être ?..., oui, pardonne, ô maître de la lyre ! Peut-être j'oserais, et que n'ose un amant ? Egaler mon audace à l'amour qui m'inspire, Et, dans des chants rivaux célébrant mon délire, De notre amour aussi laisser un monument ! Ainsi le voyageur qui dans son court passage Se repose un moment à l'abri du vallon, Sur l'arbre hospitalier dont il goûta l'ombrage Avant que de partir, aime à graver son nom ! Vois-tu comme tout change ou meurt dans la nature ? La terre perd ses fruits, les forêts leur parure ; Le fleuve perd son onde au vaste sein des mers ; Par un souffle des vents la prairie est fanée, Et le char de l'automne, au penchant de l'année, Roule, déjà poussé par la main des hivers ! Comme un géant armé d'un glaive inévitable, Atteignant au hasard tous les êtres divers, Le temps avec la mort, d'un vol infatigable Renouvelle en fuyant ce mobile univers ! Dans l'éternel oubli tombe ce qu'il moissonne : Tel un rapide été voit tomber sa couronne Dans la corbeille des glaneurs ! Tel un pampre jauni voit la féconde automne Livrer ses fruits dorés au char des vendangeurs ! Vous tomberez ainsi, courtes fleurs de la vie ! Jeunesse, amour, plaisir,. fugitive beauté ! Beauté, présent d'un jour que le ciel nous envie, Ainsi vous tomberez, si la main du génie Ne vous rend l'immortalité ! Vois d'un oeil de pitié la vulgaire jeunesse, Brillante de beauté, s'enivrant de plaisir ! Quand elle aura tari sa coupe enchanteresse, Que restera-t-il d'elle ? à peine un souvenir : Le tombeau qui l'attend l'engloutit tout entière, Un silence éternel succède à ses amours ; Mais les siècles auront passé sur ta poussière, Elvire, et tu vivras toujours !

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    À un enfant, fille du poète Céleste fille du poëte, La vie est un hymne à deux voix. Son front sur le tien se reflète, Sa lyre chante sous tes doigts. Sur tes yeux quand sa bouche pose Le baiser calme et sans frisson, Sur ta paupière blanche et rose Le doux baiser a plus de son. Dans ses bras quand il te soulève Pour te montrer au ciel jaloux, On croit voir son plus divin rêve Qu’il caresse sur ses genoux ! Quand son doigt te permet de lire Les vers qu’il vient de soupirer, On dirait l’âme de sa lyre Qui se penche pour l’inspirer. Il récite ; une larme brille Dans tes yeux attachés sur lui. Dans cette larme de sa fille Son cœur nage ; sa gloire a lui ! Du chant que ta bouche répète Son cœur ému jouit deux fois. Céleste fille du poëte, La vie est un hymne à deux voix.

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    À une jeune fille poète Quand, assise le soir au bord de ta fenêtre, Devant un coin du ciel qui brille entre les toits, L’aiguille matinale a fatigué tes doigts, Et que ton front comprime une âme qui veut naître. Ta main laisse échapper le lin brodé de fleurs Qui doit parer le front d’heureuses fiancées, Et, de peur de tacher ses teintes nuancées, Tes beaux yeux retiennent leurs pleurs. Sur les murs blancs et nus de ton modeste asile, Pauvre enfant, d’un coup d’œil tout ton destin se lit : Un crucifix de bois au-dessus de ton lit, Un réséda jauni dans un vase d’argile, Sous tes pieds délicats la terre en froids carreaux, Et, près du pain du jour que la balance pèse, Pour ton festin du soir le raisin ou la fraise Que partagent tes passereaux ! Tes mains sur tes genoux un moment se délassent : Puis tu vas t’accouder sur le fer du balcon Où le pampre grimpant, le lierre au noir flocon, A tes cheveux épars, amoureux, s’entrelacent ; Tu verses l’eau de source à ton pâle rosier, Tu gazouilles son air à ton oiseau fidèle Qui becqueté ta lèvre en palpitant de l’aile A travers les barreaux d’osier. Tu contemples le ciel que le soir décoloré, Quelque dôme lointain de lumière écumant, Ou plus haut, seule au fond du vide firmament, L’étoile, comme toi, que Dieu seul voit éclore ; L’odeur des champs en fleurs monte à ton haut séjour, Le vent fait ondoyer tes boucles sur ta tempe ; La nuit ferme le ciel, tu rallumes ta lampe, Et le passé t’efface un jour !… Cependant le bruit monte et la ville respire : L’heure sonne, appelant tout un monde au plaisir ; Dans chaque son confus que ton cœur croit saisir, C’est le bonheur qui vibre ou l’amour qui respire. Les chars grondent en bas et font frissonner l’air ; Comme des dois pressés dans le lit des tempêtes, Ils passent emportant les heureux à leurs fêtes, Laissant sous la roue un éclair. Ceux-là versent au seuil de la scène ravie Cette foule attirée au vent des passions, Et qui veut aspirer d’autres sensations Pour oublier le jour et pour doubler la vie ; Ceux-là rentrent des champs, sur de pliants aciers Berçant les maîtres las d’ombrage et de murmure, Des fleurs sur les coussins, des festons de verdure Enlacés aux crins des coursiers. La musique du bal sort des salles sonores, Sous les pas des danseurs l’air ébranlé frémit, Dans des milliers de voix le chœur chante ou gémit, La ville aspire et rend le bruit par tous les pores. Le long des murs dans l’ombre on entend retentir Des pas aussi nombreux que des gouttes de pluie, Pas indécis d’amant, où l’amante s’appuie Et pèse pour le ralentir. Le front dans tes deux mains, pensive, tu te penches : L’imagination te peint de verts coteaux Tout résonnants du bruit des forets et des eaux, Où s’éteint un beau soir sur des chaumières blanches ; Des sources aux flots bleus voilés de liserons ; Des prés où, quand le pied dans la grande herbe nage, Chaque pas aux genoux fait monter un nuage D’étamine et de moucherons ; Des vents sur les guérets, ces immenses coups d’ailes Qui donnent aux épis leurs sonores frissons ; L’aubépine neigeant sur les nids des buissons, Les verts étangs rasés du vol des hirondelles ; Les vergers allongeant leur grande ombre du soir, Les foyers des hameaux ravivant leurs lumières, Les arbres morts couchés près du seuil des chaumières, Où les couples viennent s’asseoir ; Ces conversations à voix que l’amour brise, Où le mot commencé s’arrête et se repent, Où l’avide bonheur que le doute suspend S’envole après l’aveu que lui ravit la brise ; Ces danses où, l’amant prenant l’amante au vol, Dans le ciel qui s’entr’ouvre elle croit fuir en rêve. Entre le bond léger qui du gazon l’enlève Et son pied qui retombe au sol ! Sous la tente de soie ou dans ton nid de feuille Tu vois rentrer le soir, altéré de tes yeux, Un jeune homme au front mâle, au regard studieux. Votre bonheur tardif dans l’ombre se recueille : Ton épaule s’appuie à celle de l’époux ; Sous son front déridé ton front nu se renverse ; Son œil luit dans ton œil, pendant que ton pied berce Un enfant blond sur tes genoux ! De tes yeux dessillés quand ce voile retombe, Tu sens ta joue humide et tes mains pleines d’eau ; Les murs de ce réduit où flottait ce tableau Semblent se rapprocher pour voûter une tombe ; Ta lampe y jette à peine un reste de clarté, Sous tes beaux pieds d’enfant tes parures s’écoulent, Et tes cheveux épars et les ombres déroulent Leurs ténèbres sur ta beauté. Cependant le temps fuit, la jeunesse s’écoule ; Tes beaux yeux sont cernés d’un rayon de pâleur, Des roses sans soleil ton teint prend la couleur ; Sur ton cœur amaigri ton visage se moule ; Ta lèvre a replié le sourire ; ta voix A perdu cette note où le bonheur tressaille ; Des airs lents et plaintifs mesurent maille à maille Le lin qui grandit sous tes doigts. Eh quoi ! ces jours passés dans un labeur vulgaire A gagner miette à miette un pain trempé de fiel, Cet espace sans air, cet horizon sans ciel, Ces amours s’envolant au son d’un vil salaire, Ces désirs refoulés dans un sein étouffant, Ces baisers, de ton front chassés comme une mouche Qui bourdonne l’été sur les coins de ta bouche, C’est donc là vivre, ô belle enfant ! Nul ne verra briller cette étoile nocturne ! Nul n’entendra chanter ce muet rossignol ! Nul ne respirera ces haleines du sol Que la fleur du désert laisse mourir dans l’urne ! Non, Dieu ne brise pas sous ses fruits immortels L’arbre dont le génie a fait courber la tige ; Ce qu’oublia le temps, ce que l’homme néglige, Il le réserve à ses autels ! Ce qui meurt dans les airs, c’est le ciel qui l’aspire : Les anges amoureux recueillent flots à flots Cette vie écoulée en stériles sanglots ; Leur aile emporte ailleurs ce que ta voix soupire De ces langueurs de l’âme où gémit ton destin, De tes pleurs sur ta joue, hélas ! jamais cueillies, De ces espoirs trompés, et ces mélancolies, Qui pâlissent ion pur matin. Ils composent tes chants, mélodieux murmure Qui s’échappe du cœur par le cœur répondu, Comme l’arbre d’encens que le fer a fendu Verse en baume odorant le sang de sa blessure ! Aux accords du génie, à ces divins concerts, Ils mêlent étonnés ces pleurs de jeune fille Qui tombent de ses yeux et baignent son aiguille, Et tous les soupirs sont des vers ! Savent-ils seulement si le monde l’écoute ? Si l’indigence énerve un génie inconnu ? Si le céleste encens au foyer contenu Avec l’eau de ses yeux dans l’argile s’égoutte ? Qu’importe aux voix du ciel l’humble écho d’ici-bas ? Les plus divins accords qui montent de la terre Sont les élans muets de l’âme solitaire, Que le vent même n’entend pas. Non, je n’ai jamais vu la pâle giroflée, Fleurissant au sommet de quelque vieille tour Que bat le vent du Nord ou l’aile du vautour, Incliner sur le mur sa tige échevelée ; Non, je n’ai jamais vu la stérile beauté, Pâlissant sous ses pleurs sa fleur décolorée, S’exhaler sans amour et mourir ignorée, Sans croire à l’immortalité ! Passe donc tes doigts blancs sur tes yeux, jeune fille, Et laisse évaporer ta vie avec tes chants ! Le souffle du Très-Haut sur chaque herbe des champs Cueille la perle d’or où l’aurore scintille ; Toute vie est un flot de la mer de douleurs ; Leur amertume un jour sera ton ambroisie : Car l’urne de la gloire et de la poésie Ne se remplit que de nos pleurs ! Saint-Point, 24 août 1838.

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    Ferrare Que l’on soit homme ou Dieu, tout génie est martyre : Du supplice plus tard on baise l’instrument ; L’homme adore la croix où sa victime expire, Et du cachot du Tasse enchâsse le ciment. Prison du Tasse ici, de Galilée à Rome, Échafaud de Sidney, bûchers, croix ou tombeaux, Ah ! vous donnez le droit de bien mépriser l’homme, Qui veut que Dieu l’éclaire, et qui hait ses flambeaux ! Grand parmi les petits, libre chez les serviles, Si le génie expire, il l’a bien mérité ; Car nous dressons partout aux portes de nos villes Ces gibets de la gloire et de la vérité. Loin de nous amollir, que ce sort nous retrempe ! Sachons le prix du don, mais ouvrons notre main. Nos pleurs et notre sang sont l’huile de la lampe Que Dieu nous fait porter devant le genre humain ! (Trentième Méditation, improvisée en sortant du cachot de Tasse.)

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    La gloire Généreux favoris des filles de mémoire, Deux sentiers différents devant vous vont s’ouvrir : L’un conduit au bonheur, l’autre mène à la gloire ; Mortels, il faut choisir. Ton sort, ô Manoel, suivit la loi commune ; La muse t’enivra de précoces faveurs ; Tes jours furent tissus de gloire et d’infortune, Et tu verses des pleurs ! Rougis plutôt, rougis d’envier au vulgaire Le stérile repos dont son cœur est jaloux Les dieux ont fait pour lui tous les biens de la terre, Mais la lyre est à nous. Les siècles sont à toi, le monde est ta patrie. Quand nous ne sommes plus, notre ombre a des autels Où le juste avenir prépare à ton génie Des honneurs immortels. Ainsi l’aigle superbe au séjour du tonnerre S’élance ; et, soutenant son vol audacieux, Semble dire aux mortels : je suis né sur la terre, Mais je vis dans les cieux. Oui, la gloire t’attend ; mais arrête, et contemple A quel prix on pénètre en ses parvis sacrés ; Vois : l’infortune, assise à la porte du temple, En garde les degrés. Ici, c’est ce vieillard que l’ingrate Ionie A vu de mers en mers promener ses malheurs : Aveugle, il mendiait au prix de son génie Un pain mouillé de pleurs. Là, le Tasse, brûlé d’une flamme fatale, Expiant dans les fers sa gloire et son amour, Quand il va recueillir la palme triomphale, Descend au noir séjour. Partout des malheureux, des proscrits, des victimes, Luttant contre le sort ou contre les bourreaux ; On dirait que le ciel aux cœurs plus magnanimes Mesure plus de maux. Impose donc silence aux plaintes de ta lyre, Des cœurs nés sans vertu l’infortune est l’écueil ; Mais toi, roi détrôné, que ton malheur t’inspire Un généreux orgueil ! Que t’importe après tout que cet ordre barbare T’enchaîne loin des bords qui furent ton berceau ? Que t’importe en quels lieux le destin te prépare Un glorieux tombeau ? Ni l’exil, ni les fers de ces tyrans du Tage N’enchaîneront ta gloire aux bords où tu mourras : Lisbonne la réclame, et voilà l’héritage Que tu lui laisseras ! Ceux qui l’ont méconnu pleureront le grand homme ; Athène à des proscrits ouvre son Panthéon ; Coriolan expire, et les enfants de Rome Revendiquent son nom. Aux rivages des morts avant que de descendre, Ovide lève au ciel ses suppliantes mains : Aux Sarmates grossiers il a légué sa cendre, Et sa gloire aux Romains.

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    La poésie sacrée Son front est couronné de palmes et d’étoiles; Son regard immortel, que rien ne peut ternir, Traversant tous les temps, soulevant tous les voiles, Réveille le passé, plonge dans l’avenir! Du monde sous ses yeux ses fastes se déroulent, Les siècles à ses pieds comme un torrent s’écoulent; A son gré descendant ou remontant leurs cours, Elle sonne aux tombeaux l’heure, l’heure fatale, Ou sur sa lyre virginale Chante au monde vieilli ce jour, père des jours! —— Ecoutez! – Jéhova s’élance Du sein de son éternité. Le chaos endormi s’éveille en sa présence, Sa vertu le féconde, et sa toute-puissance Repose sur l’immensité! Dieu dit, et le jour fut; Dieu dit, et les étoiles De la nuit éternelle éclaircirent les voiles; Tous les éléments divers A sa voix se séparèrent; Les eaux soudain s’écoulèrent Dans le lit creusé des mers; Les montagnes s’élevèrent, Et les aquilons volèrent Dans les libres champs des airs! Sept fois de Jéhova la parole féconde Se fit entendre au monde, Et sept fois le néant à sa voix répondit; Et Dieu dit : Faisons l’homme à ma vivante image. Il dit, l’homme naquit; à ce dernier ouvrage Le Verbe créateur s’arrête et s’applaudit! —— Mais ce n’est plus un Dieu! – C’est l’homme qui soupire Eden a fui!… voilà le travail et la mort! Dans les larmes sa voix expire; La corde du bonheur se brise sur sa lyre, Et Job en tire un son triste comme le sort. —— Ah! périsse à jamais le jour qui m’a vu naître! Ah! périsse à jamais la nuit qui m’a conçu! Et le sein qui m’a donné l’être, Et les genoux qui m’ont reçu! Que du nombre des jours Dieu pour jamais l’efface; Que, toujours obscurci des ombres du trépas, Ce jour parmi les jours ne trouve plus sa place, Qu’il soit comme s’il n’était pas! Maintenant dans l’oubli je dormirais encore, Et j’achèverais mon sommeil Dans cette longue nuit qui n’aura point d’aurore, Avec ces conquérants que la terre dévore, Avec le fruit conçu qui meurt avant d’éclore Et qui n’a pas vu le soleil. Mes jours déclinent comme l’ombre; Je voudrais les précipiter. O mon Dieu! retranchez le nombre Des soleils que je dois compter! L’aspect de ma longue infortune Eloigne, repousse, importune Mes frères lassés de mes maux; En vain je m’adresse à leur foule, Leur pitié m’échappe et s’écoule Comme l’onde au flanc des coteaux. Ainsi qu’un nuage qui passe, Mon printemps s’est évanoui; Mes yeux ne verront plus la trace De tous ces biens dont j’ai joui. Par le souffle de la colère, Hélas! arraché à la terre, Je vais d’où l’on ne revient pas! Mes vallons, ma propre demeure, Et cet oeil même qui me pleure, Ne reverront jamais mes pas! L’homme vit un jour sur la terre Entre la mort et la douleur; Rassasié de sa misère, Il tombe enfin comme la fleur; Il tombe! Au moins par la rosée Des fleurs la racine arrosée Peut-elle un moment refleurir! Mais l’homme, hélas!, après la vie, C’est un lac dont l’eau s’est enfuie : On le cherche, il vient de tarir. Mes jours fondent comme la neige Au souffle du courroux divin; Mon espérance, qu’il abrège, S’enfuit comme l’eau de ma main; Ouvrez-moi mon dernier asile; Là, j’ai dans l’ombre un lit tranquille, Lit préparé pour mes douleurs! O tombeau! vous êtes mon père! Et je dis aux vers de la terre : Vous êtes ma mère et mes sœurs! Mais les jours heureux de l’impie Ne s’éclipsent pas au matin; Tranquille, il prolonge sa vie Avec le sang de l’orphelin! Il étend au loin ses racines; Comme un troupeau sur les collines, Sa famille couvre Ségor; Puis dans un riche mausolée Il est couché dans la vallée, Et l’on dirait qu’il vit encor. C’est le secret de Dieu, je me tais et l’adore! C’est sa main qui traça les sentiers de l’aurore, Qui pesa l’Océan, qui suspendit les cieux! Pour lui, l’abîme est nu, l’enfer même est sans voiles! Il a fondé la terre et semé les étoiles! Et qui suis-je à ses yeux? —— Mais la harpe a frémi sous les doigts d’Isaïe; De son sein bouillonnant la menace à longs flots S’échappe; un Dieu l’appelle, il s’élance, il s’écrie : Cieux et terre, écoutez! silence au fils d’Amos! —— Osias n’était plus : Dieu m’apparut; je vis Adonaï vêtu de gloire et d’épouvante! Les bords éblouissants de sa robe flottante Remplissaient le sacré parvis! Des séraphins debout sur des marches d’ivoire Se voilaient devant lui de six ailes de feux; Volant de l’un à l’autre, ils se disaient entre eux : Saint, saint, saint, le Seigneur, le Dieu, le roi des dieux! Toute la terre est pleine de sa gloire! Du temple à ces accents la voûte s’ébranla, Adonaï s’enfuit sous la nue enflammée : Le saint lieu fut rempli de torrents de fumée. La terre sous mes pieds trembla! Et moi! je resterais dans un lâche silence! Moi qui t’ai vu, Seigneur, je n’oserais parler! A ce peuple impur qui t’offense Je craindrais de te révéler! Qui marchera pour nous? dit le Dieu des armées. Qui parlera pour moi? dit Dieu : Qui? moi, Seigneur! Touche mes lèvres enflammées! Me voilà! je suis prêt!… malheur! Malheur à vous qui dès l’aurore Respirez les parfums du vin! Et que le soir retrouve encore Chancelants aux bords du festin! Malheur à vous qui par l’usure Etendez sans fin ni mesure La borne immense de vos champs! Voulez-vous donc, mortels avides, Habiter dans vos champs arides, Seuls, sur la terre des vivants? Malheur à vous, race insensée! Enfants d’un siècle audacieux, Qui dites dans votre pensée : Nous sommes sages à nos yeux : Vous changez ma nuit en lumière, Et le jour en ombre grossière Où se cachent vos voluptés! Mais, comme un taureau dans la plaine, Vous traînez après vous la chaîne Des vos longues iniquités! Malheur à vous, filles de l’onde! Iles de Sydon et de Tyr! Tyrans! qui trafiquez du monde Avec la pourpre et l’or d’Ophyr! Malheur à vous! votre heure sonne! En vain l’Océan vous couronne, Malheur à toi, reine des eaux, A toi qui, sur des mers nouvelles, Fais retentir comme des ailes Les voiles de mille vaisseaux! Ils sont enfin venus les jours de ma justice; Ma colère, dit Dieu, se déborde sur vous! Plus d’encens, plus de sacrifice Qui puisse éteindre mon courroux! Je livrerai ce peuple à la mort, au carnage; Le fer moissonnera comme l’herbe sauvage Ses bataillons entiers! – Seigneur! épargnez-nous! Seigneur! – Non, point de trêve, Et je ferai sur lui ruisseler de mon glaive Le sang de ses guerriers! Ses torrents sécheront sous ma brûlante haleine; Ma main nivellera, comme une vaste plaine, Ses murs et ses palais; Le feu les brûlera comme il brûle le chaume. Là, plus de nation, de ville, de royaume; Le silence à jamais! Ses murs se couvriront de ronces et d’épines; L’hyène et le serpent peupleront ses ruines; Les hiboux, les vautours, L’un l’autre s’appelant durant la nuit obscure, Viendront à leurs petits porter la nourriture Au sommet de ses tours! —— Mais Dieu ferme à ces mots les lèvres d’Isaïe; Le sombre Ezéchiel Sur le tronc desséché de l’ingrat Israël Fait descendre à son tour la parole de vie. —— L’Eternel emporta mon esprit au désert : D’ossements desséchés le sol était couvert; J’approche en frissonnant; mais Jéhova me crie : Si je parle à ces os, reprendront-ils la vie? – Eternel, tu le sais! – Eh bien! dit le Seigneur, Ecoute mes accents! retiens-les et dis-leur : Ossements desséchés! insensible poussière! Levez-vous! recevez l’esprit et la lumière! Que vos membres épars s’assemblent à ma voix! Que l’esprit vous anime une seconde fois! Qu’entre vos os flétris vos muscles se replacent! Que votre sang circule et vos nerfs s’entrelacent! Levez-vous et vivez, et voyez qui je suis! J’écoutai le Seigneur, j’obéis et je dis : Esprits, soufflez sur eux du couchant, de l’aurore; Soufflez de l’aquilon, soufflez!… Pressés d’éclore, Ces restes du tombeau, réveillés par mes cris, Entrechoquent soudain leurs ossements flétris; Aux clartés du soleil leur paupière se rouvre, Leurs os sont rassemblés, et la chair les recouvre! Et ce champ de la mort tout entier se leva, Redevint un grand peuple, et connut Jéhova! —— Mais Dieu de ses enfants a perdu la mémoire; La fille de Sion, méditant ses malheurs, S’assied en soupirant, et, veuve de sa gloire, Ecoute Jérémie, et retrouve des pleurs. —— Le seigneur, m’accablant du poids de sa colère, Retire tour à tour et ramène sa main; Vous qui passez par le chemin, Est-il une misère égale à ma misère? En vain ma voix s’élève, il n’entend plus ma voix; Il m’a choisi pour but de ses flèches de flamme, Et tout le jour contre mon âme Sa fureur a lancé les fils de son carquois! Sur mes os consumés ma peau s’est desséchée; Les enfants m’ont chanté dans leurs dérisions; Seul, au milieu des nations, Le Seigneur m’a jeté comme une herbe arrachée. Il s’est enveloppé de son divin courroux; Il a fermé ma route, il a troublé ma voie; Mon sein n’a plus connu la joie, Et j’ai dit au Seigneur : Seigneur, souvenez-vous, Souvenez-vous, Seigneur, de ces jours de colère; Souvenez-vous du fiel dont vous m’avez nourri; Non, votre amour n’est point tari : Vous me frappez, Seigneur, et c’est pourquoi j’espère. Je repasse en pleurant ces misérables jours; J’ai connu le Seigneur dès ma plus tendre aurore : Quand il punit, il aime encore; Il ne s’est pas, mon âme, éloigné pour toujours. Heureux qui le connaît! heureux qui dès l’enfance Porta le joug d’un Dieu, clément dans sa rigueur! Il croit au salut du Seigneur, S’assied au bord du fleuve et l’attend en silence. Il sent peser sur lui ce joug de votre amour; Il répand dans la nuit ses pleurs et sa prière, Et la bouche dans la poussière, Il invoque, il espère, il attend votre jour. —— Silence, ô lyre! et vous silence, Prophètes, voix de l’avenir! Tout l’univers se tait d’avance Devant celui qui doit venir! Fermez-vous, lèvres inspirées; Reposez-vous, harpes sacrées, Jusqu’au jour où sur les hauts lieux Une voix au monde inconnue, Fera retentir dans la nue : PAIX A LA TERRE, ET GLOIRE AUX CIEUX!

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    L’homme À lord Byron Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom, Esprit mystérieux, mortel, ange, ou démon, Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie, J’aime de tes concerts la sauvage harmonie, Comme j’aime le bruit de la foudre et des vents Se mêlant dans l’orage à la voix des torrents ! La nuit est ton séjour, l’horreur est ton domaine : L’aigle, roi des déserts, dédaigne ainsi la plaine; Il ne veut, comme toi, que des rocs escarpés Que l’hiver a blanchis, que la foudre a frappés; Des rivages couverts des débris du naufrage, Ou des champs tout noircis des restes du carnage. Et, tandis que l’oiseau qui chante ses douleurs Bâtit au bord des eaux son nid parmi les fleurs, Lui, des sommets d’Athos franchit l’horrible cime, Suspend aux flancs des monts son aire sur l’abîme, Et là, seul, entouré de membres palpitants, De rochers d’un sang noir sans cesse dégouttants, Trouvant sa volupté dans les cris de sa proie, Bercé par la tempête, il s’endort dans sa joie. Et toi, Byron, semblable à ce brigand des airs, Les cris du désespoir sont tes plus doux concerts. Le mal est ton spectacle, et l’homme est ta victime. Ton oeil, comme Satan, a mesuré l’abîme, Et ton âme, y plongeant loin du jour et de Dieu, A dit à l’espérance un éternel adieu ! Comme lui, maintenant, régnant dans les ténèbres, Ton génie invincible éclate en chants funèbres; Il triomphe, et ta voix, sur un mode infernal, Chante l’hymne de gloire au sombre dieu du mal. Mais que sert de lutter contre sa destinée ? Que peut contre le sort la raison mutinée ? Elle n’a comme l’œil qu’un étroit horizon. Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison : Hors de là tout nous fuit, tout s’éteint, tout s’efface; Dans ce cercle borné Dieu t’a marqué ta place. Comment ? pourquoi ? qui sait ? De ses puissantes mains Il a laissé tomber le monde et les humains, Comme il a dans nos champs répandu la poussière, Ou semé dans les airs la nuit et la lumière; Il le sait, il suffit : l’univers est à lui, Et nous n’avons à nous que le jour d’aujourd’hui ! Notre crime est d’être homme et de vouloir connaître : Ignorer et servir, c’est la loi de notre être. Byron, ce mot est dur : longtemps j’en ai douté; Mais pourquoi reculer devant la vérité ? Ton titre devant Dieu c’est d’être son ouvrage ! De sentir, d’adorer ton divin esclavage; Dans l’ordre universel, faible atome emporté, D’unir à tes desseins ta libre volonté, D’avoir été conçu par son intelligence, De le glorifier par ta seule existence ! Voilà, voilà ton sort. Ah ! loin de l’accuser, Baise plutôt le joug que tu voudrais briser; Descends du rang des dieux qu’usurpait ton audace; Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place; Aux regards de celui qui fit l’immensité, L’insecte vaut un monde : ils ont autant coûté ! Mais cette loi, dis-tu, révolte ta justice; Elle n’est à tes yeux qu’un bizarre caprice, Un piège où la raison trébuche à chaque pas. Confessons-la, Byron, et ne la jugeons pas ! Comme toi, ma raison en ténèbres abonde, Et ce n’est pas à moi de t’expliquer le monde. Que celui qui l’a fait t’explique l’univers ! Plus je sonde l’abîme, hélas ! plus je m’y perds. Ici-bas, la douleur à la douleur s’enchaîne. Le jour succède au jour, et la peine à la peine. Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux; Soit que déshérité de son antique gloire, De ses destins perdus il garde la mémoire; Soit que de ses désirs l’immense profondeur Lui présage de loin sa future grandeur : Imparfait ou déchu, l’homme est le grand mystère. Dans la prison des sens enchaîné sur la terre, Esclave, il sent un cœur né pour la liberté; Malheureux, il aspire à la félicité; Il veut sonder le monde, et son œil est débile ; Il veut aimer toujours : ce qu’il aime est fragile ! Tout mortel est semblable à l’exilé d’Eden : Lorsque Dieu l’eut banni du céleste jardin, Mesurant d’un regard les fatales limites, Il s’assit en pleurant aux portes interdites. Il entendit de loin dans le divin séjour L’harmonieux soupir de l’éternel amour, Les accents du bonheur, les saints concerts des anges Qui, dans le sein de Dieu, célébraient ses louanges; Et, s’arrachant du ciel dans un pénible effort, Son oeil avec effroi retomba sur son sort. Malheur à qui du fond de l’exil de la vie Entendit ces concerts d’un monde qu’il envie ! Du nectar idéal sitôt qu’elle a goûté, La nature répugne à la réalité : Dans le sein du possible en songe elle s’élance; Le réel est étroit, le possible est immense; L’âme avec ses désirs s’y bâtit un séjour, Où l’on puise à jamais la science et l’amour; L’homme, altéré toujours, toujours se désaltère; Et, de songes si beaux enivrants son sommeil, Ne se reconnaît plus au moment du réveil. Hélas ! tel fut ton sort, telle est ma destinée. J’ai vidé comme toi la coupe empoisonnée; Mes yeux, comme les tiens, sans voir se sont ouverts; Jai cherché vainement le mot de l’univers. J’ai demandé sa cause à toute la nature, J’ai demandé sa fin à toute créature; Dans l’abîme sans fond mon regard a plongé; De l’atome au soleil, j’ai tout interrogé; J’ai devancé les temps, j’ai remonté les âges. Tantôt passant les mers pour écouter les sages, Mais le monde à l’orgueil est un livre fermé ! Tantôt, pour deviner le monde inanimé, Fuyant avec mon âme au sein de la nature, J’ai cru trouver un sens à cette langue obscure. J’étudiai la loi par qui roulent les cieux : Dans leurs brillants déserts Newton guida mes yeux, Des empires détruits je méditai la cendre : Dans ses sacrés tombeaux Rome m’a vu descendre; Des mânes les plus saints troublant le froid repos, J’ai pesé dans mes mains la cendre des héros. J’allais redemander à leur vaine poussière Cette immortalité que tout mortel espère ! Que dis-je ? suspendu sur le lit des mourants, Mes regards la cherchaient dans des yeux expirants; Sur ces sommets noircis par d’éternels nuages, Sur ces flots sillonnés par d’éternels orages, J’appelais, je bravais le choc des éléments. Semblable à la sybille en ses emportements, J’ai cru que la nature en ces rares spectacles Laissait tomber pour nous quelqu’un de ses oracles; J’aimais à m’enfoncer dans ces sombres horreurs. Mais en vain dans son calme, en vain dans ses fureurs, Cherchant ce grand secret sans pouvoir le surprendre, J’ai vu partout un Dieu sans jamais le comprendre ! J’ai vu le bien, le mal, sans choix et sans dessein, Tomber comme au hasard, échappés de son sein; Mes yeux dans l’univers n’ont vu qu’un grand peut-être, J’ai blasphémé ce Dieu, ne pouvant le connaître; Et ma voix, se brisant contre ce ciel d’airain, N’a pas même eu l’honneur d’arrêter le destin. Mais, un jour que, plongé dans ma propre infortune, J’avais lassé le ciel d’une plainte importune, Une clarté d’en haut dans mon sein descendit, Me tenta de bénir ce que j’avais maudit, Et, cédant sans combattre au souffle qui m’inspire, L’hymne de la raison s’élança de ma lyre. – « Gloire à toi, dans les temps et dans l’éternité ! Éternelle raison, suprême volonté ! Toi, dont l’immensité reconnaît la présence ! Toi, dont chaque matin annonce l’existence ! Ton souffle créateur s’est abaissé sur moi; Celui qui n’était pas a paru devant toi ! J’ai reconnu ta voix avant de me connaître, Je me suis élancé jusqu’aux portes de l’être : Me voici ! le néant te salue en naissant; Me voici ! mais que suis-je ? un atome pensant ! Qui peut entre nous deux mesurer la distance ? Moi, qui respire en toi ma rapide existence, A l’insu de moi-même à ton gré façonné, Que me dois-tu, Seigneur, quand je ne suis pas né ? Rien avant, rien après : Gloire à la fin suprême : Qui tira tout de soi se doit tout à soi-même ! Jouis, grand artisan, de l’œuvre de tes mains : Je suis, pour accomplir tes ordres souverains, Dispose, ordonne, agis; dans les temps, dans l’espace, Marque-moi pour ta gloire et mon jour et ma place; Mon être, sans se plaindre, et sans t’interroger, De soi-même, en silence, accourra s’y ranger. Comme ces globes d’or qui dans les champs du vide Suivent avec amour ton ombre qui les guide, Noyé dans la lumière, ou perdu dans la nuit, Je marcherai comme eux où ton doigt me conduit; Soit que choisi par toi pour éclairer les mondes, Réfléchissant sur eux les feux dont tu m’inondes, Je m’élance entouré d’esclaves radieux, Et franchisse d’un pas tout l’abîme des cieux; Soit que, me reléguant loin, bien loin de ta vue, Tu ne fasses de moi, créature inconnue, Qu’un atome oublié sur les bords du néant, Ou qu’un grain de poussière emporté par le vent, Glorieux de mon sort, puisqu’il est ton ouvrage, J’irai, j’irai partout te rendre un même hommage, Et, d’un égal amour accomplissant ma loi, Jusqu’aux bords du néant murmurer : Gloire à toi ! – « Ni si haut, ni si bas ! simple enfant de la terre, Mon sort est un problème, et ma fin un mystère; Je ressemble, Seigneur, au globe de la nuit Qui, dans la route obscure où ton doigt le conduit, Réfléchit d’un côté les clartés éternelles, Et de l’autre est plongé dans les ombres mortelles. L’homme est le point fatal où les deux infinis Par la toute-puissance ont été réunis. A tout autre degré, moins malheureux peut-être, J’eusse été… Mais je suis ce que je devais être, J’adore sans la voir ta suprême raison, Gloire à toi qui m’as fait ! Ce que tu fais est bon ! – « Cependant, accablé sous le poids de ma chaîne, Du néant au tombeau l’adversité m’entraîne; Je marche dans la nuit par un chemin mauvais, Ignorant d’où je viens, incertain où je vais, Et je rappelle en vain ma jeunesse écoulée, Comme l’eau du torrent dans sa source troublée. Gloire à toi ! Le malheur en naissant m’a choisi; Comme un jouet vivant, ta droite m’a saisi; J’ai mangé dans les pleurs le pain de ma misère, Et tu m’as abreuvé des eaux de ta colère. Gloire à toi ! J’ai crié, tu n’as pas répondu; J’ai jeté sur la terre un regard confondu. J’ai cherché dans le ciel le jour de ta justice; Il s’est levé, Seigneur, et c’est pour mon supplice ! Gloire à toi ! L’innocence est coupable à tes yeux : Un seul être, du moins, me restait sous les cieux; Toi-même de nos jours avais mêlé la trame, Sa vie était ma vie, et son âme mon âme; Comme un fruit encor vert du rameau détaché, Je l’ai vu de mon sein avant l’âge arraché ! Ce coup, que tu voulais me rendre plus terrible La frappa lentement pour m’être plus sensible; Dans ses traits expirants, où je lisais mon sort, J’ai vu lutter ensemble et l’amour et la mort; J’ai vu dans ses regards la flamme de la vie, Sous la main du trépas par degrés assoupie, Se ranimer encore au souffle de l’amour ! Je disais chaque jour : Soleil ! encore un jour ! Semblable au criminel qui, plongé dans les ombres, Et descendu vivant dans les demeures sombres, Près du dernier flambeau qui doive l’éclairer, Se penche sur sa lampe et la voit expirer, Je voulais retenir l’âme qui s’évapore; Dans son dernier regard je la cherchais encore ! Ce soupir, ô mon Dieu ! dans ton sein s’exhala; Hors du monde avec lui mon espoir s’envola ! Pardonne au désespoir un moment de blasphème, J’osai… Je me repens : Gloire au maître suprême ! Il fit l’eau pour couler, l’aquilon pour courir, Les soleils pour brûler, et l’homme pour souffrir ! – « Que j’ai bien accompli cette loi de mon être ! La nature insensible obéit sans connaître; Moi seul, te découvrant sous la nécessité, J’immole avec amour ma propre volonté, Moi seul, je t’obéis avec intelligence; Moi seul, je me complais dans cette obéissance; Je jouis de remplir, en tout temps, en tout lieu, La loi de ma nature et l’ordre de mon Dieu; J’adore en mes destins ta sagesse suprême, J’aime ta volonté dans mes supplices même, Gloire à toi ! Gloire à toi ! Frappe, anéantis-moi ! Tu n’entendras qu’un cri : Gloire à jamais à toi ! » Ainsi ma voix monta vers la voûte céleste : Je rendis gloire au ciel, et le ciel fit le reste. Fais silence, ô ma lyre ! Et toi, qui dans tes mains Tiens le cœur palpitant des sensibles humains, Byron, viens en tirer des torrents d’harmonie : C’est pour la vérité que Dieu fit le génie. Jette un cri vers le ciel, ô chantre des enfers ! Le ciel même aux damnés enviera tes concerts ! Peut-être qu’à ta voix, de la vivante flamme Un rayon descendra dans l’ombre de ton âme ? Peut-être que ton cœur, ému de saints transports, S’apaisera soi-même à tes propres accords, Et qu’un éclair d’en haut perçant ta nuit profonde, Tu verseras sur nous la clarté qui t’inonde ? Ah ! si jamais ton luth, amolli par tes pleurs, Soupirait sous tes doigts l’hymne de tes douleurs, Ou si, du sein profond des ombres éternelles, Comme un ange tombé, tu secouais tes ailes, Et prenant vers le jour un lumineux essor, Parmi les chœurs sacrés tu t’asseyais encor; Jamais, jamais l’écho de la céleste voûte, Jamais ces harpes d’or que Dieu lui-même écoute, Jamais des séraphins les chœurs mélodieux, De plus divins accords n’auront ravi les cieux ! Courage ! enfant déchu d’une race divine ! Tu portes sur ton front ta superbe origine ! Tout homme en te voyant reconnaît dans tes yeux Un rayon éclipsé de la splendeur des cieux ! Roi des chants immortels, reconnais-toi toi-même ! Laisse aux fils de la nuit le doute et le blasphème; Dédaigne un faux encens qu’on offre de si bas, La gloire ne peut être où la vertu n’est pas. Viens reprendre ton rang dans ta splendeur première, Parmi ces purs enfants de gloire et de lumière, Que d’un souffle choisi Dieu voulut animer, Et qu’il fit pour chanter, pour croire et pour aimer !

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    A

    Amable Tastu

    @amableTastu

    Découragement Ils me l’ont dit : parfois, d’un mot qui touche, J’ai réveillé le sourire ou les pleurs, Quelques doux airs ont erré sur ma bouche, Sous mes pinceaux quelques fraîches couleurs. Ils me l’ont dit ! connaissent-ils mon âme, Pour lui vouer sympathie ou dédain ? Non, je le sens, la louange ou le blâme Tombe au hasard sur un fantôme vain. Ah! si mes chants ont brigué leur estime, C’est que la mienne a passé mes efforts ; Car mon talent n’est qu’une lutte intime D’ardents pensers et de frêles accords. Bruits caressants de la foule empressée, Oh ! que mon cœur vous compterait pour rien Si je pouvais, seule avec ma pensée, Me dire un jour : Ce que j’ai fait est bien ! Un jour, un seul! pour jeter sur ces pages, Pour, à mon gré, répandre dans mes vers Ce que je vois de brillantes images, Ce que j’entends d’ineffables concerts !… Un jour, un seul !… mais non, pas même une heure ! Pour m’épancher, pas un mot, pas un son ; L’esprit captif qui dans mon sein demeure Bat vainement les murs de sa prison. Ainsi s’accroît la flamme inaperçue D’un incendie en secret allumé : Lorsqu’au dehors elle s’ouvre une issue, C’est qu’au dedans elle a tout consumé. Si vous deviez aux voûtes éternelles Dès le berceau fixer mes faibles yeux, Pourquoi, mon Dieu, me refuser ces ailes Qui d’un essor nous portent dans vos cieux ? Moi qui, du monde aisément détachée, Aspire à fuir les chaînes d’ici-bas, Dois-je glaner, vers la terre penchée, Ce peu d’épis répandus sous mes pas ? Faut-il quêter dans la moisson commune Mon lot chétif de peine et de plaisirs, Quand il n’est point de si haute fortune Que de bien loin ne passent mes désirs !… Puis, qu’après moi rien de moi ne demeure ! Penser ! souffrir ! sans qu’il en reste rien, Sans imposer, devant que je ne meure, A d’autres cœurs les battements du mien !… Sons enchantés, qu’entend ma seule oreille, Divins aspects, rêves où je me plus, Vous, qui m’ouvrez un monde de merveille, Où serez-vous quand je ne serai plus ?

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    Andrée Chedid

    Andrée Chedid

    @andreeChedid

    L’autre « Je est un autre. » Arthur R. À force de m’écrire Je me découvre un peu Je recherche l’Autre J’aperçois au loin La femme que j’ai été Je discerne ses gestes Je glisse sur ses défauts Je pénètre à l’intérieur D’une conscience évanouie J’explore son regard Comme ses nuits Je dépiste et dénude un ciel Sans réponse et sans voix Je parcours d’autres domaines J’invente mon langage Et m’évade en Poésie Retombée sur ma Terre J’y répète à voix basse Inventions et souvenirs À force de m’écrire Je me découvre un peu Et je retrouve l’Autre. Andrée Chedid

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs À Monsieur Théodore de Banville Ainsi, toujours, vers l'azur noir Où tremble la mer des topazes, Fonctionneront dans ton soir Les Lys, ces clystères d'extases ! À notre époque de sagous, Quand les Plantes sont travailleuses, Le Lys boira les bleus dégoûts Dans tes Proses religieuses ! - Le lys de monsieur de Kerdrel, Le Sonnet de mil huit cent trente, Le Lys qu'on donne au Ménestrel Avec l'oeillet et l'amarante ! Des lys ! Des lys ! On n'en voit pas ! Et dans ton Vers, tel que les manches Des Pécheresses aux doux pas, Toujours frissonnent ces fleurs blanches ! Toujours, Cher, quand tu prends un bain, Ta chemise aux aisselles blondes Se gonfle aux brises du matin Sur les myosotis immondes ! L'amour ne passe à tes octrois Que les Lilas, - ô balançoires ! Et les Violettes du Bois, Crachats sucrés des Nymphes noires !... II Ô Poètes, quand vous auriez Les Roses, les Roses soufflées, Rouges sur tiges de lauriers, Et de mille octaves enflées ! Quand Banville en ferait neiger, Sanguinolentes, tournoyantes, Pochant l'oeil fou de l'étranger Aux lectures mal bienveillantes ! De vos forêts et de vos prés, Ô très paisibles photographes ! La Flore est diverse à peu près Comme des bouchons de carafes ! Toujours les végétaux Français, Hargneux, phtisiques, ridicules, Où le ventre des chiens bassets Navigue en paix, aux crépuscules ; Toujours, après d'affreux dessins De Lotos bleus ou d'Hélianthes, Estampes roses, sujets saints Pour de jeunes communiantes ! L'Ode Açoka cadre avec la Strophe en fenêtre de lorette ; Et de lourds papillons d'éclat Fientent sur la Pâquerette. Vieilles verdures, vieux galons ! Ô croquignoles végétales ! Fleurs fantasques des vieux Salons ! - Aux hannetons, pas aux crotales, Ces poupards végétaux en pleurs Que Grandville eût mis aux lisières, Et qu'allaitèrent de couleurs De méchants astres à visières ! Oui, vos bavures de pipeaux Font de précieuses glucoses ! - Tas d'oeufs frits dans de vieux chapeaux, Lys, Açokas, Lilas et Roses !... III Ô blanc Chasseur, qui cours sans bas À travers le Pâtis panique, Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas Connaître un peu ta botanique ? Tu ferais succéder, je crains, Aux Grillons roux les Cantharides, L'or des Rios au bleu des Rhins, - Bref, aux Norwèges les Florides : Mais, Cher, l'Art n'est plus, maintenant, - C'est la vérité, - de permettre À l'Eucalyptus étonnant Des constrictors d'un hexamètre ; Là !... Comme si les Acajous Ne servaient, même en nos Guyanes, Qu'aux cascades des sapajous, Au lourd délire des lianes ! - En somme, une Fleur, Romarin Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle Un excrément d'oiseau marin ? Vaut-elle un seul pleur de chandelle ? - Et j'ai dit ce que je voulais ! Toi, même assis là-bas, dans une Cabane de bambous, - volets Clos, tentures de perse brune, - Tu torcherais des floraisons Dignes d'Oises extravagantes !... - Poète ! ce sont des raisons Non moins risibles qu'arrogantes !... IV Dis, non les pampas printaniers Noirs d'épouvantables révoltes, Mais les tabacs, les cotonniers ! Dis les exotiques récoltes ! Dis, front blanc que Phébus tanna, De combien de dollars se rente Pedro Velasquez, Habana ; Incague la mer de Sorrente Où vont les Cygnes par milliers ; Que tes strophes soient des réclames Pour l'abatis des mangliers Fouillés des Hydres et des lames ! Ton quatrain plonge aux bois sanglants Et revient proposer aux Hommes Divers sujets de sucres blancs, De pectoraires et de gommes ! Sachons parToi si les blondeurs Des Pics neigeux, vers les Tropiques, Sont ou des insectes pondeurs Ou des lichens microscopiques ! Trouve, ô Chasseur, nous le voulons, Quelques garances parfumées Que la Nature en pantalons Fasse éclore ! - pour nos Armées ! Trouve, aux abords du Bois qui dort, Les fleurs, pareilles à des mufles, D'où bavent des pommades d'or Sur les cheveux sombres des Buffles ! Trouve, aux prés fous, où sur le Bleu Tremble l'argent des pubescences, Des calices pleins d'Oeufs de feu Qui cuisent parmi les essences ! Trouve des Chardons cotonneux Dont dix ânes aux yeux de braises Travaillent à filer les noeuds ! Trouve des Fleurs qui soient des chaises ! Oui, trouve au coeur des noirs filons Des fleurs presque pierres, - fameuses ! - Qui vers leurs durs ovaires blonds Aient des amygdales gemmeuses ! Sers-nous, ô Farceur, tu le peux, Sur un plat de vermeil splendide Des ragoûts de Lys sirupeux Mordant nos cuillers Alfénide ! V Quelqu'un dira le grand Amour, Voleur des sombres Indulgences : Mais ni Renan, ni le chat Murr N'ont vu les Bleus Thyrses immenses ! Toi, fais jouer dans nos torpeurs, Par les parfums les hystéries ; Exalte-nous vers les candeurs Plus candides que les Maries... Commerçant ! colon ! médium ! Ta Rime sourdra, rose ou blanche, Comme un rayon de sodium, Comme un caoutchouc qui s'épanche ! De tes noirs Poèmes, - Jongleur ! Blancs, verts, et rouges dioptriques, Que s'évadent d'étranges fleurs Et des papillons électriques ! Voilà ! c'est le Siècle d'enfer ! Et les poteaux télégraphiques Vont orner, - lyre aux chants de fer, Tes omoplates magnifiques ! Surtout, rime une version Sur le mal des pommes de terre ! - Et, pour la composition De poèmes pleins de mystère Qu'on doive lire de Tréguier À Paramaribo, rachète Des Tomes de Monsieur Figuier, - Illustrés ! - chez Monsieur Hachette !

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

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    Le bateau ivre Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. J’étais insoucieux de tous les équipages, Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais. Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants, Je courus ! Et les Péninsules démarrées N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l’oeil niais des falots ! Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures, L’eau verte pénétra ma coque de sapin Et des taches de vins bleus et des vomissures Me lava, dispersant gouvernail et grappin. Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème De la Mer, infusé d’astres, et lactescent, Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend ; Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rhythmes lents sous les rutilements du jour, Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l’amour ! Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes Et les ressacs et les courants : je sais le soir, L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques, Illuminant de longs figements violets, Pareils à des acteurs de drames très antiques Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ! J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, Baisers montant aux yeux des mers avec lenteurs, La circulation des sèves inouïes, Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs ! J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries Hystériques, la houle à l’assaut des récifs, Sans songer que les pieds lumineux des Maries Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs ! J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ! J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan ! Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces, Et les lointains vers les gouffres cataractant ! Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises ! Échouages hideux au fond des golfes bruns Où les serpents géants dévorés des punaises Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums ! J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants. – Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants. Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux… Presque île, ballottant sur mes bords les querelles Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds. Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles Des noyés descendaient dormir, à reculons ! Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ; Libre, fumant, monté de brumes violettes, Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur Qui porte, confiture exquise aux bons poètes, Des lichens de soleil et des morves d’azur ; Qui courais, taché de lunules électriques, Planche folle, escorté des hippocampes noirs, Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ; Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais, Fileur éternel des immobilités bleues, Je regrette l’Europe aux anciens parapets ! J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : – Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles, Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ? Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes. Toute lune est atroce et tout soleil amer : L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes. Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer ! Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache Noire et froide où vers le crépuscule embaumé Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche Un bateau frêle comme un papillon de mai. Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, Enlever leur sillage aux porteurs de cotons, Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes, Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les poètes de sept ans À M. P. Demeny Et la Mère, fermant le livre du devoir, S’en allait satisfaite et très fière, sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences L’âme de son enfant livrée aux répugnances. Tout le jour il suait d’obéissance ; très Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits, Semblaient prouver en lui d’âcres hypocrisies. Dans l’ombre des couloirs aux tentures moisies, En passant il tirait la langue, les deux poings À l’aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. Une porte s’ouvrait sur le soir : à la lampe On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, Sous un golfe de jour pendant du toit. L’été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté À se renfermer dans la fraîcheur des latrines : Il pensait là, tranquille et livrant ses narines. Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet Derrière la maison, en hiver, s’illunait, Gisant au pied d’un mur, enterré dans la marne Et pour des visions écrasant son œil darne, Il écoutait grouiller les galeux espaliers. Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue, Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue Sous des habits puant la foire et tout vieillots, Conversaient avec la douceur des idiots ! Et si, l’ayant surpris à des pitiés immondes, Sa mère s’effrayait ; les tendresses, profondes, De l’enfant se jetaient sur cet étonnement. C’était bon. Elle avait le bleu regard, – qui ment ! À sept ans, il faisait des romans, sur la vie Du grand désert, où luit la Liberté ravie, Forêts, soleils, rives, savanes ! – Il s’aidait De journaux illustrés où, rouge, il regardait Des Espagnoles rire et des Italiennes. Quand venait, l’œil brun, folle, en robes d’indiennes, À Huit ans, – la fille des ouvriers d’à côté, La petite brutale, et qu’elle avait sauté, Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses, Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses, Car elle ne portait jamais de pantalons ; – Et, par elle meurtri des poings et des talons, Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de décembre, Où, pommadé, sur un guéridon d’acajou, Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ; Des rêves l’oppressaient chaque nuit dans l’alcôve. Il n’aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu’au soir fauve, Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg Où les crieurs, en trois roulements de tambour, Font autour des édits rire et gronder les foules. – Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles Lumineuses, parfums sains, pubescences d’or, Font leur remuement calme et prennent leur essor ! Et comme il savourait surtout les sombres choses, Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes, Haute et bleue, âcrement prise d’humidité, Il lisait son roman sans cesse médité, Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées, De fleurs de chair aux bois sidérals déployées, Vertige, écroulements, déroutes et pitié ! – Tandis que se faisait la rumeur du quartier, En bas, – seul, et couché sur des pièces de toile Écrue, et pressentant violemment la voile ! 26 mai 1871

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Ma bohème Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ; Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! Mon unique culotte avait un large trou. – Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. – Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

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    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    À un disciple de Chénier Parés de lauriers éphémères, Tu vois courir les plus pressés, Et tu souris à leurs chimères, Doux rêveur aux calmes pensers. Mais parfois ton esprit s’étonne : Pourquoi produire avant le temps ? Les dons savoureux de l’automne Ne se cueillent point au printemps. N’importe ! dans leur folle ivresse, Ils vont, ils vont, les gais chanteurs ! De ta studieuse paresse, Bruyants, ils raillent les lenteurs. Mais, sourd à leur jeune délire, Peu jaloux d’un précoce essor, Tu t’enfermes avec ta lyre, Pouvant, ne voulant point encor. De Chénier disciple fidèle, Au but pour atteindre en vainqueur, Tu veux laisser croître ton aile, Tu veux laisser mûrir ton cœur. Tu sais ta force et t’en contentes ; Comme à la fleur tu tiens au fruit : Les muses graves que tu hantes Aiment la gloire et non le bruit. Dans ses lentes métamorphoses Étudiant l’Art éternel, Pour toi, du suc choisi des choses En silence tu fais ton miel. Heureux de leurs jeunes victoires, Tu t’en réjouis à l’écart, Mais tu restes épris des gloires Des vieux patriarches de l’Art. Poursuis ainsi, de nul système N’accepte le joug importun ; A toute fleur, à tout poème Ne prends jamais que le parfum. Admire et sens ! jamais n’imite ! Et le beau, cherche-le partout ! L’Art ne connaît point de limite, Hormis la limite du goût. Abeille du jardin des rimes, Butine en toute liberté ; Vole aux vallons et vole aux cimes, Partout où fleurit la beauté ! Et, muse avide mais discrète, Rapporte ton culte et ton cœur A Virgile, le doux poète, A Shakspeare, le grand penseur.

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    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Coucher de soleil sous l’équateur C’était sous l’équateur. Dans la vague apaisé Le char des jours plongeait ses flamboyants essieux, Et la nuit, s’avançant sur la voie embrasée, D’ombre et de paix sereine enveloppait les cieux. Les étoiles s’ouvraient sous un souffle invisible, Et brillaient, fleurs de feu, dans un ciel étouffant. L’Océan, dans son lit tiède, immense, paisible, S’endormait fort et doux et beau comme un enfant. Mais, tel qu’un fol esprit aux ailes vagabondes, Rasant des flots émus le frissonnant azur, Le vent des soirs courait sur les nappes profondes Et, par instants, ridait leur sein tranquille et pur. Et je suivais des yeux cette haleine indécise Se jouant sur l’abîme où dort l’âpre ouragan ; Et j’ai dit : « Dieu permet à la plus faible brise De rider ton front calme, ô terrible Océan ! « Puissant et vaste, il faut la foudre et la tempête Pour soulever ton sein, pour courroucer tes flots ; Et le moindre vent peut, de son aile inquiète, Importuner ton onde et troubler ton repos. « Des passions, poète, il faut aussi l’orage Pour soulever ta muse et ton verbe irrité ; Un souffle peut aussi, dans la paix qui t’ombrage, Troubler ta quiétude et ta sérénité. « Toute vague a son pli, tout bonheur a sa ride. Où trouver le repos, l’oubli, l’apaisement ? Pour cette fleur sans prix notre cœur est aride ! L’inaltérable paix est en Dieu seulement. « Pour moi, je n’irai point demander à la terre Un bonheur qui nous trompe ou qui nous dit adieu ; Mais toujours je mettrai, poète au rêve austère, Mon amour dans la Muse et mon espoir en Dieu ! »

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    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Le passé ! Happy years ! Once more who would not be a boy ? Byron. Passé, matins riants, bienheureuses années, Candeurs des jours éteints, illusions fanées, Ah ! pour vous ressaisir, vous que nous pleurons tant, Ah ! qui donc ne voudrait redevenir enfant ! Comme ils sont loin déjà, les jours de mon enfance ! La vie en moi s’ouvrait dans sa fleur d’innocence ; De mon être imprégné d’odorante fraîcheur Un parfum printanier montait vers le Seigneur ; Et, tel qu’un arbre en fleur, mon esprit plein de sèves Berçait au vent de Dieu la beauté de ses rêves ! Du chant voilé des eaux, du bruit mourant des bois J’enivrais mon oreille et j’emplissais ma voix ; Ma Muse se baignait, blonde et jeune d’années, Dans les moites senteurs des vertes matinées ; Et l’inspiration au virginal essor Se levait sur mon âme ainsi qu’une aube d’or. Poète, oh ! je l’étais alors ! et mes pensées S’épandaient dans les airs en ondes cadencées, Et, comme un lac au fond des bois mystérieux, Pures, réfléchissaient la pureté des cieux. De la foi sur mes jours brillait encor l’étoile ; Je trouvais Dieu partout sans mystère et sans voile : Je l’entendais parler dans le bruit des roseaux, Je l’entendais chanter dans la voix des oiseaux, Je le sentais passer dans les larges haleines Des brises ondoyant au sein profond des plaines ; Je le voyais sourire et briller plus qu’ailleurs Dans la splendeur de l’astre et la gloire des fleurs ! Et de mon âme ouverte, effusion première, Montait ma poésie en strophes de lumière ; Et, tel que la colombe à l’harmonieux vol, Mon esprit sans effort se détachait du sol Et dans les feux de l’aube, aux voûtes éternelles, N’avait pour s’élever qu’à déployer les ailes ! Mais ces temps ne sont plus ! Sans flamme et sans accords, Je languis désormais sous les chaînes du corps. Mon luth n’a plus de corde où vibre l’espérance ; Ma voix est un sanglot, mon chant, une souffrance ; Et, comme cet arbuste aux larmes d’ambre et d’or, A qui le fer cruel fait saigner son trésor, Trahissant à mes flancs de secrètes morsures, Mes vers ne coulent plus qu’à travers mes blessures ! Et ces vers douloureux, cette amère liqueur, Goutte à goutte, en secret, s’épanchant de mon cœur, Me font plus douce encor la douce poésie Dont s’abreuvait, enfant, ma jeune fantaisie. Et je songe avec pleurs à mon enfance aux bois, A ma lyre facile, à mes chants d’autrefois, A ces jours où, pareils au lys de ma colline, Essaim mélodieux à la voix cristalline, Mes frais pensers, ouvrant leurs ailes de blancheur, D’un naturel essor s’en allaient au Seigneur ! Et je me dis alors, pris du mal de la vie, Et vers mes jours éteints tournant des yeux d’envie : Pour croire et pour aimer, pour prier et chanter, Pour se sentir vers Dieu palpiter et monter, Pour déborder de foi, de sève et de puissance, Pour revêtir d’Abel la robe d’innocence, Pour être fort et pur, candide et triomphant, Ah ! qui donc ne voudrait redevenir enfant !

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    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Les oiseaux Enfants des airs, heureux oiseaux, lyres ailées, Qui passez si légers, si libres dans les champs ; Hôtes harmonieux des monts et des vallées, Qui dépensez vos jours dans la joie et les chants ; Poètes qui chantez en tous lieux, à toute heure, Ignorant les soucis dont l’homme est agité ; Qui, le soir, dans les bois trouvez une demeure, Et dans l’air, le matin, trouvez la liberté ; Rivaux heureux, rivaux aux chansons éternelles, Que je vous porte envie en vous suivant des yeux ! Quand la terre a blessé vos pieds, ouvrant les ailes, Vous pouvez fuir du moins et monter vers les cieux. Vous prodiguant les biens dont la nature est pleine, Le sort vous livre tout sans lutte et sans combats ; Sans suspendre vos chants vous trouvez dans la plaine L’eau claire et l’épi mûr que nous n’y trouvons pas. Le ciel qui vous sourit est pour nous bien austère ; Il a courbé nos jours sous un bien lourd fardeau : Pour rafraîchir les fronts que la pensée altère, Les rameaux n’ont point d’ombre et les fleurs n’ont point d’eau. Chanteurs favorisés, ô voix pleines de charmes ! Oui ! la terre vous aime, oui ! le sort vous est doux. Bénissez donc le ciel, oiseaux, gosiers sans larmes ! Bénissez-le pour vous et priez-le pour nous ! Priez Dieu qu’il nous fasse, après les jours contraires, Et des cieux plus cléments et des soleils meilleurs ; Priez Dieu pour qu’il donne aux poètes, vos frères, Un épi dans la plaine et de l’eau dans les fleurs. ENVOI AU POÈTE OCTAVE LACROIX De l’oiseau vous avez, ami, la voix et l’aile ; Comme lui vous fuyez la terre pour le ciel. A l’idéal en vous le poète est fidèle : Vous aimez, vous chantez, cœur d’or, esprit sans fiel.

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Bohémiens en Voyage La tribu prophétique aux prunelles ardentes Hier s'est mise en route, emportant ses petits Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes. Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes Le long des chariots où les leurs sont blottis, Promenant sur le ciel des yeux appesantis Par le morne regret des chimères absentes. Du fond de son réduit sablonneux le grillon, Les regardant passer, redouble sa chanson ; Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures, Fait couler le rocher et fleurir le désert Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert L'empire familier des ténèbres futures.

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Je te donne ces vers… Je te donne ces vers afin que si mon nom Aborde heureusement aux époques lointaines, Et fait rêver un soir les cervelles humaines, Vaisseau favorisé par un grand aquilon, Ta mémoire, pareille aux fables incertaines, Fatigue le lecteur ainsi qu’un tympanon, Et par un fraternel et mystique chaînon Reste comme pendue à mes rimes hautaines ; Être maudit à qui, de l’abîme profond Jusqu’au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne réponds ! – Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère, Foules d’un pied léger et d’un regard serein Les stupides mortels qui t’ont jugée amère, Statue aux yeux de jais, grand ange au front d’airain !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    L'albatros Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. À peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait ! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

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    L’idéal Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes, Produits avariés, nés d’un siècle vaurien, Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes, Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien. Je laisse à Gavarni, poète des chloroses, Son troupeau gazouillant de beautés d’hôpital, Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal. Ce qu’il faut à ce cœur profond comme un abîme, C’est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime, Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans ; Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange, Qui tors paisiblement dans une pose étrange Tes appas façonnés aux bouches des Titans !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    La fin de la journée Sous une lumière blafarde Court, danse et se tord sans raison La Vie, impudente et criarde. Aussi, sitôt qu’à l’horizon La nuit voluptueuse monte, Apaisant tout, même la faim, Effaçant tout, même la honte, Le Poëte se dit : « Enfin ! Mon esprit, comme mes vertèbres, Invoque ardemment le repos ; Le cœur plein de songes funèbres, Je vais me coucher sur le dos Et me rouler dans vos rideaux, Ô rafraîchissantes ténèbres ! »

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le guignon Pour soulever un poids si lourd, Sisyphe, il faudrait ton courage! Bien qu’on ait du coeur à l’ouvrage, L’Art est long et le Temps est court. Loin des sépultures célèbres, Vers un cimetière isolé, Mon coeur, comme un tambour voilé, Va battant des marches funèbres. — Maint joyau dort enseveli Dans les ténèbres et l’oubli, Bien loin des pioches et des sondes; Mainte fleur épanche à regret Son parfum doux comme un secret Dans les solitudes profondes.

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