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Patrie

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Patrie

Poésies de la collection patrie

    Abdellatif Laâbi

    Abdellatif Laâbi

    @abdellatifLaabi

    Le soleil n'a pas de patrie Parfois oh si rarement tu n'en pouvais plus du tourbillon du quotidien de l'érosion du travail visible et invisible de ce vide qui s'élargit autour de toi fait de la lâcheté des uns du désert intérieur des autres et tes larmes coulaient indépendamment de ta volonté mais bien vite le sourire revenait soulevait ton poing fermé avant les adieux À ces moments j'étais désemparé et l'exemple permanent d'espoir qui me venait à l'esprit était celui de ces femmes des rizières portant bien haut aujourd'hui la voûte du ciel de Hô Chi Minh Qui dit qu'elles n'ont jamais pleuré lorsqu'elles transportaient la terre piquaient le riz moissonnaient sous les bombes ? Mais toujours elles peinaient guettant le ciel les oiseaux d'acier et de carnage et plus encore le soleil rouge de la victoire certaine Nous aussi nous avons comme une guerre à soutenir Elle est moins dévastatrice mais peut-être plus subtile Nous aussi nous guettons notre ciel ses promesses Alors tu finissais par convenir avec moi que nous serons toujours les plus forts car le soleil n'a pas de patrie

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    A

    Aimé Nouma

    @aimeNouma

    Marianne change de disque Marianne change de disque Marianne change de disque ,cesse donc d’être amnésique Marianne change de disque ,cesse donc d’être amnésique C’est toujours toi qui cours les risques ! Tu as su enterrer la francisque avec tes voisins teutons qui te l’avaient fait baisser de bien plus de deux tons pendant tout le temps de l’Occupation. Drôle de passe-temps qui a du te sembler long. Envahie, coupée en deux, rasée,dévastée, tondue. Ton dû, pour avoir voulu croire en ton statut de grande nation. Tondue pour avoir voulu croire et faire croire à l’illusion d’une quelconque comparaison entre le puissant aigle Prussien et le colérique coq Gaulois dont la règle, la loi depuis les temps les plus anciens ; Semble être de ne jamais faire bloc. Oui ,depuis Vercingétorix, tu n’a jamais songé à changer de disque. Marianne change de disque, cesse donc d’être amnésique Marianne change de disque, cesse donc d’être amnésique C’est toujours toi qui cours les risques Une demi décennie , décimée, résignée entre Système D, délation résistance poussive et collaboration pas si passive . Tu attendais des jours meilleurs qui ne pouvaient venir que d’ailleurs, de soldats,moins râleurs, plus batailleurs comme tes nombreux tirailleurs , qui d’ailleurs jusqu’à cette heure attendent toujours que tu leur rendes enfin honneur. Marianne change de disque,cesse donc d’être amnésique Marianne change de disque, cesse donc d’être amnésique C’est toujours toi qui cours les risques Libération , libres actions, libations. Tu as su enterrer tes morts, renouer avec ton folklore et sans le moindre remords, retrouver tes faux airs de matamore. Tu te voulais de nouveau une grande nation mais tu avais mal au colon: Alors tu as crié :Sus à l’Indochinois ! Sus à l’Algérois ! Qui n’avaient pour seul tort qu’être moins forts que toi, comme l’histoire ne le démontra pas ! Marianne change de disque, cesse donc d’être amnésique Marianne change de disque, cesse donc d’être amnésique C’est toujours toi qui cours les risques ! Après ces deux nouvelles cuisantes désillusions Tu as du faire face à une trop reluisante situation: Tes rues , tes bancs d’école, se coloraient de rires d’enfants noirs, Créoles,Pieds-noirs, Espagnols,Italiens, Lusitaniens,Malgaches, Vietnamiens, et toute la gouache d’ Algériens : Mzabis, Chawis, Kabylles et Harkis Que tu parquais comme des maudits dans les taudis boueux des bidonvilles des bourgs au ban de Paris Et des grandes villes de la France de mon enfance. Marianne change de disque, cesse donc d’être amnésique Marianne change de disque, cesse donc d’être amnésique C’est toujours toi qui cours les risques !

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    Alexandre Dumas

    Alexandre Dumas

    @alexandreDumas

    La rose rouge Celui qui, dans la soirée du 15 décembre 93, serait parti de la petite ville de Clisson pour se rendre au village de Saint-Crépin, et se serait arrêté sur la crête de la montagne au pied de laquelle coule la rivière de la Moine, aurait vu de l’autre côté de la vallée un étrange spectacle. D’abord, à l’endroit où sa vue aurait cherché le village perdu dans les arbres, au milieu d’un horizon déjà assombri par le crépuscule, il eût aperçu trois ou quatre colonnes de fumée qui, isolées à leur base, se joignaient en s’élargissant, se balançaient un instant comme un dôme bruni, et, cédant mollement à un vent humide d’ouest, roulaient dans cette direction, confondus avec les nuages d’un ciel bas et brumeux; il eût vu cette base rougir lentement, puis toute fumée cesser, et des toits des maisons, des langues de feu aiguës s’élancer à leur place, avec un frémissement sourd, tantôt se tordant en spirale, tantôt se courbant et se relevant comme le mât d’un vaisseau; il lui eût semblé que bientôt toutes les fenêtres s’ouvraient pour vomir du feu; de temps en temps, quand un toit s’enfonçait, il eût entendu un bruit sourd; il eût distingué une flamme plus vive, mêlée de milliers d’étincelles, et à la lueur sanglante de l’incendie s’agrandissant, des armes luire, un cercle de soldats s’étendre au loin; il eût entendu des cris et des rires, et il eût dit avec terreur: Dieu me pardonne, c’est une armée qui se chauffe avec un village. Effectivement, une brigade républicaine de douze ou quinze cents hommes avait trouvé le village de Saint-Crépin abandonné, et y avait mis le feu. Ce n’était point une cruauté, mais un moyen de guerre, un plan de campagne comme un autre; l’expérience prouva qu’il était le seul qui fut bon. Cependant une chaumière isolée né brûlait pas, on semblait même avoir pris toutes les précautions nécessaires pour que le feu ne pût l’atteindre. Deux sentinelles veillaient à la porte, et à chaque instant des officiers d’ordonnance, des aides de camp entraient, puis bientôt soldaient pour porter des ordres. Celui qui donnait ces ordres était un jeune homme qui paraissait âgé de vingt à vingt-deux ans; de longs cheveux blonds séparés sur le front tombaient en ondulant de chaque côté de ses joues blanches et maigres; toute sa figure portait l’empreinte de cette tristesse fatale qui s’attache au front de ceux qui doivent mourir jeunes. Son manteau bleu, en l’enveloppant, ne le cachait pas si bien qu’il ne laissât apercevoir les signes de son grade, deux épaulettes de général; seulement ces épaulettes étaient de laine, les officiers républicains ayant fait à la Convention l’offrande patriotique de tout l’or de leurs habits; il était courbé sur une table, une carte géographique était déroulée sous ses yeux, et il y traçait au crayon, à la clarté d’une lampe qui s’effaçait elle- même devant la lueur de l’incendie, la route que ses soldats allaient suivre. C’était le général Marceau, qui, trois ans plus tard, devait être tué à Altenkirchen. -Alexandre! dit-il en se relevant à demi... Alexandre! éternel dormeur, rêves-tu de Saint-Domingue, que tu dors si long-temps? - Qu’y a-t-il? dit en se levant tout debout et eu sursaut celui auquel il s’adressait, et dont la tête toucha presque le plafond de la cabane; qu’y a-t-il? est-ce l’ennemi qui nous vient? et ces paroles furent dites avec un léger accent créole qui leur conservait de la douceur même au milieu de la menace. -Non, mais un ordre du général en chef Westermann qui nous arrive. Et pendant que sou collègue lisait cet ordre, car celui qu’il avait apostrophé était son collègue, Marceau regardait avec une curiosité d’enfant les formes musculeuses de l’Hercule mulâtre qu’il avait devant les yeux. C’était un homme de vingt-huit ans, aux cheveux crépus et courts, au teint brun, au front découvert et aux dents blanches, dont la force presque surnaturelle était connue de toute l’armée, qui lui avait vu, dans un jour de bataille, fendre un casque jusqu’à la cuirasse, et un jour de parade, étouffer entre ses jambes un cheval fougueux qui l’emportait. Celui-là n’avait pas long-temps à vivre non plus, mais moins heureux que Marceau, il devait mourir loin du champ de bataille, empoisonné par l’ordre d’un roi. C’était le général Alexandre Dumas, c’était mon père. -Qui t’a apporté cet ordre? dit-il. -Le représentant du peuple Delmar. -C’est bien. Et où doivent se rassembler ces pauvres diables. -Dans un bois à une lieue et demie d’ici; vois sur la carte, c’est là. -Oui; mais sur la carte, il n’y a pas les ravins, les montagnes, les arbres coupés, les mille chemins qui embarrassent la vraie route, où l’on a peine à se reconnaître, même dans le jour... Infernal pays... Avec cela qu’il y fait toujours froid. -Tiens, dit Marceau en poussant la porte du pied, et en lui montrant le village en feu, sors et tu te chaufferas... Hé! qu’est cela, citoyens? Ces paroles étoient adressées à un groupe de soldats qui, en clierchant des vivres, avaient découvert, dans une espèce de chenil attenant à la chaumière où étaient les deux généraux, un paysan vendéen qui paraissait tellement ivre, qu’il était probable qu’il n’avait pu suivre les habitans du village lorsqu’ils l’avaient abandonné. Que le lecteur se figure un métayer à visage stupide, au grand chapeau, aux cheveux longs, à la veste grise; être ébauché à l’image de l’homme, espèce de degré au-dessous de la bête; car il était évident que l’instinct manquait à cette masse. Marceau lui fit quelques questions; le patois et le vin rendirent ses réponses inintelligibles. Il allait l’abandonner comme un jouet aux soldats, lorsque le général Dumas donna brusquement l’ordre d’évacuer la chaumière et d’y enfermer le prisonnier. Il était encore à la porte, un soldat le poussa dans l’intérieur, il alla en trébuchant s’appuyer contre le mur, chancela un instant en oscillant sur ses jambes demi-ployées; puis, tombant lourdement étendu, demeura sans mouvement. Un factionnaire resta devant la porte, et l’on ne prit pas même la peine de fermer la fenêtre. Dans une heure nous pourrons partir, dit le général Dumas à Marceau; nous avons un guide. -Lequel? -Cet homme. -Oui, si nous voulons nous mettre en route demain, soit. Il y a dans ce que ce drôle a bu du sommeil pour vingt-quatre heures. Dumas sourit, viens, lui dit-il, et il le conduisit sous le hangar où le paysan avait été découvert; une simple cloison le séparait de l’intérieur de la cabane, encore était-elle sillonnée de fentes qui laissaient distinguer ce qui s’y passait, et avaient dû permettre d’entendre jusqu’à la moindre parole des deux généraux qui un instant auparavant s’y trouvaient: -Et maintenant, ajouta-t-il, en baissant la voix, regarde. Marceau obéit, cédant à l’ascendant qu’exerçait sur lui son ami, même dans les choses habituelles de la vie. -Il eut quelque peine à distinguer le prisonnier, qui, par hasard, était tombé dans le coin le plus obscur de la chaumière. Il gisait encore à la même place, immobile; Marceau se retourna pour chercher son collègue, il avait disparu. Lorsqu’il reporta ses regards dans la cabane, il lui sembla que celui qui l’habitait avait l’ait un léger mouvement; sa tête était replacée dans une direction qui lui permettait d’embrasser d’un coup-d’oeil tout l’intérieur. Bientôt il ouvrit les yeux avec le bâillement prolongé d’un homme qui s’éveille, et il vit qu’il était seul. Un singulier éclair de joie et d’intelligence passa sur son visage. Dès-lors il fut évident pour Marceau qu’il eût été la dupe de cet homme, si un regard plus clairvoyant n’avait tout deviné. Il l’examina donc avec une nouvelle attention; sa figure avait repris sa première expression, ses yeux s’étaient refermés, ses mouvemens étaient ceux d’un homme qui se rendort; dans l’un d’eux, il accrocha du pied la table légère qui soutenait la carte et l’ordre du général Westermann que Marceau avait rejeté sur cette table, tout tomba pêle-mêle, le soldat de faction entr’ouvrit la porte, avança la tète à ce bruit, vit ce qui l’avait causé, et dit en riant à son camarade: « C’est le citoyen qui rêve. » Cependant celui-ci avait entendu ces paroles, ses yeux s’étaient rouverts, un regard de menace poursuivit un instant le soldat; puis, d’un mouvement rapide, il saisit le papier sur lequel était écrit l’ordre, et le cacha dans sa poitrine. Marceau retenait son souffle; sa main droite semblait collée à la poignée de son sabre, sa main gauche supportait avec son front tout le poids de son corps appuyé contre la cloison. L’objet de son attention était alors posé sur le côté; bientôt, en s’aidant du coude et du genou, il s’avança lentement toujours couché vers l’entrée de la cabane; l’intervalle qui se trouvait entre le seuil et la porte lui permit d’apercevoir les jambes d’un groupe de soldats qui se tenaient devant. Alors avec patience et lenteur, il se remit à ramper vers la fenêtre eiitr’ouverte; pui, s arrivé à trois pieds d’elle, il chercha dans sa poitrine une arme qui y était cachée, ramassa son corps sur lui-même, et d’un seul bond, d’un bond de jagouar, s’élança hors de la cabane. Marceau jeta un cri, il n’avait eu le temps ni de prévoir ni d’empêcher cette fuite. Un autre cri répondit au sien. Celui-là était de malédiction. Le Vendéen, eu tombant hors de la fenêtre, s’était trouvé face à face avec le général Dumas; il avait voulu le frapper de son couteau, mais celui-ci lui saisissant le poignet, l’avait ployé contre sa propre poitrine, et il n’avait plus qu’à pousser pour que le Vendéen se poignardât lui-même. -Je t’avais promis un guide Marceau, en voici un, et intelligent, je l’espère. -Je pourrais te faire fusiller, drôle, dit-il au paysan, il m’est plus commode de te laisser vivre. Tu as entendu notre conversation, mais tu ne la reporteras pas à ceux qui t’ont envoyé. -Citoyens, -il s’adressait aux soldats que cette scène curieuse avait amenés, -que deux de vous prennent chacun une main à cet homme, et se placent avec lui à la tête de la colonne, il sera notre guide; si vous apercevez qu’il vous trompe, s’il fait un mouvement pour fuir, brûlez-lui la cervelle, et jetez-le par- dessus la haie. Puis quelques ordres donnés à voix basse allèrent agiter cette ligne rompue de soldats qui s’étendait à l’entour des cendres qui avaient été un village. Ces groupes s’alongèrent, chaque peloton sembla se souder à l’autre. Une ligne noire se forma, descendit dans le long chemin creux qui sépare Saint-Crépin de Montfaucon, s’y emboîta comme une roue dans une ornière, et lorsque quelques minutes après la lune passa entre deux nuages, et se réfléchit un instant sur ce ruban de baïonnettes qui glissaient sans bruit, on eût cru voir ramper dans l’ombre un immense serpent noir à écaille d’acier. C’est une triste chose pour une armée qu’une marche de nuit. La guerre est belle par un beau jour, quand le ciel regarde la mêlée, quand les peuples se dressant à l’entour du champ de bataille comme aux gradins d’un cirque, battent des mains aux vainqueurs; quand les sons frémissans des instrumens de cuivre font tressaillir les fibres courageuses du coeur, quand la fumée de mille canons vous couvre d’un linceul, quand amis et ennemis sont là pour voir comme vous mourrez bien; c’est sublime. Mais la nuit, la nuit!... Ignorer comment on vous attaque et comment vous vous défendez, tomber sans voir qui vous frappe ni d’où le coup part, sentir ceux qui sont debout encore vous heurter du pied sans savoir c^ui vous êtes, et marcher sur vous!... Oh! alors, on ne se pose pas comme un gladiateur, on se roule, on se tord, on mord la terre, on la déchire des ongles; c’est horrible. Voilà pourquoi cette armée marchait triste et silencieuse; c’est qu’elle savait que de chaque côté de sa route se prolongeaient de hantes haies, des champs entiers de genêts et d’ajonc, et qu’au bout de ce chemin il y avait un combat, un combat de nuit. Elle marchait depuis une demi-heure; de temps en temps, comme je l’ai déjà dit, un rayon de la lune filtrait entre deux nuages, et laissait apercevoir, à la tète de cette colonne, le paysan qui servait de guide, l’oreille attentive au moindre bruit, et toujours surveillé par les deux soldats qui marchaient à ses côtés. Parfois on entendait sur les flancs un froissement de feuilles, la tête de la colonne s’arrêtait tout à coup. Plusieurs voix criaient qui vive? ... Rien ne répondait, et le paysan disait en riant: C’est un lièvre qui part du gîte. -Quelquefois les deux soldats croyaient voir devant eux s’agiter quelque chose qu’ils ne pouvaient distinguer, ils se disaient l’un à l’autre: Regarde donc!... et le Vendéen répondait: C’est votre ombre, marchons toujours. -Tout à coup, au détour du chemin, ils virent se dresser devant eux deux hommes; ils voulurent crier; l’un des soldats tomba sans avoir eu le temps de proférer une parole; l’autre chancela une seconde, et n’eut que le temps de dire: « A moi! » Vingt coups de fusils partirent à l’instant; à la lueur de cet éclair, on put distinguer trois hommes qui fuyaient; l’un d’eux chancela, se traîna un instant le long du talus, espérant atteindre l’autre côté de la haie. On courut à lui, ce n’était pas le guide; on l’interrogea, il ne répondit point; un soldat lui perça le bras de sa baïonnette pour voir s’il était bien mort, -il l’était. Ce fut alors Marceau qui devint le guide. L’étude qu’il avait faite des localités lui laissait l’espoir de ne point s’égarer. Effectivement, après un quart d’heure de marche, on aperçut la masse noire de la forêt. Ce fut là que, selon l’avis qu’en avaient reçu les républicains, devaient se rassembler pour entendre une messe les habitans de quelques villages, les débris de plusieurs armées, dix-huit cents hommes à peu près.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Jeanne d’Arc Je cherche en vain le repos qui me fuit. Mon cœur est plein des douleurs de la France. Jusqu’en ces lieux déserts, dans l’ombre et le silence, De la patrie en deuil le malheur me poursuit. CHANT Sombre forêt, retraite solitaire, Muets témoins de mes secrets ennuis, À mes regards, de mon pauvre pays Cachez du moins la honte et la misère. Tristes rameaux, si nous sommes vaincus, Cachez le toit de mon vieux père ; Peut-être, hélas je ne le verrai plus ! RÉCITATIF Tout repose dans la vallée. Le rossignol chante sous la feuillée La mélancolie et l’amour. Déjà l’aurore éveille la nature ; Déjà brille sur la verdure La douce clarté d’un beau jour. Quel est ce bruit dans la campagne ? Le clairon sonne au pied de nos remparts ! De l’étranger je vois les étendards, Flotter au loin sur la montagne. CHANT Nous avez-vous abandonnés, Anges gardiens de la patrie ? Plaignez-nous si Dieu nous oublie ; S’il se souvient de nous, venez ! J’ai cru sentir trembler la terre. J’ai cru que le ciel répondait, Et, dans un rayon de lumière, Du fond des bois une voix m’appelait. Ce n’est pas une voix humaine : Il m’a semblé qu’elle venait des cieux. Mère du Christ, est-ce la tienne ? As-tu pitié des pleurs qui coulent de mes yeux ? Oui, l’Esprit-Saint m’éclaire ! Je sens d’un Dieu vengeur La force et la colère Descendre dans mon cœur. — En guerre !

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Retour Heureux le voyageur que sa ville chérie Voit rentrer dans le port, aux premiers feux du jour ! Qui salue à la fois le ciel et la patrie, La vie et le bonheur, le soleil et l’amour ! — Regardez, compagnons, un navire s’avance. La mer, qui l’emporta, le rapporte en cadence, En écumant sous lui, comme un hardi coursier, Qui, tout en se cabrant, sent son vieux cavalier. Salut ! qui que tu sois, toi dont la blanche voile De ce large horizon accourt en palpitant ! Heureux ! quand tu reviens, si ton errante étoile T’a fait aimer la rive ! heureux si l’on t’attend ! D’où viens-tu, beau navire ? à quel lointain rivage, Léviathan superbe, as-tu lavé tes flancs ? Est-tu blessé, guerrier ? Viens-tu d’un long voyage ? C’est une chose à voir, quand tout un équipage, Monté jeune à la mer, revient en cheveux blancs. Es-tu riche ? viens-tu de l’Inde ou du Mexique ? Ta quille est-elle lourde, ou si les vents du nord T’ont pris, pour ta rançon, le poids de ton trésor ? As-tu bravé la foudre et passé le tropique ? T’es-tu, pendant deux ans, promené sur la mort, Couvrant d’un œil hagard ta boussole tremblante, Pour qu’une Européenne, une pâle indolente, Puisse embaumer son bain des parfums du sérail Et froisser dans la valse un collier de corail ? Comme le cœur bondit quand la terre natale, Au moment du retour, commence à s’approcher, Et du vaste Océan sort avec son clocher ! Et quel tourment divin dans ce court intervalle, Où l’on sent qu’elle arrive et qu’on va la toucher ! Ô patrie ! ô patrie ! ineffable mystère ! Mot sublime et terrible ! inconcevable amour ! L’homme n’est-il donc né que pour un coin de terre, Pour y bâtir son nid, et pour y vivre un jour ? Le Havre, septembre 1855.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    Le trappiste C’était une des nuits qui des feux de l’Espagne Par des froids bienfaisants consolent la campagne : L’ombre était transparente, et le lac argenté Brillait à l’horizon sous un voile enchanté ; Une lune immobile éclairait les vallées, Où des citronniers verte serpentent les allées ; Des milliers de soleil, sans offenser les yeux, Tels qu’une poudre d’or, semaient l’azur des cieux, Et les monts inclinés, verdoyante ceinture Qu’en cercles inégaux enchaîna la nature, De leurs dômes en fleurs étalaient la beauté, Revêtus d’un manteau bleuâtre et velouté. Mais aucun n’égalait dans sa magnificence Le Mont Serrat, paré de toute sa puissance : Quand des nuages blancs sur son dos arrondi Roulaient leurs flots chassés par le vent du midi, Les brisant de son front, comme un nageur habile, Le géant semblait fuir sous ce rideau mobile ; Tantôt un piton noir, seul dans le firmament, Tel qu’un fantôme énorme, arrivait lentement ; Tantôt un bois riant, sur une roche agreste, S’éclairait, suspendu comme une île céleste. Puis enfin, des vapeurs délivrant ses contours, Comme une forteresse au milieu de ses tours, Sortait le pic immense : il semblait à ses plaines Des vents frais de la nuit partager les haleines ; Et l’orage indécis, murmurant à ses pieds, Pendait encor d’en haut sur les monts effrayés. En spectacles pompeux la nature est féconde ; Mais l’homme a des pensers bien plus grand, que le monde. Quelquefois tout un peuple endormi dans ses maux S’éveille, et, saisissant le glaive des hameaux, Maudissant la révolte impure et tortueuse, Elève tout à coup sa voix majestueuse : Il redemande à Dieu ses autels profanés, Il appelle à grands cris ses Rois emprisonnés ; Comme un tigre, il arrache, il emporte sa chaîne ; Il s’élève, il grandit, il s’étend comme un chêne, Et de ses mille bras il couvre en liberté Les sillons paternels du sol qui l’a porté. Ainsi, terre indocile, à ton Roi seul constante, Vendée, où la chaumière est encore une tente, Ainsi de ton Bocage aux détours meurtriers Sortirent en priant les paysans guerriers : Ainsi, se relevant, l’infatigable Espagne Fait sortir des héros du creux de la montagne. Sur des rochers, non loin de ces antres sacrés, Où Pélage appela les Goths désespérés, D’où sort toujours la gloire, et qui gardent encore, Hélas ! les os français mêlés à ceux du More, Au-dessus de la nue, au-dessus des torrents, Viennent de s’assembler les montagnards errants. La pourpre du réseau dont leur front s’environne Forme autour des cheveux une mâle couronne, Et la corde légère, avec des nœuds puissants, S’est tressée en sandale à leurs pieds bondissants. Le silence est profond dans la foule attentive ; Car la hache pesante, avec la flamme active, D’un chêne que cent ans n’ont pas su protéger Ont fait pour leur prière un autel passager. Là ce chef dont le nom sème au loin l’épouvante Dépose devant Dieu son oraison fervente ; Triomphateur sans pompe, il va d’une humble voix Chanter le TE DEUM sous le dôme des bois. Est-ce un guerrier farouche ? est-ce un pieux apôtre ? Sous la robe de l’un il a les traits de l’autre : Il est prêtre, et pourtant promptement irrité ; Il est soldat aussi, mais plein d’austérité ; Son front est triste et pâle, et son oeil intrépide : Son bras frappe et bénit, son langage est rapide, Il passe dans la foule et ne s’y mêle pas ; Un pain noir et grossier compose ses repas ; Il parle, on obéit ; on tremble s’il commande, Et nul sur son destin ne tente une demande. Le Trappiste est son nom : ce terrible inconnu, Sorti jadis du monde, au monde est revenu ; Car, soulevant l’oubli dont ces couvents funèbres A leurs moines muets imposent les ténèbres, Il reparut au jour, dans une main la Croix, Dans l’autre, secouant, au nom des anciens Rois, Ce fouet dont Jésus-Christ, de son bras pacifique, Du haut des longs degrés du Temple magnifique, Renversa les vendeurs qui souillaient le saint mur, Dans les débris épars de leur trafic impur. Soit que la main de Dieu le couvre ou se retire, Le condamne à la gloire ou l’élève au martyre, S’il vit, il reviendra sans plainte et sans orgueil, D’un bras sanglant encore achever son cercueil, Et reprendre, courbé, l’agriculture austère Dont il s’est trop longtemps reposé dans la guerre. Tel un mort, évoqué par de magiques voix, Envoyé du sépulcre, apparaît pour les Rois, Marche, prédit, menace, et retourne à sa tombe, Dont la pierre éternelle en gémissant retombe. Parmi les montagnards, ces robustes bergers, Aventuriers hardis, chasseurs aux pieds légers, Qui rangent sous sa loi leur troupe volontaire, Nul n’a voulu savoir ce qu’il a voulu taire. Dieu l’inspire et l’envoie, il le dit : c’est assez, Pourvu que leurs combats leur soient toujours laissés. Joyeux, ils voyaient donc, sanctifiant leur gloire, Ce prêtre offrir à Dieu leur première victoire. Pour lui, couvert de l’aube et de l’étole orné, Devant l’autel agreste il s’était retourné. Déjà, soldat du Christ, près d’entrer dans la lice, Il remplissait son cœur des baumes du calice : Mais des soupirs, des bruits s’élèvent ; un grand cri L’interrompt ; il s’étonne, et, lui-même attendri, Voit un jeune inconnu, dont la tête est sanglante, Traînant jusqu’à l’autel sa marche faible et lente, Montrant un fer brisé qui soutenait sa main, Qui défendit sa fuite et fraya son chemin. C’est un de ces guerriers dont la constante veille Fait qu’en ses palais d’or la Royauté sommeille. Il tombe; mais il parle, et sa tremblante voix S’efforce à ce discours entrecoupé trois fois : « Pour qui donc cet autel au milieu des ténèbres ? N’y chantez pas, ou bien dites des chants funèbres. Quel Espagnol ne sait les hymnes du trépas ? Les nouveaux noms des morts ne vous manqueront pas : J’apporte sur vos monts de sanglantes nouvelles. — Quoi ! le Roi n’est-il plus ? disaient les voix fidèles. — Pleurez ! — Il est donc mort ? — Pleurez, il est vivant ! » Et le jeune martyr, sur un bras se levant, Tel qu’un gladiateur dont la paupière errante Cherche le sol qui tourne et fuit sa main mourante : « Nos combats sont finis, dit-il, en un seul jour ; Nos taureaux ont quitté le cirque, et sans retour, Puisque le spectateur à qui s’offrait la lutte N’a pas daigné lui-même applaudir à leur chute. Pour vous, si vous savez les secrets du devoir, Partez, je vais mourir avant de les savoir. Mais si vous rencontrez, non loin de ces montagnes, Des soldats qui vont vite à travers les campagnes, Qui portent sous leurs bras des fusils renversés, Et passent en silence et leurs fronts abaissés, Ne es engagez pas à cesser leur retraite ; Ils vous refuseraient en secouant la tête : Car ils ont tous besoin, mon père, ainsi que moi, De retremper leur âme aux sources de la foi. Nul ne sait s’il succombe ou fidèle ou parjure, Et si le dévouement ne fut pas une injure. Vous, habitant sacré du mont silencieux, Instruit des saintes morts que préfèrent les Cieux, Jugez-nous et parlez… Vous savez quelle proie Le peuple osa vouloir dans sa féroce joie ? Vous le savez, un Roi ne porte pas des fers Sans que leur bruit s’entende au bout de l’univers. Nous qui pensions encore, avant l’heure où nous sommes, Qu’un serment prononcé devait lier les hommes, Partant avec le jour, qui se levait sur nous Brillant, mais dont le soir n’est pas venu pour tous, Au palais, dont le peuple envahissait les portes, En silence, à grands pas, marchaient nos trois cohortes : Quand le Balcon royal à nos yeux vint s’offrir, Nous l’avons salué, car nous venions mourir. Mais comme à notre voix il n’y paraît personne, Aux cris des révoltés, à leur tocsin qui sonne, A leur joie insultante, à leur nombre croissant, Nous croyons le Roi mort, parce qu’il est absent ; Et, gémissant alors sur de fausses alarmes, Accusant nos retards, nous répandions des larmes. Mais un bruit les arrête, et, passé dans nos rangs, Fait presque de leur mort repentir nos mourants. Nous n’osons plus frapper, de peur qu’un plomb fidèle N’aille blesser le Roi dans la foule rebelle. Déjà, le fer levé, s’avancent ses amis, Par nos bourreaux sanglants à nous tuer admis. Nous recevons leurs coups longtemps avant d’y croire, Et notre étonnement nous ôte la victoire. En retirant vers vous nos rangs irrésolus, Nous combattions toujours, mais nous ne pleurions plus. » Il se tut. Il régna, de montagne en montagne, Un bruit sourd qui semblait un soupir de l’Espagne. Le Trappiste incliné mit sa main sur ses yeux. On ne sait s’il pleura ; car, tranquille et pieux, Levant son front creusé par les rides antiques, Sa voix grave apaisa les bataillons rustiques : Comme au vent du midi la neige au loin se fond, La rumeur s’éteignit dans un calme profond. La lune alors plus belle écartait un nuage, Et du moine héroïque éclairait le visage ; Troublé sur ses sommets et dans sa profondeur, Le mont de tous ses bruits déployait la grandeur ; Aux mots entrecoupés du vainqueur catholique, Se mêlaient d’un torrent la voix mélancolique, Le froissement léger des mélèzes touffus, D’un combat éloigné les coups longs et confus, Et des loups affamés les hurlements funèbres, Et le cri des vautours volant dans les ténèbres : « Frères, il faut mourir : qu’importe le moment ? Et si de notre mort le fatal instrument Est cette main des Rois qui, jadis salutaire, Touchait pour les guérir les peuples de la terre ; Quand même, nous brisant sous notre propre effort, L’arche que nous portons nous donnerait la mort ; Quand même par nous seuls la couronne sauvée Ecraserait un jour ceux qui l’ont relevée, Seriez-vous étonnés, et vos fidèles bras Seraient-ils moins ardents à servir les ingrats ? Vous seriez-vous flattés qu’on trouvât sur la terre La palme réservée au martyr volontaire ? Hommes toujours déçus, j’en appelle à vous tous : Interrogez vos cœurs, voyez autour de vous ; Rappelez vos liens, vos premières années, Et d’un juste coup d’oeil sondez nos destinées. Amis, frères, amants, qui vous a donc appris Qu’un dévouement jamais dût recevoir son prix ? Beaucoup semaient le bien d’une main vigilante, Qui n’ont pu récolter qu’une moisson sanglante. Si la couche est trompeuse et le foyer pervers, Qu’avez-vous attendu des Rois de l’univers ? O faiblesse mortelle, ô misère des hommes ! Plaignons notre nature et le siècle où nous sommes ; Gémissons en secret sur les fronts couronnés ; Mais servons-les pour Dieu qui nous les a donnés. Notre cause est sacrée, et dans les cœurs subsiste. En vain les Rois s’en vont : la Royauté résiste, Son principe est en haut, en haut est son appui ; Car tout vient du Seigneur, et tout retourne à lui. Dieu seul est juste, enfants ; sans lui tout est mensonge, Sans lui le mourant dit : « La vertu n’est qu’un songe. » Nous allons le prier, et pour le Prince absent, Et pour tous les martyrs dont coule encor le sang, Je donne cette nuit à vos dernières larmes : Demain nous chercherons, à la pointe des armes, Pour le Roi la couronne, et des tombeaux pour nous. » AMEN ! dit l’assemblée en tombant à genoux. En 1822, à Courbevoie.

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    A

    Alioune Badara Coulibaly

    @aliouneBadaraCoulibaly

    Sénéfobougou Sénéfobougou Si je pouvais te faire Revivre Sénéfobougou Des temps anciens! Ah! Les couples heureux Dans les cases larges des concessions Sans frontière, La visite des Mânes Quand la terre Se refroidit. Sénéfobougou d'aurefois C'est le djembé gémissant Sous les mains sèches De Diara Thié. Sénéfobougou Des temps anciens C'est Siriki et son balafon, Cheveux en broussaille, Barbe en bataille. Des lames tintent, Des mains habiles dansent Les baguettes endiablées. Sénéfobougou des anciens C'est le serpent qui visite Coumba quand naît un enfant. Sénéfobougou de jadis C'est Diéli Dango Et son tambourin monocorde. Sénéfobougou d'antan C'est la danse du Poro Les soirs de clair de lune. Sénéfobougou d'autrefois C'est la procession du génie Protecteur, le rythme saccadé Du djembé, le sol sonore Assourdi sous des pieds foulants.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Bonaparte Sur un écueil battu par la vague plaintive, Le nautonier, de loin, voit blanchir sur la rive Un tombeau près du bord par les flots déposé ; Le temps n’a pas encor bruni l’étroite pierre, Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre On distingue… un sceptre brisé. Ici gît… Point de nom ! demandez à la terre ! Ce nom, il est inscrit en sanglant caractère Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar, Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves, Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d’esclaves Qu’il foulait tremblants sous son char. Depuis les deux grands noms qu’un siècle au siècle annonce, Jamais nom qu’ici-bas toute langue prononce Sur l’aile de la foudre aussi loin ne vola ; Jamais d’aucun mortel le pied qu’un souffle efface N’imprima sur la terre une plus forte trace : Et ce pied s’est arrêté là… Il est là !… Sous trois pas un enfant le mesure ! Son ombre ne rend pas même un léger murmure : Le pied d’un ennemi foule en paix son cercueil. Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne, Et son ombre n’entend que le bruit monotone D’une vague contre un écueil. Ne crains pas cependant, ombre encore inquiète, Que je vienne outrager ta majesté muette. Non ! La lyre aux tombeaux n’a jamais insulté : La mort de tout temps fut l’asile de la gloire. Rien ne doit jusqu’ici poursuivre une mémoire ; Rien… excepté la vérité ! Ta tombe et ton berceau sont couverts d’un nuage. Mais, pareil à l’éclair, tu sortis d’un orage ; Tu foudroyas le monde avant d’avoir un nom : Tel ce Nil, dont Memphis boit les vagues fécondes, Avant d’être nommé fait bouillonner ses ondes Aux solitudes de Memnon. Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides : La victoire te prit sur ses ailes rapides ; D’un peuple de Brutus la gloire te fit roi. Ce siècle, dont l’écume entraînait dans sa course Les mœurs, les rois, les dieux… refoulé vers sa source, Recula d’un pas devant toi. Tu combattis l’erreur sans regarder le nombre ; Pareil au fier Jacob, tu luttas contre une ombre ; Le fantôme croula sous le poids d’un mortel ; Et, de tous ces grands noms profanateur sublime, Tu jouas avec eux comme la main du crime Avec les vases de l’autel. Ainsi, dans les accès d’un impuissant délire, Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire En jetant dans ses fers un cri de liberté, Un héros tout à coup de la poudre s’élève, Le frappe avec son sceptre… Il s’éveille, et le rêve Tombe devant la vérité. Ah ! si, rendant ce sceptre à ses mains légitimes, Plaçant sur ton pavois de royales victimes, Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l’affront ! Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même, De quel divin parfum, de quel pur diadème La gloire aurait sacré ton front ! Gloire, honneur, liberté, ces mots que l’homme adore, Retentissaient pour toi comme l’airain sonore Dont un stupide écho répète au loin le son : De cette langue en vain ton oreille frappée Ne comprit ici-bas que le cri de l’épée, Et le mâle accord du clairon. Superbe, et dédaignant ce que la terre admire, Tu ne demandais rien au monde que l’empire. Tu marchais… tout obstacle était ton ennemi. Ta volonté volait comme ce trait rapide Qui va frapper le but où le regard le guide, Même à travers un cœur ami. Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse, La coupe des festins ne te versa l’ivresse ; Tes yeux d’une autre pourpre aimaient à s’enivrer. Comme un soldat debout qui veille sous ses armes, Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes, Sans sourire et sans soupirer. Tu n’aimais que le bruit du fer, le cri d’alarmes, L’éclat resplendissant de l’aube sur les armes ; Et ta main ne flattait que ton léger coursier, Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière Sillonnaient, comme un vent, la sanglante poussière, Et que ses pieds brisaient l’acier. Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure. Rien d’humain ne battait sous ton épaisse armure : Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser. Comme l’aigle régnant dans un ciel solitaire, Tu n’avais qu’un regard pour mesurer la terre, Et des serres pour l’embrasser. S’élancer d’un seul bond au char de la victoire ; Foudroyer l’univers des splendeurs de sa gloire ; Fouler d’un même pied des tribuns et des rois ; Forger un joug trempé dans l’amour et la haine, Et faire frissonner sous le frein qui l’enchaîne Un peuple échappé de ses lois ; Être d’un siècle entier la pensée et la vie ; Émousser le poignard, décourager l’envie, Ébranler, raffermir l’univers incertain ; Aux sinistres clartés de ta foudre qui gronde Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde, Quel rêve ! ! ! et ce fut ton destin !… Tu tombas cependant de ce sublime faîte : Sur ce rocher désert jeté par la tempête, Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau ; Et le sort, ce seul dieu qu’adora ton audace, Pour dernière faveur t’accorda cet espace Entre le trône et le tombeau. Oh ! qui m’aurait donné d’y sonder ta pensée, Lorsque le souvenir de ta grandeur passée Venait, comme un remords, t’assaillir loin du bruit, Et que, les bras croisés sur ta large poitrine, Sur ton front chauve et nu que la pensée incline, L’horreur passait comme la nuit ? Tel qu’un pasteur debout sur la rive profonde Voit son ombre de loin se prolonger sur l’onde, Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours ; Tel, du sommet désert de ta grandeur suprême, Dans l’ombre du passé te recherchant toi-même, Tu rappelais tes anciens jours. Ils passaient devant toi comme des flots sublimes Dont l’œil voit sur les mers étinceler les cimes : Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux ; Et, d’un reflet de gloire éclairant ton visage, Chaque flot t’apportait une brillante image Que tu suivais longtemps des yeux. Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre ; Là, du désert sacré tu réveillais la poudre ; Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain ; Là, tes pas abaissaient une cime escarpée ; Là, tu changeais en sceptre une invincible épée. Ici… Mais quel effroi soudain ! Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue ? D’où vient cette pâleur sur ton front répandue ? Qu’as-tu vu tout à coup dans l’horreur du passé ? Est-ce de vingt cités la ruine fumante, Ou du sang des humains quelque plaine écumante ? Mais la gloire a tout effacé. La gloire efface tout… tout, excepté le crime ! Mais son doigt me montrait le corps d’une victime, Un jeune homme, un héros d’un sang pur inondé. Le flot qui l’apportait passait, passait sans cesse ; Et toujours en passant la vague vengeresse Lui jetait le nom de Condé… Comme pour effacer une tache livide, On voyait sur son front passer sa main rapide ; Mais la trace du sang sous son doigt renaissait : Et, comme un sceau frappé par une main suprême, La goutte ineffaçable, ainsi qu’un diadème, Le couronnait de son forfait. C’est pour cela, tyran, que ta gloire ternie Fera par ton forfait douter de ton génie ; Qu’une trace de sang suivra partout ton char, Et que ton nom, jouet d’un éternel orage, Sera par l’avenir ballotté d’âge en âge Entre Marius et César. Tu mourus cependant de la mort du vulgaire, Ainsi qu’un moissonneur va chercher son salaire, Et dort sur sa faucille avant d’être payé ; Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse, Et tu fus demander récompense ou justice Au Dieu qui t’avait envoyé ! On dit qu’aux derniers jours de sa longue agonie, Devant l’éternité seul avec son génie, Son regard vers le ciel parut se soulever : Le signe rédempteur toucha son front farouche ; Et même on entendit commencer sur sa bouche Un nom… qu’il n’osait achever. Achève… C’est le Dieu qui règne et qui couronne, C’est le Dieu qui punit, c’est le Dieu qui pardonne : Pour les héros et nous il a des poids divers. Parle-lui sans effroi : lui seul peut te comprendre. L’esclave et le tyran ont tous un compte à rendre ; L’un du sceptre, l’autre des fers. Son cercueil est fermé : Dieu l’a jugé. Silence ! Son crime et ses exploits pèsent dans la balance : Que des faibles mortels la main n’y touche plus ! Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie ? Et vous, peuples, sachez le vain prix du génie Qui ne fonde pas des vertus ! Septième méditation

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    A

    Amable Tastu

    @amableTastu

    Marie Stuart Adieu, plaisant pays de France, O ma patrie La plus chérie, Qui a nourri ma jeune enfance. Adieu! France! adieu, mes beaux jours! La nef qui déjoint nos amours N’a cy de moi que la moitié; Une part te reste, elle est tienne; Je la fie à ton amitié Pour que de l’autre il te souvienne. MARIE STUART. Vers la France, ô légers nuages, Que chasse un vent rapide et frais, Portez à ses joyeux rivages Mes vœux, mes soupirs, mes regrets. Pays si cher à ma mémoire, Objet constant de mes désirs, Tu gardes mes songes de gloire, D’amour, de joie et de plaisirs. Loin de toi la perte d’un trône Ne peut éveiller mes douleurs, Et j’ai moins pleuré ma couronne Que tes eaux, ton ciel et tes fleurs. Vers la France, o légers nuages, Que chasse un vent rapide et frais, Portez à ses joyeux rivages Mes vœux, mes soupirs, mes regrets. O vous, qui d’une cour ravie Naguère excitiez les transports, Talents, délices de la vie, Frétez-moi vos brillants accords! Harpe sonore, ton empire Du sort n’éprouve point les coups, Et toujours le malheur t’inspire Des chants plus puissants et plus doux. Vers la France, ô légers nuages, Que chasse un vent rapide et frais, Portez à ses joyeux rivages Mes vœux, mes soupirs, mes regrets. O France que mon cœur appelle, J’aime à dire en rêvant à toi: Peut-être une larme fidèle Sur ces bords coule encor pour moi; Peut-être une voix attendrie, De mes chants émue en secret, Murmure le nom de Marie, Tressaille, soupire et se tait! Vers la France, ô légers nuages, Que chasse un vent rapide et frais, Portez à ses joyeux rivages Mes vœux, mes soupirs, mes regrets.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Terre, Terre chérie Terre, terre chérie Que la liberté sainte appelle sa patrie ; Père du grand sénat, ô sénat de Romans, Qui de la liberté jetas les fondements ; Romans, berceau des lois, vous, Grenoble et Valence, Vienne ; toutes enfin ! monts sacrés d’où la France Vit naître le soleil avec la liberté ! Un jour le voyageur par le Rhône emporté, Arrêtant l’aviron dans la main de son guide. En silence, debout sur sa barque rapide, Fixant vers l’Orient un œil religieux. Contemplera longtemps ces sommets glorieux ; Car son vieux père, ému de transports magnanimes. Lui dira : « Vois, mon fils, vois ces augustes cimes. » Du bord du Rhône, le 7 juillet 1790.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    À la France France ! ô belle contrée, ô terre généreuse Que les dieux complaisants formaient pour être heureuse, Tu ne sens point du Nord les glaçantes horreurs ; Le Midi de ses feux t’épargne les fureurs ; Tes arbres innocents n’ont point d’ombres mortelles ; Ni des poisons épars dans tes herbes nouvelles Ne trompent une main crédule ; ni tes bois Des tigres frémissants ne redoutent la voix ; Ni les vastes serpents ne traînent sur tes plantes En longs cercles hideux leurs écailles sonnantes. Les chênes, les sapins et les ormes épais En utiles rameaux ombragent tes sommets ; Et de Beaune et d’Aï les rives fortunées, Et la riche Aquitaine, et les hauts Pyrénées, Sous leurs bruyants pressoirs font couler en ruisseaux Des vins délicieux mûris sur leurs coteaux. La Provence odorante, et de Zéphyre aimée, Respire sur les mers une haleine embaumée, Au bord des flots couvrant, délicieux trésor, L’orange et le citron de leur tunique d’or ; Et plus loin, au penchant des collines pierreuses, Forme la grasse olive aux liqueurs savoureuses, Et ces réseaux légers, diaphanes habits, Où la fraîche grenade enferme ses rubis. Sur tes rochers touffus la chèvre se hérisse, Tes prés enflent de lait la féconde génisse, Et tu vois tes brebis, sur le jeune gazon, Épaissir le tissu de leur blanche toison. Dans les fertiles champs voisins de la Touraine, Dans ceux où l’Océan boit l’urne de la Seine, S’élèvent pour le frein des coursiers belliqueux. Ajoutez cet amas de fleuves tortueux : L’indomptable Garonne aux vagues insensées, Le Rhône impétueux, fils des Alpes glacées, La Seine au flot royal, la Loire dans son sein Incertaine, et la Saône, et mille autres enfin Qui nourrissent partout, sur tes nobles rivages, Fleurs, moissons et vergers, et bois et pâturages, Rampent aux pieds des murs d’opulentes cités, Sous les arches de pierre à grand bruit emportés. Dirai-je ces travaux, source de l’abondance, Ces ports, où des deux mers l’active bienfaisance Amène les tributs du rivage lointain Que visite Phoebus le soir ou le matin ? Dirai-je ces canaux, ces montagnes percées, De bassins en bassins ces ondes amassées Pour joindre au pied des monts l’une et l’autre Téthys ? Et ces vastes chemins en tous lieux départis, Où l’étranger, à l’aise achevant son voyage, Pense au nom des Trudaine et bénit leur ouvrage ? Ton peuple industrieux est né pour les combats. Le glaive, le mousquet n’accablent point ses bras. Il s’élance aux assauts, et son fer intrépide Chassa l’impie Anglais, usurpateur avide. Le ciel les fit humains, hospitaliers et bons, Amis des doux plaisirs, des festins, des chansons ; Mais, faibles opprimés, la tristesse inquiète Glace ces chants joyeux sur leur bouche muette, Pour les jeux, pour la danse appesantit leurs pas, Renverse devant eux les tables des repas, Flétrit de longs soucis, empreinte douloureuse, Et leur front et leur âme. Ô France ! trop heureuse, Si tu voyais tes biens, si tu profitais mieux Des dons que tu reçus de la bonté des cieux ! Vois le superbe Anglais, l’Anglais dont le courage Ne s’est soumis qu’aux lois d’un sénat libre et sage, Qui t’épie, et, dans l’Inde éclipsant ta splendeur, Sur tes fautes sans nombre élève sa grandeur. Il triomphe, il t’insulte. Oh ! combien tes collines Tressailliraient de voir réparer tes ruines, Et pour la liberté donneraient sans regrets, Et leur vin, et leur huile, et leurs belles forêts ! J’ai vu dans tes hameaux la plaintive misère, La mendicité blême et la douleur amère. Je t’ai vu dans tes biens, indigent laboureur, D’un fisc avare et dur maudissant la rigueur, Versant aux pieds des grands des larmes inutiles, Tout trempé de sueurs pour toi-même infertiles, Découragé de vivre, et plein d’un juste effroi De mettre au jour des fils malheureux comme toi. Tu vois sous les soldats les villes gémissantes ; Corvée, impôts rongeurs, tributs, taxes pesantes, Le sel, fils de la terre, ou même l’eau des mers, Sources d’oppression et de fléaux divers ; Vingt brigands, revêtus du nom sacré de prince, S’unir à déchirer une triste province, Et courir à l’envi, de son sang altérés, Se partager entre eux ses membres déchirés. Ô sainte Égalité ! dissipe nos ténèbres, Renverse les verrous, les bastilles funèbres. Le riche indifférent, dans un char promené, De ces gouffres secrets partout environné, Rit avec les bourreaux, s’il n’est bourreau lui-même ; Près de ces noirs réduits de la misère extrême, D’une maîtresse impure achète les transports, Chante sur des tombeaux, et boit parmi des morts. Malesherbes, Turgot, ô vous en qui la France Vit luire, hélas ! en vain sa dernière espérance, Ministres dont le coeur a connu la pitié, Ministres dont le nom ne s’est point oublié ; Ah ! si de telles mains, justement souveraines, Toujours de cet empire avaient tenu les rênes, L’équité clairvoyante aurait régné sur nous ; Le faible aurait osé respirer près de vous ; L’oppresseur, évitant d’armer d’injustes plaintes, Sinon quelque pudeur aurait eu quelques craintes ; Le délateur impie, opprimé par la faim, Serait mort dans l’opprobre, et tant d’hommes enfin, A l’insu de nos lois, à l’insu du vulgaire, Foudroyés sous les coups d’un pouvoir arbitraire, De cris non entendus, de funèbres sanglots, Ne feraient point gémir les voûtes des cachots. Non, je ne veux plus vivre en ce séjour servile ; J’irai, j’irai bien loin me chercher un asile, Un asile à ma vie en son paisible cours, Une tombe à ma cendre à la fin de mes jours, Où d’un grand au coeur dur l’opulence homicide Du sang d’un peuple entier ne sera point avide, Et ne me dira point, avec un rire affreux, Qu’ils se plaignent sans cesse et qu’ils sont trop heureux ; Où, loin des ravisseurs, la main cultivatrice Recueillera les dons d’une terre propice ; Où mon coeur, respirant sous un ciel étranger, Ne verra plus des maux qu’il ne peut soulager ; Où mes yeux, éloignés des publiques misères, Ne verront plus partout les larmes de mes frères, Et la pâle indigence à la mourante voix, Et les crimes puissants qui font trembler les lois. Toi donc, Équité sainte, ô toi, vierge adorée, De nos tristes climats pour longtemps ignorée, Daigne du haut des cieux goûter le libre encens D’une lyre au coeur chaste, aux transports innocents, Qui ne saura jamais, par des voeux mercenaires, Flatter à prix d’argent des faveurs arbitraires, Mais qui rendra toujours, par amour et par choix, Un noble et pur hommage aux appuis de tes lois. De voeux pour les humains tous ses chants retentissent ; La vérité l’enflamme, et ses cordes frémissent Quand l’air qui l’environne auprès d’elle a porté Le doux nom des vertus et de la liberté.

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    La cité natale Heureux qui dans sa ville, hôte de sa maison, Dès le matin joyeux et doré de la vie Goûte aux mêmes endroits le retour des saisons Et voit ses matinées d’un calme soir suivies. Fidèles et naïfs comme de beaux pigeons La lune et le soleil viennent sur sa demeure, Et, pareille au rosier qui s’accroît de bourgeons, Sa vie douce fleurit aux rayons de chaque heure. Il va, nouant entre eux les surgeons du destin, Mêlant l’âpre ramure et les plus tôt venues, Et son coeur ordonné est comme son jardin Plein de nouvelles fleurs sur l’écorce chenue. Heureux celui qui sait goûter l’ombre et l’amour, De l’ardente cité à ses coteaux fertiles, Et qui peut, dans la suite innombrable des jours, Désaltérer son rêve au fleuve de sa ville.

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    Le pays Ma France, quand on a nourri son coeur latin Du lait de votre Gaule, Quand on a pris sa vie en vous, comme le thym, La fougère et le saule, Quand on a bien aimé vos forêts et vos eaux, L’odeur de vos feuillages, La couleur de vos jours, le chant de vos oiseaux, Dès l’aube de son âge, Quand amoureux du goût de vos bonnes saisons Chaudes comme la laine, On a fixé son âme et bâti sa maison Au bord de votre Seine, Quand on n’a jamais vu se lever le soleil Ni la lune renaître Ailleurs que sur vos champs, que sur vos blés vermeils, Vos chênes et vos hêtres, Quand jaloux de goûter le vin de vos pressoirs ; Vos fruits et vos châtaignes, On a bien médité dans la paix de vos soirs Les livres de Montaigne, Quand pendant vos étés luisants, où les lézards Sont verts comme des fèves, On a senti fleurir les chansons de Ronsard Au jardin de son rêve, Quand on a respiré les automnes sereins Où coulent vos résines, Quand on a senti vivre et pleurer dans son sein Le coeur de Jean Racine, Quand votre nom, miroir de toute vérité, Émeut comme un visage, Alors on a conclu avec votre beauté Un si fort mariage Que l’on ne sait plus bien, quand l’azur de votre oeil Sur le monde flamboie, Si c’est dans sa tendresse ou bien dans son orgueil Qu’on a le plus de joie…

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les mains de Jeanne-Marie Jeanne-Marie a des mains fortes, Mains sombres que l’été tanna, Mains pâles comme des mains mortes. – Sont-ce des mains de Juana ? Ont-elles pris les crèmes brunes Sur les mares des voluptés ? Ont-elles trempé dans des lunes Aux étangs de sérénités ? Ont-elles bu des cieux barbares, Calmes sur les genoux charmants ? Ont-elles roulé des cigares Ou trafiqué des diamants ? Sur les pieds ardents des Madones Ont-elles fané des fleurs d’or ? C’est le sang noir des belladones Qui dans leur paume éclate et dort. Mains chasseresses des diptères Dont bombinent les bleuisons Aurorales, vers les nectaires ? Mains décanteuses de poisons ? Oh ! quel Rêve les a saisies Dans les pandiculations ? Un rêve inouï des Asies, Des Khenghavars ou des Sions ? – Ces mains n’ont pas vendu d’oranges, Ni bruni sur les pieds des dieux : Ces mains n’ont pas lavé les langes Des lourds petits enfants sans yeux. Ce ne sont pas mains de cousine Ni d’ouvrières aux gros fronts Que brûle, aux bois puant l’usine, Un soleil ivre de goudrons. Ce sont des ployeuses d’échines, Des mains qui ne font jamais mal, Plus fatales que des machines, Plus fortes que tout un cheval ! Remuant comme des fournaises, Et secouant tous ses frissons, Leur chair chante des Marseillaises Et jamais les Eleisons ! Ça serrerait vos cous, ô femmes Mauvaises, ça broierait vos mains, Femmes nobles, vos mains infâmes Pleines de blancs et de carmins. L’éclat de ces mains amoureuses Tourne le crâne des brebis ! Dans leurs phalanges savoureuses Le grand soleil met un rubis ! Une tache de populace Les brunit comme un sein d’hier ; Le dos de ces Mains est la place Qu’en baisa tout Révolté fier ! Elles ont pâli, merveilleuses, Au grand soleil d’amour chargé, Sur le bronze des mitrailleuses À travers Paris insurgé ! Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées, À vos poings, Mains où tremblent nos Lèvres jamais désenivrées, Crie une chaîne aux clairs anneaux ! Et c’est un soubresaut étrange Dans nos êtres, quand, quelquefois, On veut vous déhâler, Mains d’ange, En vous faisant saigner les doigts ! Arthur Rimbaud, Poésies  

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    L’éclatante victoire de Sarrebrück Remportée aux cris de Vive l’Empereur ! (Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35 centimes.) Au milieu, l’Empereur, dans une apothéose Bleue et jaune, s’en va, raide, sur son dada Flamboyant ; très heureux, ? car il voit tout en rose, Féroce comme Zeus et doux comme un papa ; En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste Près des tambours dorés et des rouges canons, Se lèvent gentiment. Pitou remet sa veste, Et, tourné vers le Chef, s’étourdit de grands noms À droite, Dumanet, appuyé sur la crosse De son chassepot sent frémir sa nuque en brosse, Et : « Vive l’Empereur !! » – Son voisin reste coi… Un schako surgit, comme un soleil noir… – Au centre, Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre Se dresse, et, – présentant ses derrières « De quoi ?… » Octobre 1870.

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Les bois détruits À la mémoire de mon ami Louis Féry d’Esclands de l’île Bourbon I J’ai vu des nobles fils de nos forêts superbes Les grands troncs abattus dispersés dans les herbes, Et de l’homme en ces lieux j’ai reconnu les pas. Renversant de ses mains l’œuvre des mains divines, Partout sur son passage il sème et les ruines Et l’incendie et le trépas. Que de jours ont passé sur ces monts, que d’années Pour voiler de fraîcheur leurs cimes couronnées D’arbres aux troncs d’airain, aux feuillages mouvants ! S’il faut, hélas ! au temps des siècles pour produire, A l’homme un jour suffit pour abattre et détruire L’œuvre séculaire des ans. Sur ces sommets boisés qu’un souffle tiède embaume, Ma muse, blonde enfant qui naquit sous le chaume, Vers des cieux bleus et clairs essaya son essor ; Et butinant leur miel aux fleurs de Salazie, Elle errait et cueillait sa fraîche poésie, Légère abeille aux ailes d’or. Peut-être avant le jour où ma tête blanchie Penchera vers le sol, pesante et réfléchie, Revenant à ces lieux demander leurs abris, Je reverrai des monts sans verdure et sans ombres, Et, pleurant en secret nos solitudes sombres, Je gémirai sur leurs débris. Je veux fermer mon cœur aux douloureux présages… O gigantesques monts où dorment les nuages, De vos arbres sur nous balancez les arceaux ! Défendant vos beaux flancs des haches meurtrières, Que notre main conserve à vos têtes altières Leurs chevelures de rameaux ! Et vous, doux habitants de ces lieux solitaires, Hommes simples et purs, aux mœurs hospitalières, Respectez-les, ces bois qu’ont respectés les ans ! Laissez sous leur verdure et leurs ombres profondes Errer les couples blancs, jouer les têtes blondes Des colombes et des enfants. Joignez à l’arbre fier de sa haute stature L’humble arbuste où l’oiseau trouve sa nourriture ; Aux marges du torrent qui bouillonne argenté, Laissez rougir la fraise et la framboise éclore ; Que la pêche y suspende au soleil et colore Son fruit au duvet velouté. Que la brise, agitant vos touffes de jam-roses, Épanche autour de vous la douce odeur des roses ; Que leur dôme embaumé s’incline sur les eaux ; Sous leur voûte cachez vos maisonnettes blanches, Comme on voit, suspendus dans l’épaisseur des branches, Les nids ombragés des oiseaux. Restez sourds aux conseils d’une avide opulence ; De sagesse et d’amour vivez dans le silence. Le trésor le plus pur vient de la paix des cœurs. Mais chassez l’étranger de vos bois centenaires, Car il profanerait de ses mains mercenaires Vos forêts vierges et vos mœurs ! II Qu’ont-ils fait de nos bois, qu’ont-ils fait de nos terres, Ces défricheurs venus des plages étrangères, Par un vent de malheur sur nos grèves jetés ? Ne voulant voir en eux que des déshérités, Notre île hospitalière accueillit leur détresse En mère, et sur leurs deuils mesura sa tendresse. Abritant leurs fronts las, de son ciel tiède et pur Elle étendit sur eux la coupole d’azur ; Sous leurs pieds écartant les épines jalouses, Elle ouvrit le velours de ses molles pelouses, Fit chanter, pour bercer leurs souvenirs amers, Les oiseaux de ses bois et les flots de ses mers, Et leur prouva par l’acte et non par la parole La chaude loyauté de l’amitié créole. Mais tes fils adoptifs ont trahi tes bontés. Ils ont porté la mort dans tes champs dévastés. Le froid amour de l’or éteignant dans leurs âmes Le foyer virginal et noble aux belles flammes, Ils ont privé ton ciel de ses peuples d’oiseaux, Tes plaines de leurs fleurs, tes nymphes de leurs eaux ; Et, sapant tes forêts, ô ma mère ! leur glaive Fit tomber de ton front ta chevelure d’ Ève. Et nous avons permis que leurs bras éhontés Missent à nu les flancs qui nous ont enfantés ! Et sous nos yeux ils ont, de leurs mains libertines, Profané les secrets de tes formes divines ! Et nous l’avons souffert ! et nos justes fureurs N’ont pas honni, chassé ces durs dévastateurs Que la vague en courroux, rebuts d’un autre monde, Déposa sur nos bords comme une vase immonde ! O misère ! ô douleur ! Ce n’est pas tout encor, Car ils nous ont légué leur appétit pour l’or : A leur souffle glacé notre âme s’est flétrie ; Nous n’avons plus au cœur l’amour de la patrie ! De la terre natale où dorment nos aïeux Nous éloignons nos pas, nous détournons les yeux ; Nous n’aspirons qu’à l’heure où gorgés de richesses, Fuyant ces lieux, berceaux de nos pures jeunesses, Nous pourrons dans le sein des lointaines cités Étaler au grand jour nos sottes vanités ! Et pour voler au but où notre espoir s’attache, Nous portons en tous lieux et la flamme et la hache ; Et l’on ne voit partout que des champs dépouillés, Que d’arides plateaux aux rocs noirs et pelés, Qu’une herbe rare et jaune et des arbustes fauves Sur les flancs décharnés de nos montagnes chauves ; Et, courbés vers le sol, chaque jour dans son sein Nous fouillons de la pioche et du pic assassin. De nos champs épuisés, sans remords et sans trêve, Notre lèvre acharnée a bu toute la sève ; Et, desséchant ce sein qui nous a tous nourris, Quand il n’est plus de lait dans ses vaisseaux taris, Tout gonflés et repus du sang de notre mère, Nous faisons voile, hélas ! vers la rive étrangère, Et nous allons aux yeux des superbes cités Étaler au grand jour nos sottes vanités ! III O mère malheureuse ! ô mère délaissée ! Oui, garde sur tes yeux ta paupière baissée. Je comprends ta tristesse et comprends tes douleurs, Et mêle à tes regrets mes regrets et mes pleurs. Plus de verte savane et d’ombreuses collines, Où s’ouvrait la grenade aux perles purpurines ; Plus de hauts cocotiers et de beaux orangers S’affaissant sous le poids de leurs rameaux chargés ; Et tu ne verses plus sur la mer langoureuse Qui vient baiser tes pieds de sa vague amoureuse, Les souffles parfumés et les fraîches senteurs De tes arbres si beaux que les oiseaux pêcheurs, Fuyant des flots émus les rumeurs éternelles, Venaient s’y reposer pour embaumer leurs ailes ! Mais tout n’est pas perdu, mère, console-toi ! Il te reste des fils qui t’ont gardé leur foi, Qui, n’empruntant jamais leur vol aux hirondelles, Quand tout te trahirait te resteraient fidèles, Et qui, pour te servir jusqu’à leur dernier jour, A défaut du génie auront du moins l’amour ! Et près d’eux j’en sais un qui, sevré de tendresses, Du sort n’a point connu les prodigues caresses ; Mais qui, fils de tes flancs, fidèle humilié, Se consolant en toi-de lutter oublié, Se souviendra toujours que ses lèvres jumelles Ont sucé l’existence à tes brunes mamelles. Il ira, cet enfant dont le front révolté Porte un natal reflet de ta mâle âpreté, Il ira sur tes monts où siègent les nuages, Bleus-palais éthérés de l’esprit des orages ; Et là, seul avec toi, si dans l’ombre des nuits Il exhale en secret l’hymne de ses ennuis, Mère, à sa voix pardonne un accent de colère : Cette voix dut flétrir ta honte séculaire. S’il naquit pour chanter les bois, les eaux, les fleurs, Le sort ne lui fut pas avare de douleurs ; Enfant né pour le jour, persécuté par l’ombre, Il sait ce que la vie a de dégoûts sans nombre ; Aussi, triste, mais calme et bravant tout écueil, Il va seul à son but dans son tranquille orgueil. Sur les sommets altiers, sur la montagne austère, Il marche loin des pas des heureux de la terre ; Leurs injustes dédains à son âme ont appris A payer leurs dédains d’un trop juste mépris ; Mais de ce cœur blessé l’indulgence hautaine N’est jamais descendue au niveau de la haine ; Vers des dieux plus cléments il aspira toujours, Et toujours la nature eut ses hautes amours. Les torrents écumeux, la foudre et ses ravages Ont façonné son âme à leurs concerts sauvages ; Mais son verbe attendri, pour célébrer tes bords, O mon île ! oubliera les farouches accords. Pour chanter sur les monts ta verte Salazie Sa lèvre épanchera le miel de poésie ; Et le jour où, donnant dans un dernier adieu Sa dépouille à la tombe et son esprit à Dieu, Il se reposera d’une existence amère, Tu verseras peut-être une larme, ô ma mère !

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    Casimir Delavigne

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    Adieu à la Madeleine Adieu Madeleine Chérie, Qui te réfléchis dans les eaux, Comme une fleur de la prairie Se mire au cristal du ruisseau. Ta colline, où j’ai vu paraître Un beau jour qui s’est éclipsé, J’ai rêvé que j’en étais maître ; Adieu ! Ce doux rêve est passé. Assis sur la rive opposée, Je te vois, lorsque le soleil Sur tes gazons boit la rosée, Sourire encore à ton réveil, Et d’un brouillard pâle entourée Quand le jour meurt avec le bruit, Blanchir comme une ombre adorée Qui nous apparaît dans la nuit. Doux trésors de ma moisson mûre, De vos épis un autre est roi ; Tilleuls dont j’aimais le murmure, Vous n’aurez plus d’ombre pour moi. Ton coq peut tourner à sa guise, Clocher, que je fuis sans retour : Ce n’est plus à moi que la brise Lui dit d’annoncer un beau jour. Cette fenêtre était la tienne, Hirondelle, qui vint loger Bien des printemps dans ma persienne, Où je n’osais te déranger ; Dés que la feuille était fanée, Tu partais la première, et moi, Avant toi je pars cette année ; Mais reviendrais-je comme toi ? Qu’ils soient l’amour d’un autre maître, Ces pêchers dont j’ouvris les bras ! Leurs fruits verts, je les ai vu naître ; Rougir je ne les verrai pas. J’ai vu des bosquets que je quitte Sous l’été les roses mourir ; J’y vois planter la marguerite : Je ne l’y verrai pas fleurir. Ainsi tout passe, et l’on délaisse Les lieux où l’on s’est répété : « Ici luira sur ma vieillesse L’azur de son dernier été. » Heureux, quand on les abandonne, Si l’on part en se comptant tous, Si l’on part sans laisser personne Sous l’herbe qui n’est plus à vous. Adieu, prairie où sur la brune, Lorsque tout dort, jusqu’aux roseaux, J’entendais rire au clair de lune Les lutins des bois et des eaux, Qui, sous ces clartés taciturnes, Du trône disputant l’honneur, Se livraient des assauts nocturnes Autour des meules du faneur. Adieu, mystérieux ombrages, Sombre fraîcheur, calme inspirant ; Mère de Dieu, de qui l’image Consacre ce vieux tronc mourant, Où, quand son heure est arrivée, Le passereau loin des larcins Vient cacher sa jeune couvée Dans les plis de tes voiles saints. Adieu, chapelle qui protège Le pauvre contre ses douleurs ; Avenue où, foulant la neige De mes acacias en fleurs, Lorsque le vent l’avait semée Du haut de ses rameaux tremblants, Je suivais quelque trace aimée, Empreinte sur ses flocons blancs. Adieu, flots, dont le cours tranquille, Couvert de berceaux verdoyants, A ma nacelle, d’île en île, Ouvrait mille sentiers fuyants, Quand rêveuse, elle allait sans guide Me perdre en suivant vos détours Dans l’ombre d’un dédale humide Ou je me retrouvais toujours. Adieu, chers témoins de ma peine, Forêt, jardin, flots que j’aimais ! Adieu, ma fraîche Madeleine ! Madeleine, adieu pour jamais ! Je pars, il le faut, et je cède ; Mais le cœur me saigne en partant, Qu’un plus riche qui te possède Soit heureux où nous l’étions tant ! Automne 1839

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    Casimir Delavigne

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    La Bataille de Waterloo Ils ne sont plus, laissez en paix leur cendre; Par d’injustes clameurs ces braves outragés À se justifier n’ont pas voulu descendre; Mais un seul jour les a vengés : Ils sont tous morts pour vous défendre. Malheur à vous si vos yeux inhumains N’ont point de pleurs pour la patrie! Sans force contre vos chagrins, Contre le mal commun votre âme est aguerrie; Tremblez, la mort peut-être étend sur vous ses mains! Que dis-je? Quel français n’a répandu des larmes Sur nos défenseurs expirans? Prêt à revoir les rois qu’il regretta vingt ans, Quel vieillard n’a rougi du malheur de nos armes? En pleurant ces guerriers par le destin trahis, Quel vieillard n’a senti s’éveiller dans son ame Quelque reste assoupi de cette antique flamme Qui l’embrasait pour son pays? Que de leçons, grand dieu! Que d’horribles images L’histoire d’un seul jour présente aux yeux des rois! Clio, sans que la plume échappe de ses doigts, Pourra-t-elle en tracer les pages? Cachez-moi ces soldats sous le nombre accablés, Domptés par la fatigue, écrasés par la foudre, Ces membres palpitans dispersés sur la poudre, Ces cadavres amoncelés! Eloignez de mes yeux ce monument funeste De la fureur des nations; Ô mort! Epargne ce qui reste! Varus, rends-nous nos légions! Les coursiers frappés d’épouvante, Les chefs et les soldats épars, Nos aigles et nos étendards Souillés d’une fange sanglante, Insultés par les léopards, Les blessés mourant sur les chars, Tout se presse sans ordre, et la foule incertaine, Qui se tourmente en vains efforts, S’agite, se heurte, se traîne, Et laisse après soi dans la plaine Du sang, des débris et des morts. Parmi des tourbillons de flamme et de fumée, Ô douleur, quel spectacle à mes yeux vient s’offrir? Le bataillon sacré, seul devant une armée, S’arrête pour mourir. C’est en vain que, surpris d’une vertu si rare, Les vainqueurs dans leurs mains retiennent le trépas. Fier de le conquérir, il court, il s’en empare; La garde, avait-il dit, meurt et ne se rend pas. On dit qu’en les voyant couchés sur la poussière, D’un respect douloureux frappé par tant d’exploits, L’ennemi, l’oeil fixé sur leur face guerrière, Les regarda sans peur pour la première fois. Les voilà ces héros si long-temps invincibles! Ils menacent encor les vainqueurs étonnés! Glacés par le trépas, que leurs yeux sont terribles! Que de hauts faits écrits sur leurs fronts sillonnés! Ils ont bravé les feux du soleil d’Italie, De la castille ils ont franchi les monts; Et le nord les a vus marcher sur les glaçons Dont l’éternel rempart protége la Russie. Ils avaient tout dompté… Le destin des combats Leur devait, après tant de gloire, Ce qu’aux français naguère il ne refusait pas; Le bonheur de mourir dans un jour de victoire. Ah! Ne les pleurons pas! Sur leurs fronts triomphans La palme de l’honneur n’a pas été flétrie; Pleurons sur nous, français, pleurons sur la patrie; L’orgueil et l’intérêt divisent ses enfans. Quel siècle en trahisons fut jamais plus fertile? L’amour du bien commun de tous les coeurs s’exile; La timide amitié n’a plus d’épanchemens; On s’évite, on se craint; la foi n’a plus d’asile, Et s’enfuit d’épouvante au bruit de nos sermens. O vertige fatal! Déplorables querelles Qui livrent nos foyers au fer de l’étranger! Le glaive étincelant dans nos mains infidèles, Ensanglante le sein qu’il devrait protéger. L’ennemi cependant renverse les murailles De nos forts et de nos cités; La foudre tonne encore, au mépris des traités. L’incendie et les funérailles Épouvantent encor nos hameaux dévastés; D’avides proconsuls dévorent nos provinces; Et, sous l’écharpe blanche, ou sous les trois couleurs, Les français, disputant pour le choix de leurs princes, Détrônent des drapeaux et proscrivent des fleurs. Des soldats de la Germanie J’ai vu les coursiers vagabonds Dans nos jardins pompeux errer sur les gazons, Parmi ces demi-dieux qu’enfanta le génie. J’ai vu des bataillons, des tentes et des chars, Et l’appareil d’un camp dans le temple des arts. Faut-il, muets témoins, dévorer tant d’outrages? Faut-il que le français, l’olivier dans la main, Reste insensible et froid comme ces dieux d’airain Dont ils insultent les images? Nous devons tous nos maux à ces divisions Que nourrit notre intolérance. Il est temps d’immoler au bonheur de la France Cet orgueil ombrageux de nos opinions. Etouffons le flambeau des guerres intestines. Soldats, le ciel prononce, il relève les lis; Adoptez les couleurs du héros de Bovines, En donnant une larme aux drapeaux d’Austerlitz. France, réveille-toi! Qu’un courroux unanime Enfante des guerriers autour du souverain! Divisés, désarmés, le vainqueur nous opprime; Présentons-lui la paix, les armes à la main. Et vous, peuples si fiers du trépas de nos braves, Vous, les témoins de notre deuil, Ne croyez pas, dans votre orgueil, Que, pour être vaincus, les français soient esclaves. Gardez-vous d’irriter nos vengeurs à venir; Peut-être que le ciel, lassé de nous punir, Seconderait notre courage; Et qu’un autre Germanicus Irait demander compte aux Germains d’un autre âge De la défaite de Varus.

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    Casimir Delavigne

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    La brigantine La brigantine Qui va tourner Roule et s’incline Pour m’entraîner. Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Provence, adieu ! Mon pauvre père Verra souvent Pâlir ma mère Au bruit du vent. Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Mon père, adieu ! La vieille Hélène Se confîra Dans sa neuvaine, Et dormira. Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Hélène, adieu ! Ma sœur se lève, Et dit déjà : « J’ai fait un rêve ; Il reviendra. » Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu Adieu, patrie ! Ma sœur, adieu ! De mon Isaure Le mouchoir blanc S’agite encore En m’appelant. Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Isaure, adieu ! Brise ennemie, Pourquoi souffler, Quand mon amie Veut me parler ? Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Bonheur, adieu !

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    Casimir Delavigne

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    La mort de Jeanne d’Arc Silence au camp ! La vierge est prisonnière ; Par un injuste arrêt Bedfort croit la flétrir : Jeune encore, elle touche à son heure dernière… Silence au camp ! La vierge va périr. Des pontifes divins, vendus à la puissance, Sous les subtilités des dogmes ténébreux Ont accablé son innocence. Les anglais commandaient ce sacrifice affreux : Un prêtre en cheveux blancs ordonna le supplice ; Et c’est au nom d’un dieu par lui calomnié, D’un dieu de vérité, d’amour et de justice, Qu’un prêtre fut perfide, injuste et sans pitié. Dieu, quand ton jour viendra, quel sera le partage Des pontifes persécuteurs ? Oseront-ils prétendre au céleste héritage De l’innocent dont ils ont bu les pleurs ? Ils seront rejetés, ces pieux imposteurs, Qui font servir ton nom de complice à leur rage, Et t’offrent pour encens la vapeur du carnage. A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers ? Pour qui ces torches qu’on excite ? L’airain sacré tremble et s’agite… D’où vient ce bruit lugubre ? Où courent ces guerriers Dont la foule à long flots roule et se précipite ? La joie éclate sur leurs traits, Sans doute l’honneur les enflamme : Ils vont pour un assaut former leurs rangs épais : Non, ces guerriers sont des anglais Qui vont voir mourir une femme. Qu’ils sont nobles dans leur courroux ! Qu’il est beau d’insulter au bras chargé d’entraves ! La voyant sans défense, ils s’écriaient, ces braves : Qu’elle meure ! Elle a contre nous Des esprits infernaux suscité la magie… Lâches ! Que lui reprochez-vous ? D’un courage inspiré la brûlante énergie, L’amour du nom français, le mépris du danger, Voilà sa magie et ses charmes ; En faut-il d’autres que des armes Pour combattre, pour vaincre et punir l’étranger ? Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l’image ; Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents, Au pied de l’échafaud, sans changer de visage, Elle s’avançait à pas lents. Tranquille, elle y monta : quand, debout sur le faîte, Elle vit ce bûcher qui l’allait dévorer, Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête, Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête, Et se prit à pleurer. Ah ! Pleure, fille infortunée ! Ta jeunesse va se flétrir, Dans sa fleur trop tôt moissonnée ! Adieu, beau ciel, il faut mourir. Ainsi qu’une source affaiblie, Près du lieu même où naît son cours, Meurt en prodiguant ses secours Au berger qui passe et l’oublie ; Ainsi, dans l’âge des amours, Finit ta chaste destinée, Et tu péris abandonnée Par ceux dont tu sauvas les jours. Tu ne reverras plus tes riantes montagnes, Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs, Et ta chaumière et tes compagnes, Et ton père expirant sous le poids des douleurs. Chevaliers, parmi vous qui combattra pour elle ? N’osez-vous entreprendre une cause si belle ? Quoi ! Vous restez muets ! Aucun ne sort des rangs ! Aucun pour la sauver ne descend dans la lice ! Puisqu’un forfait si noir les trouve indifférens, Tonnez, confondez l’injustice, Cieux, obscurcissez-vous de nuages épais ; Éteignez sous leurs flots les feux du sacrifice, Ou guidez au lieu du supplice, À défaut du tonnerre, un chevalier français. Après quelques instans d’un horrible silence, Tout à coup le feu brille, il s’irrite, il s’élance… Le cœur de la guerrière alors s’est ranimé ; À travers les vapeurs d’une fumée ardente, Jeanne, encor menaçante, Montre aux anglais son bras à demi consumé. Pourquoi reculer d’épouvante, Anglais ? Son bras est désarmé. La flamme l’environne, et sa voix expirante Murmure encore : ô France ! O mon roi bien-aimé ! Que faisait-il ce roi ? Plongé dans la mollesse, Tandis que le malheur réclamait son appui, L’ingrat, il oubliait, aux pieds d’une maîtresse, La vierge qui mourait pour lui ! Ah ! Qu’une page si funeste De ce règne victorieux, Pour n’en pas obscurcir le reste, S’efface sous les pleurs qui tombent de nos yeux ! Qu’un monument s’élève aux lieux de ta naissance, Ô toi, qui des vainqueurs renversas les projets ! La France y portera son deuil et ses regrets, Sa tardive reconnaissance ; Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès : Puissent croître avec eux ta gloire et sa puissance ! Que sur l’airain funèbre ou grave des combats, Des étendards anglais fuyant devant tes pas, Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes. Venez, jeunes beautés ; venez, braves soldats ; Semez sur son tombeau les lauriers et les roses ! Qu’un jour le voyageur, en parcourant ces bois, Cueille un rameau sacré, l’y dépose, et s’écrie : « À celle qui sauva le trône et la patrie, Et n’obtint qu’un tombeau pour prix de ses exploits. » Notre armée au cercueil eut mon premier hommage ; Mon luth chante aujourd’hui les vertus d’un autre âge : Ai-je trop présumé de ses faibles accens ? Pour célébrer tant de vaillance, Sans doute il n’a rendu que des sons impuissans ; Mais, poète et français, j’aime à vanter la France. Qu’elle accepte en tribut de périssables fleurs. Malheureux de ses maux et fier de ses victoires, Je dépose à ses pieds ma joie ou mes douleurs : J’ai des chants pour toutes ses gloires, Des larmes pour tous ses malheurs.

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    Casimir Delavigne

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    La sybille Pouzzole. Marchons, le ciel s’abaisse, et le jour pâlissant N’est plus à son midi qu’un faible crépuscule; Le flot qui vient blanchir les restes du port Jule Grossit, et sur la cendre expire en gémissant. Cet orage éloigné que l’Eurus nous ramène Couvre de ses flancs noirs les pointes de Misène; Avançons, et, foulant d’un pied religieux Ces rivages sacrés que célébra Virgile, Et d’où Néron chassa la majesté des dieux, Allons sur l’avenir consulter la Sibylle. << Ces débris ont pour moi d'invincibles appas, >> Me répond un ami, qu’aux doux travaux d’Apelle, A Rome, au Vatican son art en vain rappelle; << Ils parlent à mes yeux, ils enchaînent mes pas. << Ces lentisques flétris dont la feuille frissonne; << Ces pampres voltigeants et rougis par l'automne, << Tristes comme les fleurs qui couronnaient les morts, << Ces frêles cyclamens, fanés à leur naissance, << Plaisent à ma tristesse, en mêlant sur ces bords << Le deuil de la nature au deuil de la puissance. << Où sont ces dais de pourpre élevés pour les jeux, << Ces troupeaux d'affranchis, ces courtisans avides? << Où sont les chars d'airain, les trirèmes rapides, << Qui du soleil levant réfléchissaient les feux? << C'est là que des clairons la bruyante harmonie << A d'Auguste expirant ranimé l'agonie; << Vain remède! et le sang se glaçait dans son coeur, << Tandis que sur ces mers les jeux de Rome esclave, << Retraçant Actiura à ce pâle vainqueur, << Faisaient sourire Auguste au triomphe d'Octave! << Ces monuments pompeux, tous ces palais romains, << Où triomphaient l'orgueil, l'inceste et l'adultère, << De la vaine grandeur dont ils lassaient la terre << N'ont gardé que des noms en horreur aux humains. << Les voilà, ces arceaux désunis et sans gloire << Qui de Caligula rappellent la mémoire! << Vingt siècles les ont vus briser le fol orgueil << Des mers qui les couvraient d'écume et d'étincelles, << Leur chaîne s'est rompue et n'est plus qu'un écueil << Où viennent des pécheurs se heurter les nacelles. << Ces temples du plaisir par la mort habités, << Ces portiques, ces bains prolongés sous les ondes, << Ont vu Néron, caché dans leurs grottes profondes, << Condamner Agrippine au sein des voluptés. << Au bruit des flots, roulant sur cette voûte humide, << Il veillait, agité d'un espoir parricide! << Il lançait à Narcisse un regard satisfait, << Quand, muet d'épouvante et tremblant de colère, << Il apprit que ces flots, instrument du forfait, << Se soulevant d'horreur, lui rejetaient sa mère. << Tout est mort : c'est la mort qu'ici vous respirez: << Quand Rome s'endormit do débauche abattue, << Elle laissa dans l'air ce poison qui vous tue; << Il infecte les lieux qu'elle a déshonorés. << Telle, après les banquets de ces maîtres du monde, << S'élevait autour d'eux une vapeur immonde << Qui pesait sur leurs sens, ternissait les couleurs << Des fastueux tissus Où retombaient leurs têtes, << Et fanait à leurs pieds sur les marbres en pleurs, << Les roses dont Pestum avait jonché ces fêtes. << Virgile pressentait que, dans ces champs déserts << La mort viendrait s'asseoir au milieu des décombres>> << Alors qu'il les choisit pour y placer les ombres, << Le Styx aux noirs replis, l'Averne et les Enfers. << Contemplez ce pécheur; voyez, voyez nos guides; << Interrogez les traits de ces patres livides: << Ne croyez-vous pas voir des spectres sans tombeaux, << Qui, laissés par Caron sur le fatal rivage, << Tendant vers vous la main; entr'ouvrent leurs lambeaux << Pour mendier le prix de leur dernier passage?...>> Il disait, et déjà j’écartais les rameaux Qui cachaient à nos yeux l’antre de la Sibylle, Au fond de ce cratère, où l’Averne immobile Couvre un volcan éteint de ses dormantes eaux. L’enfer, devant nos pas, ouvrait la bouche antique D’où sortit pour Énée une voix prophétique; Un flambeau nous guidait, et ses feux incertains Dessinaient sur les murs des larves, des fantômes, Qui sans forme et sans vie, et fuyant sous nos mains,. Semblaient le peuple vain de ces sombres royaumes. << Prêtresse des dieux, lève-toi! << Viens! m'écriai-je alors, furieuse, écumante, << Le front pâle, et les yeux troublés d'un saint effroi, << Pleine du dieu qui te tourmente, << Viens, viens, Sibylle, et réponds-moi! << Vers les demeures infernales, << Dis-moi pourquoi la mort pousse comme un troupeau << Cette foule d'ombres royales, << Que nous voyons passer de la pourpre au tombeau? << Est-ce pour insulter à l'alliance vaine << Que Waterloo scella de notre sang? << Veut-elle, à chaque roi qu'elle heurte en passant, << Briser un des anneaux de cette vaste chaîne? << Le dernier de ces rois, que le souffle du Nord << A du trône des czars apporté sui ce bord, << Pliait sous le nom d'Alexandre; << Allons-nous voir les chefs de son armée en deuil << Donner des jeux sanglants autour de son cercueil, << Pour un sceptre flottant qu'il ne peut plus défendre? << Verrons-nous couronner l'héritier de son choix, << Et ce maître nouveau d'un empire sans lois << Doit-il, usant ses jours dans de saintes pratiques, << Assister de loin comme lui << Aux funérailles héroïques << D'Athènes qui l'implore et qui meurt sans appui? << N'offrira- t-elle un jour que des débris célèbres? << La verrons-nous tomber après ses longs efforts, << Vide comme Pompei, qui du sein des ténèbres, << En secouant sa cendre, étale sur vos bords << Ses murs où manque un peuple, et ses palais funèbres << Où manquent les restes des morts? << Réponds-moi! réponds-moi! furieuse, écumante, << Le front pâle, et les yeux troublés d'un saint effroi, << Pleine du dieu qui te tourmente, << Viens, viens, Sibylle, et réponds-moi! << La verrons-nous, cette belle Ausonie, << Jeter quelques rayons de sen premier éclat? << Ou ce flambeau mourant des arts et du génie << Doit-il toujours passer avec ignominie << De la France aux Germains, du pontife au soldat, << Semblable aux feux mouvants, aux clartés infidèles << Qui, changeant de vainqueurs, volent de mains en mains, << Vain jouet des combats que livrent les Romains << Dans leurs saturnales nouvelles? << L'Espagne, qui préfère au plus beau de ses droits << La sainte obscurité dont la nuit l'environne, << Marâtre de ses fils, infidèle à ses lois, << A l'esclavage s'abandonne, << Et s'endort sous sa chaîne en priant pour ses rois. << Reprendra-t-elle un jour son énergie antique? << Libre, doit-elle enfin, d'un bras victorieux, << Combattre et déchirer le bandeau fanatique << Qu'une longue ignorance épaissit sur ses yeux? << Un arbre sur la France étendait son ombrage: << Nous l'entourons encor de nos bras impuissants; << Le fer du despotisme a touché son feuillage, << Dont les rameaux s'ouvraient chargés de fruits naissants. << Si par sa chute un jour le tronc qui les supporte << Doit de l'Europe entière ébranler les échos, << Le fer, sous son écorce morte, << De sa sève de feu tarira-t-il les flots? << Ou de sa dépouille flétrie << Quelque rameau ressuscité << Reprendra-t-il racine au sein de la patrie, << Au souffle de la liberté? << Réponds-moi, réponds-moi! furieuse, écumante, << Le front pâle, et les yeux troublés d'un saint effroi, << Pleine du dieu qui le tourmente, << Viens, viens, Sibylle, et réponds-moi!... >> J’écoutais : folle attente! espérance inutile! L’oracle d’Apollon ne répond qu’à Virgile; Et ces noms méconnus qu’en vain je répétai, Ces noms jadis si beaux : patrie et liberté, N’ont pas même aujourd’hui d’écho chez la Sibylle.

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    Casimir Delavigne

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    La vie de Jeanne d’Arc Un jour que l’océan gonflé par la tempête, Réunissant les eaux de ses fleuves divers, Fier de tout envahir, marchait à la conquête De ce vaste univers; Une voix s’éleva du milieu des orages, Et Dieu, de tant d’audace invinsible témoin, Dit aux flots étonnés : << Mourez sur ces rivages, Vous n’irez pas plus loin. >> Ainsi, quand, tourmentés d’une impuissante rage, Les soldats de Bedfort, grossis par leurs succès, Menaçaient d’un prochain naufrage Le royaume et le nom français; Une femme, arrêtant ces bandes formidables, Se montra dans nos champs de leur foule inondés; Et ce torrent vainqueur expira dans les sables Que naguère il couvrait de ses flots débordés. Une femme paraît, une vierge, un héros; Elle arrache son maître aux langueurs du repos. La France qui gémit se réveille avec peine, Voit son trône abattu, voit ses champs dévastés, Se lève en secouant sa chaîne, Et rassemble à ce bruit ses enfans irrités. Qui t’inspira, jeune et faible bergère, D’abandonner la houlette légère Et les tissus commencés par ta main? Ta sainte ardeur n’a pas été trompée; Mais quel pouvoir brise sous ton épée Les cimiers d’or et les casques d’airain? L’aube du jour voit briller ton armure, L’acier pesant couvre ta chevelure, Et des combats tu cours braver le sort. Qui t’inspira de quitter ton vieux père, De préférer aux baisers de ta mère L’horreur des camps, le carnage et la mort? C’est Dieu qui l’a voulu, c’est le dieu des armées, Qui regarde en pitié les pleurs des malheureux, C’est lui qui délivra nos tribus opprimées Sous le poids d’un joug rigoureux; C’est lui, c’est l’éternel, c’est le dieu des armées! L’ange exterminateur bénit ton étendard; Il mit dans tes accens un son mâle et terrible, La force dans ton bras, la mort dans ton regard, Et dit à la brebis paisible; Va déchirer le léopard. Richemont, Lahire, Xaintrailles, Dunois, et vous, preux chevaliers, Suivez ses pas dans les batailles; Couvrez-la de vos boucliers, Couvrez-la de votre vaillance; Soldats, c’est l’espoir de la France Que votre roi vous a commis. Marchez quand sa voix vous appelle, Car la victoire est avec elle; La fuite, avec ses ennemis. Apprenez d’une femme à forcer des murailles, À gravir leurs débris sous des feux dévorans, À terrasser l’anglais, à porter dans ses rangs Un bras fécond en funérailles! Honneur à ses hauts faits! Guerriers, honneur à vous! Chante, heureuse Orléans, les vengeurs de la France, Chante ta délivrance; Les assaillans nombreux sont tombés sous leurs coups. Que sont-ils devenus ces conquérans sauvages Devant le fer vainqueur qui combattait pour nous? … Ce que deviennent des nuages D’insectes dévorans dans les airs rassemblés, Quand un noir tourbillon élancé des montagnes Disperse en tournoyant ces bataillons ailés, Et fait pleuvoir sur nos campagnes Leurs cadavres amoncelés. Aux yeux d’un ennemi superbe Le lis a repris ses couleurs; Ses longs rameaux courbés sous l’herbe Se relèvent couverts de fleurs. Jeanne au front de son maître a posé la couronne. A l’attrait des plaisirs qui retiennent ses pas La noble fille l’abandonne; Délices de la cour, vous n’enchaînerez pas L’ardeur d’une vertu si pure; Des armes, voilà sa parure, Et ses plaisirs sont les combats. Ainsi tout prospérait à son jeune courage. Dieu conduisit deux ans ce merveilleux ouvrage. Il se plut à récompenser Pour la France et ses rois son amour idolâtre, Deux ans il la soutint sur ce brillant théâtre, Pour apprendre aux anglais, qu’il voulait abaisser Que la France jamais ne périt tout entière, Que, son dernier vengeur fût-il dans la poussière, Les femmes, au besoin, pourraient les en chasser.

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    Casimir Delavigne

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    Le jeune diacre, ou la Grèce chrétienne À M. Pouqueville De Messène au cercueil fille auguste et plaintive, Muse des grands revers et des nobles douleurs, Désertant ton berceau, tu pleuras nos malheurs ; Comme la Grèce alors la France était captive… De Messène au cercueil fille auguste et plaintive, Reviens sur ton berceau, reviens verser des pleurs. Entre le mont évan et le cap de Ténare, La mer baigne les murs de la triste Coron ; Coron, nom malheureux, nom moderne et barbare, Et qui de Colonis détrôna le beau nom. Les grecs ont tout perdu : la langue de Platon, La palme des combats, les arts et leurs merveilles, Tout, jusqu’aux noms divins qui charmaient nos oreilles. Ces murs battus des eaux, à demi renversés Par le choc des boulets que Venise a lancés, C’est Coron. Le croissant en dépeupla l’enceinte ; Le turc y règne en paix au milieu des tombeaux. Voyez-vous ces turbans errer sur les créneaux ? Du profane étendard qui chassa la croix sainte Voyez-vous, sur les tours, flotter les crins mouvans ? Entendez-vous, de loin, la voix de l’infidèle, Qui se mêle au bruit sourd de la mer et des vents ? Il veille, et le mousquet dans ses mains étincelle. Au bord de l’horizon le soleil suspendu Regarde cette plage, autrefois florissante, Comme un amant en deuil, qui, pleurant son amante, Cherche encor dans ses traits l’éclat qu’ils ont perdu, Et trouve, après la mort, sa beauté plus touchante. Que cet astre, à regret, s’arrache à ses amours ! Que la brise du soir est douce et parfumée ! Que des feux d’un beau jour la mer brille enflammée ! … Mais pour un peuple esclave il n’est plus de beaux jours. Qu’entends-je ? C’est le bruit de deux rames pareilles, Ensemble s’élevant, tombant d’un même effort, Qui de leur chute égale ont frappé mes oreilles. Assis dans un esquif, l’œil tourné vers le bord, Un jeune homme, un chrétien, glisse sur l’onde amère. Il remplit dans le temple un humble ministère : Ses soins parent l’autel ; debout sur les degrés, Il fait fumer l’encens, répond aux mots sacrés, Et présente le vin durant le saint mystère. Les rames de sa main s’échappent à la fois ; Un luth qui les remplace a frémi sous ses doigts. Il chante… Ainsi chantaient David et les prophètes ; Ainsi, troublant le cœur des pâles matelots, Un cri sinistre et doux retentit sur les flots, Quand l’alcyon gémit, au milieu des tempêtes : « Beaux lieux, où je n’ose m’asseoir, Pour vous chanter dans ma nacelle Au bruit des vagues, chaque soir, J’accorde ma lyre fidèle ; Et je pleure sur nos revers, Comme les hébreux dans les fers, Quand Sion descendit du trône, Pleuraient au pied des saules verts Près les fleuves de Babylone. Mais dans les fers, seigneur, ils pouvaient t’adorer ; Du tombeau de leur père ils parlaient sans alarmes ; Souffrant ensemble, ensemble ils pouvaient espérer : Il leur était permis de confondre leurs larmes : Et je m’exile pour pleurer. « Le ministre de ta colère Prive la veuve et l’orphelin Du dernier vêtement de lin Qui sert de voile à leur misère. De leurs mains il reprend encor, Comme un vol fait à son trésor, Un épi glané dans nos plaines ; Et nous ne buvons qu’à prix d’or L’eau qui coule de nos fontaines. « De l’or ! Ils l’ont ravi sur nos autels en deuil ; Ils ont brisé des morts la pierre sépulcrale, Et de la jeune épouse écartant le linceuil, Arraché de son doigt la bague nuptiale, Qu’elle emporta dans le cercueil. « Ô nature, ta voix si chère S’éteint dans l’horreur du danger ; Sans accourir pour le venger, Le frère voit frapper son frère ; Aux tyrans qu’il n’attendait pas Le vieillard livre le repas Qu’il a dressé pour sa famille ; Et la mère, au bruit de leurs pas, Maudit la beauté de sa fille. « Le lévite est en proie à leur férocité ; Ils flétrissent la fleur de son adolescence, Ou, si d’un saint courroux son cœur s’est révolté, Chaste victime, il tombe avec son innocence Sous le bâton ensanglanté. « Les rois, quand il faut nous défendre, Sont avares de leurs soldats. Ils se disputent des états, Des peuples, des cités en cendre ; Et tandis que, sous les couteaux, Le sang chrétien, à longs ruisseaux, Inonde la terre où nous sommes, Comme on partage des troupeaux, Les rois se partagent des hommes. « Un récit qui s’efface, ou quelques vains discours, À des indifférens parlent de nos misères, Amuse de nos pleurs l’oisiveté des cours : Et nous sommes chrétiens, et nous avons des frères, Et nous expirons sans secours ! « L’oiseau des champs trouve un asile Dans le nid qui fut son berceau, Le chevreuil sous un arbrisseau, Dans un sillon le lièvre agile ; Effrayé par un léger bruit, Le ver qui serpente et s’enfuit Sous l’herbe ou la feuille qui tombe, Échappe au pied qui le poursuit… Notre asile à nous, c’est la tombe ! « Heureux qui meurt chrétien ! Grand dieu, leur cruauté Veut convertir les cœurs par le glaive et les flammes Dans le temple où tes saints prêchaient la vérité, Où de leur bouche d’or descendaient dans nos ames L’espérance et la charité. « Sur ce rivage, où des idoles S’éleva l’autel réprouvé, Ton culte pur s’est élevé Des semences de leurs paroles. Mais cet arbre, enfant des déserts, Qui doit ombrager l’univers, Fleurit pour nous sur des ruines, Ne produit que des fruits amers, Et meurt tranché dans ses racines. « Ô dieu, la Grèce libre en ses jours glorieux N’adorait pas encor ta parole éternelle ; Chrétienne, elle est aux fers, elle invoque les cieux. Dieu vivant, seul vrai dieu, feras-tu moins pour elle Que Jupiter et ses faux dieux ? » Il chantait, il pleurait, quand d’une tour voisine Un musulman se lève, il court, il est armé. Le turban du soldat sur son mousquet s’incline, L’étincelle jaillit, le salpêtre a fumé, L’air siffle, un cri s’entend… L’hymne pieux expire. Ce cri, qui l’a poussé ? Vient-il de ton esquif ? Est-ce toi qui gémis, Lévite ? Est-ce ta lyre Qui roule de tes mains avec ce bruit plaintif ? Mais de la nuit déjà tombait le voile sombre ; La barque, se perdant sous un épais brouillard, Et sans rame, et sans guide, errait comme au hasard ; Elle resta muette et disparut dans l’ombre. La nuit fut orageuse. Aux premiers feux du jour, Du golfe avec terreur mesurant l’étendue, Un vieillard attendait, seul, au pied de la tour. Sous des flocons d’écume un luth frappe sa vue, Un luth qu’un plomb mortel semble avoir traversé, Qui n’a plus qu’une corde à demi détendue, Humide et rouge encor d’un sang presque effacé. Il court vers ce débris, il se baisse, il le touche… D’un frisson douloureux soudain son corps frémit ; Sur les tours de Coron il jette un œil farouche ! Veut crier… La menace expire dans sa bouche ; Il tremble à leur espect, se détourne et gémit. Mais du poids qui l’oppresse enfin son cœur se lasse ; Il fuit des yeux cruels qui gênent ses douleurs ; Et regardant les cieux, seul témoin de ses pleurs, Le long des flots bruyans il murmure à voix basse : « Je t’attendais hier, je t’attendis long-temps ; tu ne reviendras plus, et c’est toi qui m’attends ! »

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    Casimir Delavigne

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    Le retour Au Havre. Le voilà, ce vieux môle où j’errai si souvent ! Ainsi grondaient alors les rafales du vent, Quand aux pâles clartés des fanaux de la Hève Si tristes à minuit, Le flux, en s’abattant pour envahir la grève, Blanchissait dans la nuit. Au souffle du matin qui déchirait la brume, Ainsi sur mes cheveux volait la fraîche écume ; Et quand à leur zénith les feux d’un jour d’été Inondaient les dalles brûlantes, Ainsi, dans sa splendeur et dans sa majesté, La mer sous leurs rayons roulait l’immensité De ses houles étincelantes. Mais là, mais toujours là, hormis si l’ouragan Des flots qu’il balayait restait le seul tyran, Toujours là, devant moi, ces voiles ennemies Que la Tamise avait vomies Pour nous barrer notre Océan ! Alors j’étais enfant, et toutefois mon âme Bondissait dans mon sein d’un généreux courroux, Je sentais de la haine y fermenter la flamme : Enfant, j’aimais la France et d’un amour jaloux. J’aimais du port natal l’appareil militaire ; J’aimais les noirs canons, gardiens de ses abords ; J’aimais la grande voix que prêtaient à nos bords Ces vieux mortiers d’airain sous qui tremblait la terre ; Enfant, j’aimais la France : aimer la France alors, C’était détester l’Angleterre ! Que disaient nos marins lui demandant raison De sa tyrannie éternelle, Quand leurs deux poings fermés menaçaient l’horizon ? Que murmuraient les vents quand ils me parlaient d’elle ? Ennemie implacable, alliée infidèle ! On citait ses serments de parjures suivis, Les trésors du commerce en pleine paix ravis, Aussi bien que sa foi sa cruauté punique : Témoin ces prisonniers ensevelis vingt ans, Et vingt ans dévorés dans des cachots flottants Par la liberté britannique ! Plus tard, un autre prisonnier, Dont les bras en tous lieux s’allongeant pour l’atteindre Par-dessus l’Océan n’avaient pas pu l’étreindre, Osa s’asseoir à son foyer. Ceux qui le craignaient tant, il aurait dû les craindre ; Il les crut aussi grands qu’il était malheureux, Et le jour d’être grands brillait enfin pour eux. Mais ce jour, où, déchu, l’hôte sans défiance Vint, le sein découvert, le fer dans le fourreau, Ce jour fut pour l’Anglais celui de la vengeance : Il se fit le geôlier de la Sainte-Alliance, Et de geôlier devint bourreau ! Oui, du vautour anglais l’impitoyable haine But dans le cœur de l’aigle expirant sous sa chaîne Un sang qui pour la France eût voulu s’épuiser : Car il leur faisait peur, car ils n’ont pu l’absoudre D’avoir quinze ans porté la foudre Dont il faillit les écraser. Il ne resta de lui qu’une tombe isolée Où l’ouragan seul gémissait. En secouant ses fers, la grande ombre exilée Dans mes rêves m’apparaissait. Et j’étais homme alors, et maudissais la terre Qui le rejeta de ses bords : Convenez-en, Français, aimer la France alors, C’était détester l’Angleterre ! Mais voici que Paris armé Tue et meurt pour sa délivrance, Vainqueur aussitôt qu’opprimé ; Trois jours ont passé sur la France : L’œuvre d’un siècle est consommé. Des forêts d’Amérique aux cendres de la Grèce, Du ciel brûlant d’Egypte au ciel froid des Germains, Les peuples frémissaient d’une sainte allégresse. Les lauriers s’ouvraient des chemins Pour tomber à nos pieds des quatre points du monde ; Sentant que pour tous les humains Notre victoire était féconde, Tous les peuples battaient des mains. Entre l’Anglais et nous les vieux griefs s’effacent : Des géants de l’Europe enfin les bras s’enlacent ; Et libres nous disons : « Frères en liberté, « Dans les champs du progrès guidons l’humanité ! » Et nous oublions tout, jusqu’à trente ans de guerre ; Car les Français victorieux Sont le plus magnanime et le plus oublieux De tous les peuples de la terre. Sa cendre, on nous la rend ! mer, avec quel orgueil De tes flots tu battais d’avance Ce rivage du Havre, où tu dois à la France Rapporter son cercueil ! Mais à peine ce bruit fait tressaillir ton onde, Qu’un vertige de guerre a ressaisi le monde. Homme étrange, est-il dans son sort Que tout soit ébranlé quand sa cendre est émue ? Elle a tremblé, sa tombe, et le monde remue ; Elle s’ouvre, et la guerre en sort ! Encore une Sainte-Alliance ! Eh bien ! si son orgueil s’obstine à prévaloir Contré l’œuvre immortel des jours de délivrance, Ce que l’honneur voudra, nous saurons le vouloir. Aux Anglais de choisir ! et leur choix est le nôtre, Quand nous serions seuls contre tous ; Car un duel entre eux et nous, C’est d’un côté l’Europe et la France de l’autre. Viens, ton exil a cessé ; Romps ta chaîne, ombre captive ; Fends l’écume, avance, arrive : Le cri de guerre est poussé. Viens dans ton linceul de gloire, Toi qui nous as faits si grands ; Viens, spectre que la victoire Reconnaîtra dans nos rangs. Contre nous que peut le nombre ? Devant nous tu marcheras ; Pour vaincre à ta voix, grande ombre, Nous t’attendons l’arme au bras ! Partez, vaisseaux ; cinglez, volez vers Sainte-Hélène, Pour escorter sa cendre encor loin de nos bords ; Le noir cercueil flottant qui d’exil le ramène Peut avoir à forcer un rempart de sabords. Volez ! seul contre cent fallût-il la défendre, Joinville périra plutôt que de la rendre, Et dans un tourbillon de salpêtre enflammé il ira, s’il le faut, l’ensevelir fumante Au fond de la tombe écumante Où le Vengeur s’est abîmé ! Que dis-je ? vain effroi ! Dieu veut qu’il la rapporte Sous la bouche de leur canon, Et passe avec ou sans escorte. Que l’Océan soit libre ou non. Mais qu’il ferait beau voir l’escadre funéraire, Un fantôme pour amiral, Mitrailler en passant l’arrogance insulaire, Et lui sous son deuil triomphal, Pour conquérir ses funérailles, Joindre aux lauriers conquis par quinze ans de batailles Les palmes d’un combat naval ! Viens dans ce linceul de gloire, Toi qui nous as faits si grands ; Viens, spectre que la victoire Reconnaîtra dans nos rangs. Contre nous que peut le nombre ? Devant nous tu marcheras : Pour vaincre à ta voix, grande ombre, Nous t’attendons l’arme au bras ! Arme au bras ! fier débris de la phalange antique, Qui, de tant d’agresseurs vengeant la république, Foula sous ses pieds nus tant de drapeaux divers ; Arme au bras ! vétérans d’Arcole et de Palmyre, Vous, restes mutilés des braves de l’Empire ; Vous, vainqueurs d’Ulloa, de l’Atlas et d’Anvers ! Dans les camps, sur la plaine, aux créneaux des murailles, Avec tes vieux soutiens et tes jeunes soldats, Avec tous les enfants qu’ont portés tes entrailles, Arme au bras, patrie, arme au bras ! Il aborde, et la France, en un camp transformée, Reçoit son ancien général ; Il écarte à ses cris le voile sépulcral, Cherche un peuple, et trouve une armée ! Les pères sont debout, revivant dans les fils ; Ses vieux frères de gloire, il les revoit encore : « Vous serez, nous dit-il, ce qu’ils furent jadis ; « Une ligue nouvelle aujourd’hui vient d’éclore : « D’un nouveau soleil d’Austerlitz « Demain se lèvera l’aurore ! » Aux salves de canon que j’entends retentir, Sur lui le marbre saint retombe ; Et peut-être avec lui va rentrer dans la tombe La guerre qu’il en fit sortir ! Mais que sera pour nous l’amitié britannique ? Entre les deux pays, séparés désormais, Le temps peut renouer un lien politique ; Un lien d’amitié, jamais ! Consultons son tombeau, qui devant nous s’élève : Au seul nom des Anglais nous y verrons son glaive Frémir d’un mouvement guerrier ! Consultons la voix du grand homme, Et nous l’entendrons nous crier : « Jamais de paix durable entre Carthage et Rome ! » Il le disait vivant ; il le dit chez les morts ; C’est qu’en vain sur ce cœur pèse une froide pierre : Il est le même, ô France ! il t’aime, noble terre, Comme alors il t’aimait… Aimer la France alors, C’était détester l’Angleterre !

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    Casimir Delavigne

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    Le vaisseau Naples. Par les flots balancée, une barque légère Hier m’avait porté sur ce vaste vaisseau Qui fatiguait le golfe et sa vaine colère D’un inébranlable fardeau. Ses longs mâts dans les deux montaient en pyramides : Comme un serpent ailé, leur flamme au sein des airs Déroulait ses anneaux rapides, Et j’admirais ce noir géant des mers, Armé d’un triple rang de bronzes homicides, Qui sortaient à demi de ses flancs entr’ouverts. Ces mots : Demain ! demain ! ce doux nom de la Grèce, Volent débouche en bouche : on s’agite, on s’empresse. L’un, penché sur les ponts, aux câbles des sabords Enchaîne les foudres roulantes ; L’autre court, suspendu sur les vergues tremblantes, Où la voile, en criant, cède à ses longs efforts. Leur chef le commandait, et son regard tranquille De la poupe à la proue errait de tous côtés, Avant d’abandonner cette masse immobile Au souffle des vents irrités. Ainsi, prêt à quitter les sphères immortelles, Pour ravir une proie au vautour furieux, L’aigle, tranquille et fier, se mesure des yeux, Essaie, eu les ouvrant, si ses ongles fidèles A sa colère obéiront encor, Et, pour battre les airs, étend deux fois ses ailes Avant de prendre son essor. Témoin de ces apprêts, debout sous la misaine, Il part, disais-je, il part ; mais doit-il affranchir Les généreux enfants de Sparte et de Mécène ? Doit-il sous un pacha les contraindre à fléchir ? Pour qui grondera son tonnerre ? A ce peuple persécuté Porte-t-il dans ses flancs où la paix ou la guerre, L’esclavage ou la liberté ? La liberté, sans doute !… et la Grèce est mourante ; Son sang coule et s’épuise. Ah ! qu’il parte ! il est temps De sauver, d’arracher au sabre des sultans La victime encor palpitante. Quand je la vois toucher à ses derniers instants, Il fatigue mon cœur d’une trop longue attente. Comme toi menaçant, et comme toi muet, Vésuve, que fait-il sous ton double sommet, Qui, trompant mon espoir par la vapeur légère Que ta bouche béante exhale vers les cieux, Fume éternellement sans éblouir mes yeux Du spectacle de ta colère ? Dors, volcan imposteur, par les ans refroidi, Dors, et sois pour l’enfance un objet de risée ; Vieillard, sous la cendre engourdi, Je suis las d’insulter à ta lave épuisée ; Mais qu’il tonne du moins ce Vésuve flottant, Moins avare que loi des flammes qu’il recèle ! Que son courroux tardif soit juste en éclatant Sur les mers du Bosphore où Canaris l’appelle ! Quand il fendra les flots, si souvent éclairés Par des esquifs brûlants qui vengeaient la patrie. S’il faut une étincelle à sa flamme assoupie, Qu’elle s’allume aux feux de ces brandons sacrés Que la Grèce avait préparés Pour les flottes d’Alexandrie ! Mais non ; son seul aspect sous les murs ottomans Fera triompher la croix sainte ; Il verra du sérail trembler les fondements, Les flots de Marmara se troubleront de crainte, Et, sans contraindre Athène à payer un succès Qui l’arrache expirante au joug de l’infidèle, Si l’Anglais la délivre, au moins quelques Français Auront versé leur sang pour elle. Toi qu’ils ont devancé dans ton noble dessein, Vaisseau libérateur, reçois-moi sur ton sein ; Pars, va me déposer sous ces blanches colonnes Où Socrate inspirait les discours de Platon. Mes yeux verront flotter les premières couronnes Que les Grecs vont suspendre aux murs du Parthénon. Laisse-moi, sous des fleurs et sous de verts feuillages Consacrés par mes mains à ses dieux exilés, Laisse-moi cacher les outrages De ses marbres vainqueurs de la guerre et des âges Que votre Elgin a mutilés. Je les verrai, ces morts qui vivent dans l’histoire, Pour saluer des jours si beaux, Renaître et soulever les trois mille ans de gloire Dont le temps chargea leurs tombeaux ; Et moi, chantant comme eux ces jours de délivrance,. J’irai mêler la voix, l’hymne à peine écouté D’un obscur enfant de la France, A leurs cris de reconnaissance, A leurs hymnes de liberté. Va donc, n’hésite plus, n’attends pas les étoiles ; Des flambeaux de la nuit les feux seront pour toi. N’entends-tu pas le vent qui frémit dans tes voiles ? Il t’invite à partir ; pars, vole, emporte-moi ! N’oins, je me confie à ton humide haleine ; A toi, brûlant Siroc ; à toi, noir Aquilon ; Mugis, qui que tu sois qui souffles vers Athène : Tout me sera Zéphyr, quelque vent qui m’entraîna Du tombeau de Virgile au tombeau de Byron ! Vain songe !… Il dédaigna ma prière inutile. Hélas ! pour un Français il n’avait point d’asile. Au lever du soleil, mes yeux l’ont découvert Entre le doux Sorrente, où la grappe dorée Se marie au citronnier vert, Et les rochers aigus de la pâle Caprée. Sans doute il entendit, sur ce pic menaçant, L’infâme successeur des demi-dieux du Tibre, Tibère, s’éveillant au nom d’un peuple libre, Des Grecs ressuscites lui demander le sang. Sur la rive opposée il ne put méconnaître Ce chantre harmonieux que Sorrente a vu naître : Le Tasse errait encor dans l’asile enchanté Où l’amour d’une sœur recueillit sa misère ; Du sein de l’immortalité, Poète, il fit des vœux pour, les enfants d’Homère !… Le vaisseau cependant voguait sur l’onde amère. Oui des deux a-t-il écouté ?…

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    Casimir Delavigne

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    Les funérailles du général Foy À la France Rome, villa Paolina. Non, tu ne connais pas encore Ce sentiment d’ivresse et de mélancolie Qu’inspire d’un beau jour la splendeur affaiblie. Toi qui n’as pas vu les flots d’or, Où nage à son couchant un soleil d’Italie, Inonder du Forum l’enceinte ensevelie Et le temple détruit de Jupiter Stator ! Non, tu ne connais pas l’irrésistible empire Des beautés qu’il déploie au moment qu’il expire, Si tes yeux n’ont pas vu son déclin vif et pur, Qui s’éteint par degrés sur Albane et Tibur, Verser les derniers feux d’une ardeur épuisée A travers le brillant azur Des portiques du Colisée ! Sur le mont Janicule et ses pins toujours verts, Tu meurs, mais dans ta gloire ; on t’admire, on te chante ; Tu meurs, divin soleil, au milieu des concerts De cette Rome plus touchante Qui pleure ta clarté ravie à ses déserts. Du trône tu descends comme elle ; Jadis ses monuments t’égalaient en splendeur : D’une reine déchue amant toujours fidèle, Que ta lumière est triste et belle Sur les débris de sa grandeur ! Tes rayons amortis, que le regard supporte, Palissent en les éclairant, Soleil, et ton éclat mourant S’unit mieux à leur beauté morte. Ainsi l’on voit s’éteindre, environné d’hommages, Le talent inspiré, qui, pur et sans nuages, N’a brillé que par la vertu. Ainsi nous l’admirons, ainsi nos larmes coulent, Au milieu des débris de nos lois qui s’écroulent Comme un monument abattu ; Et l’éclat plus sacré de ce flambeau qui tombe Répand les derniers feux dont il est embrasé Sur le temple détruit et sur l’autel brisé De la Liberté qui succombe. Dans sa splendeur enseveli, Glorieux et pleuré par la reconnaissance, Ainsi mourut celui qui vengea notre France. Ces traits éloquents ont pâli Qui de l’âme élancés pénétraient jusqu’à l’âme ; Il s’est ouvert ce cœur, il vient de se briser, Trop plein pour contenir la généreuse flamme Qu’il répandait sans l’épuiser. La patrie, à l’aspect d’une cendre si chère, A senti s’émouvoir ses entrailles de mère. Ah ! qu’elle pleure, elle a droit de pleurer : Pour la défendre encore il déposa ses armes. Elle s’honore en voulant l’honorer. A le nommer son fils qu’elle trouve de charmes ! Fière de sa douleur, plus belle de son deuil, A qui voudra les voir qu !elle montre ses larmes : Car il est des enfants qu’on pleure avec orgueil. Rome, tes yeux sont morts à ces larmes sacrées Dont on fait gloire en les versant ; Les cendres de tes fils ne sont plus honorées Par ce tribut reconnaissant. En vain leurs nobles cœurs battaient pour la patrie. Dans ton abaissement en vain ils t’ont chérie ; Ces murs, dont Michel-Ange a jeté dans les cieux Le dôme audacieux, Réservent leurs honneurs à la puissance morte : Pour elle des concerts, des fleurs et des flambeaux. Et des bronzes menteurs penchés sur des tombeaux ; Mais pour la vertu, que t’importe ? Ainsi, courbé sous l’or du sceptre pastoral, Ton peuple grave et fier, que ce mépris offense, Laisse tomber son bras levé pour ta défense. Il fléchit sous des rois, lui qui n’eut point d’égal Quand la gloire était ton idole ; Et l’herbe a désuni le pavé triomphal Qui conduisait au Capitole. En passant sur la terre où dorment tes héros, Par les mugissements de sa voix importune Le bœuf pesant d’Ostie insulte à leur repos, Ou, symbole vivant de ta triste fortune, Endormi sous le joug du char qu’il a traîné, Courbe sa corne noire et son front enchaîné A la place où fut la tribune. Et c’est là qu’autrefois les publiques douleurs Paraient l’urne des morts de gazons et de fleurs ! Vous le savez, race guerrière, O vous ossements oubliés, Muets débris, noble poussière, Que je sens tressaillir sous les touffes de lierre De ces tombeaux qu’on foule aux pieds ! Vous le savez, vous tous qui, pour vos-funérailles, Avez vu Rome en deuil sortir de ses murailles ! Ah ! s’il a pu cesser, ce culte glorieux Qu’on rendait au courage, à la sainte éloquence, Levez-vous, il renaît ; Romains, ouvrez les yeux, Ne regardez pas Rome, et regardez la France. Il fut orateur et guerrier, Celui que la France attendrie » Couronne d’un double laurier ! Entendez-vous ces mots : « Valeur, Talent, Patrie ? » Entendez-vous ce cri d’une éloquente voix : « Ses enfants sont ceux de la France ! » Ce cri, qui d’un seul cœur s’élance, Semble de tous les cœurs s’élever à la fois… Orateurs, répondez : jamais plus digne hommage Honora-t-il un père en sa postérité, Et jamais votre pauvreté Laissa-t-elle à vos fils un plus riche héritage ? Et vous aussi, guerriers, levez-vous : contemplez De nos vieux étendards les vengeurs mutilés ! Ces Romains qui suivaient vos pompes funéraires Par des exploits plus grands s’étaient-ils signalés Autour des faisceaux consulaires ? Les travaux, les hivers et l’ardeur des étés Avaient-ils sur leur, front mieux gravé leurs services, Et leurs pleurs en coulant se sont-ils arrêtés Dans de plus nobles cicatrices ? Non, guerriers, non, jamais, mânes victorieux, Jamais, fiers défenseurs des libertés publiques, Rome ne se couvrit, pour vos vertus antiques, D’un deuil plus unanime et plus religieux. Non, non, sur vos tombeaux, Rome, la vieille Rome, N’offrit pas dans sa gloire un spectacle plus grand Que ce concours sacré d’un peuple entier pleurant, Pleurant la perte d’un seul homme ! Reçois, ô mon pays, ce tribut mérité ! France, de quel orgueil mon cœur a palpité En l’adressant ces vers sous les ombrages sombres Qui couronnent le Célius, Au pied du Palatin, devant les grandes ombres Des Camille et des Tullius ! Et toi, qu’on vent flétrir, jeunesse ardente et pure, De guerriers, d’orateurs, toi, généreux essaim, Qui sens fermenter dans ton sein Les germes dévorants de ta gloire future, Penché sur le cercueil que tes bras ont porté, De ta reconnaissance offre l’exemple au monde : Honorer la vertu, c’est la rendre féconde, Et la vertu produit la liberté. Prépare son triomphe en lui restant fidèle. Des préjugés vieillis les autels sont usés ; Il faut un nouveau culte à cette ardeur nouvelle Dont les esprits sont embrasés. Vainement contre lui l’ignorance conspire. Que celle liberté qui règne par les lois Soit, la religion des peuples et des rois. Pour la mieux consacrer on devait la proscrire ; Sa palme, qui renaît, croît sous les coups mortels ; Elle eut son fanatisme, elle touche au martyre, Un jour elle aura ses autels. Le verrai-je, ce jour, où sans intolérance Son culte relevé protégera la France ? O champs de Pressagni, fleuve heureux, doux coteaux, Alors, peut-être, alors mon humble sépulture Se cachera sous les rameaux Où souvent, quand mes pas erraient à l’aventure, Mes vers inachevés ont mêlé leur murmure Au bruit de la rame et des eaux. Mais si le Temps m’épargne et si la Mort m’oublie, Mes mains, mes froides mains par de nouveaux concerts Sauront la rajeunir, cette lyre vieillie ; Dans mon cœur épuisé je trouverai des vers, Des sons dans ma voix affaiblie ; Et cette liberté, que je chantai toujours, Redemandant un hymne à ma veine glacée, Aura ma dernière pensée Comme elle eut mes premiers amours.

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    Casimir Delavigne

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    Les troyennes Aux bords du Simoïs, les Troyennes captives Ensemble rappelaient, par des hymnes pieux, De leurs félicités les heures fugitives, Et, le deuil sur le front, les larmes dans les yeux, Adressaient de leurs voix plaintives Aux restes d’Ilion ces éternels adieux : CHŒUR D’un peuple d’exilés déplorable patrie, Ton empire n’est plus, et ta gloire est flétrie. UNE TROYENNE Des rois voisins puissant recours, Que de fois Ilion s’arma pour leur défense ! D’un peuple heureux l’innombrable concours S’agitait dans les murs de cette ville immense : Ses tours bravaient des ans les progrès destructeurs, Et, fondés par les dieux, ses temples magnifiques Touchaient de leurs voûtes antiques Au séjour de leurs fondateurs. UNE TROYENNE Cinquante fils, l’honneur de Troie, Assis au banquet paternel, Environnaient Priam de splendeur et de joie ; Heureux père, il croyait son bonheur éternel ! UNE AUTRE Royal espoir de ta famille, Hector, tu prends le bouclier, Sur ton sein la cuirasse brille, Le fer couvre ton front guerrier. Aux yeux d’Hécube, qui frissonne, Dans les jeux obtiens la couronne, Pour en couvrir ses cheveux blancs ; Du ciel allumant la colère, Déjà le crime de ton frère T’apprête des jeux plus sanglants. UNE JEUNE FILLE Polyxène disait à ses jeunes compagnes : Dépouillez ce vallon favorisé des cieux ; C’est pour nous que les fleurs naissent dans ces campagnes ; Le printemps sourit à nos jeux. Elle ne disait pas : Vous plaindrez ma misère Sur ces bords où mes jours coulent dans les honneurs ; Elle ne disait pas : Mon sang teindra la terre Où je cueille aujourd’hui des fleurs. CHŒUR D’un peuple d’exilés déplorable patrie, Ton empire n’est plus, et ta gloire est flétrie. UNE TROYENNE Sous l’azur d’un beau ciel, qui promet d’heureux jours, Quel est ce passager dont la nef couronnée, Dans un calme profond, s’avance abandonnée Au souffle des Amours ? UNE AUTRE Il apporte dans nos murailles Le carnage et les funérailles. Neptune, au fond des mers que ton trident vengeur Ouvre une tombe à l’adultère ! Et vous, dieux de l’Olympe, ordonnez au tonnerre De dévorer le ravisseur. UNE TROYENNE Mais non, le clairon sonne et le fer étincelle ; Je vois tomber les rocs, j’entends siffler les dards ; Dans les champs dévastés le sang au loin ruisselle, Les chars sont heurtés par les chars. Achille s’élance, Il vole, tout fuit, L’horreur le devance, Le trépas le suit, La crainte et la honte Sont dans tous les yeux, Hector seul affronte Achille et les dieux. UNE AUTRE Sur les restes d’Hector qu’on épanche une eau pure. Apportez des parfums, faites fumer l’encens. Autour de son bûcher, vos sourds gémissements Forment un douloureux murmure ; Ah ! gémissez, Troyens ! soldats, baignez de pleurs Une cendre si chère !… Des fleurs ! vierges, semez des fleurs ! Hector dans le tombeau précède son vieux père. CHŒUR Des fleurs ! vierges, semez des fleurs ! Hector dans le tombeau précède son vieux père. UNE TROYENNE Ilion, Ilion, tu dors, et dans tes murs Pyrrhus veille enflammé d’une cruelle joie ; Tels que des loups errants par des sentiers obscurs, Les Grecs viennent saisir leur proie. UNE AUTRE Hélas ! demain à son retour Le soleil pour Argos ramènera le jour ; Mais il ne luira plus pour Troie. UNE TROYENNE 0 détestable nuit ! ô perfide sommeil ! D’où vient qu’autour de moi brille une clarté sombre ? Quels affreux hurlements se prolongent dans l’ombre ? Quel épouvantable réveil ! UNE JEUNE TROYENNE Sthénélus massacre mon frère. UNE JEUNE TROYENNE Ajax poursuit ma sœur dans les bras de ma mère. UNE AUTRE Ulysse foule aux pieds mon père. UNE TROYENNE Nos palais sont détruits, nos temples ravagés ; Femmes, enfants, vieillards, sous le fer tout succombe, Par un même trépas dans une même tombe Tous les citoyens sont plongés. UNE AUTRE Adieu, champs où fut Troie ; adieu, terre chérie, Et vous, mânes sacrés des héros et des rois, Doux sommets de l’Ida, beau ciel de la patrie, Adieu pour la dernière fois ! UNE TROYENNE Un jour, en parcourant la plage solitaire, Des forêts le tigre indompté Souillera de ses pas l’auguste sanctuaire, Séjour de la divinité. UNE TROYENNE Le pâtre de l’Ida, seul près d’un vieux portique, Sous les rameaux sanglants du laurier domestique, Où l’ombre de Priam semble gémir encor, Cherchera des cités l’antique souveraine, Tandis que le bélier bondira dans la plaine Sur le tombeau d’Hector. UNE AUTRE Et nous, tristes débris, battus par les tempêtes, La mer nous jettera sur quelque bord lointain. UNE AUTRE Des vainqueurs nous verrons les fêtes, Nous dresserons aux Grecs la table du festin. Leurs épouses riront de notre obéissance ; Et dans les coupes d’or où buvaient nos aïeux, Debout, nous verserons aux convives joyeux Le vin, l’ivresse et l’arrogance. UNE TROYENNE Chantez cette Ilion proscrite par les dieux ; Chantez, nous diront-ils, misérables captives, Et que l’hymne troyen retentisse en ces lieux. 0 fleuves d’Ilion, nous chantions sur vos rives, Quand des murs de Priam les nombreux citoyens, Enrichis dans la paix, triomphaient dans la guerre ; Mais les hymnes troyens Ne retentiront plus sur la rive étrangère ! UNE AUTRE Si tu veux entendre nos chants, Rends-nous, peuple cruel, nos époux et nos pères, Nos enfants et nos frères ! Fais sortir Ilion de ses débris fumants ! Mais puisque nul effort aujourd’hui ne peut rendre La splendeur à Pergame en cendre, La vie aux guerriers phrygiens, Sans cesse nous voulons pleurer notre misère, Et les hymnes troyens Ne retentiront pas sur la rive étrangère. CHŒUR Adieu, mânes sacrés des héros et des rois ! Adieu, terre chérie ! Doux sommet de l’Ida, beau ciel de la patrie, Vous entendez nos chants pour la dernière fois !

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    Casimir Delavigne

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    Parthénope et l’étrangère À M. Pouqueville O femme, que veux-tu ? – Parthénope, un asile. – Quel est ton crime ? – Aucun. – Qu’as-tu fait ? – Des ingrats. – Quels sont tes ennemis ? – Ceux qu’affranchit mon bras ; Hier on m’adorait, aujourd’hui l’on m’exile. – Comment dois-tu payer mon hospitalité ? – Par des périls d’un jour et des lois éternelles. – Qui t’osera poursuivre au sein de ma cité ? – Des rois. – Quand viendront-ils ? – Demain. – De quel côté ? – De tous… Eh bien ! Pour moi tes portes s’ouvrent-elles ? – Entre ; quel est ton nom ? – Je suis la Liberté ! Recevez-la, remparts antiques, Par elle autrefois habités ; Au rang de vos divinités Recevez-la, sacrés portiques ; Levez-vous, ombres héroïques, Faites cortége à ses côtés. Beau ciel napolitain, rayonne d’allégresse ; Ô terre, enfante des soldats ; Et vous, peuples, chantez ; peuples, c’est la déesse Pour qui mourut Léonidas. Sa tête a dédaigné des ornemens futiles : Les siens sont quelques fleurs qui semblent s’entr’ouvrir ; Le sang les fit éclore au pied des thermopyles : Deux mille ans n’ont pu les flétrir. Sa couronne immortelle exhale sur sa trace Je ne sais quel parfum dont s’enivre l’audace ; Sa voix terrible et douce a des accens vainqueurs, Qui ne trouvent point de rebelle ; Ses yeux d’un saint amour font palpiter les cœurs, Et la vertu seule est plus belle. Le peuple se demande, autour d’elle arrêté, Comment elle a des rois encouru la colère. « Hélas ! Répond cette noble étrangère, Je leur ai dit la vérité. Si jamais sous mon nom l’imprudence ou la haine Ébranla leur pouvoir, que je veux contenir, Est-ce à moi d’en porter la peine ? Est-ce aux Germains à m’en punir ? « Ont-ils donc oublié, ces vaincus de la veille, Ces esclaves d’hier, aujourd’hui vos tyrans, Que leurs cris de détresse ont frappé mon oreille, Qu’auprès d’Arminius j’ai marché dans leurs rangs ? Seule, j’ai rallié leurs peuplades tremblantes ; Et, de la Germanie armant les défenseurs, J’ai creusé de mes mains, dans ses neiges sanglantes, Un lit de mort aux oppresseurs. « Vengez-moi, justes dieux qui voyez mes outrages. Puisse le souvenir de mes bienfaits passés Poursuivre ces ingrats, par l’effroi dispersés ! Puissent les fils d’Odin errans sur les nuages, Le front chargé d’orages, La nuit leur apparaître à la lueur des feux ! Et puissent les débris des légions romaines, Dont j’ai blanchi leurs plaines, Se lever devant eux ! « Que dis-je ? Rome entière est-elle ensevelie Dans la poudre de leurs sillons ? Mon pied, frappant le sein de l’antique Italie, En fait jaillir des bataillons. Rome, ne sens-tu pas, au fond de tes entrailles, S’agiter les froids ossemens Des guerriers citoyens, que tant de funérailles Ont couchés sous tes monumens ? « Génois, brisez vos fers ; la mer impatiente De vous voir secouer un indigne repos, Se gonfle avec orgueil sous la forêt flottante Où vous arborez mes drapeaux. « Veuve des Médicis, renais, noble Florence ! Préfère à ton repos tes droits que je défends ; Préfère à l’esclavage, où dorment tes enfans, Ton orageuse indépendance. « Ô fille de Neptune, ô Venise, ô cité Belle comme Vénus, et qui sortis comme elle De l’écume des flots, surpris de ta beauté, Épouvante Albion d’une splendeur nouvelle. Doge, règne en mon nom ; sénat, reconnais-moi ; Réveille-toi, Zéno ; Pisani, lève-toi : C’est la liberté qui t’appelle. » Elle dit : à sa voix s’agite un peuple entier. Dans la fournaise ardente Je vois blanchir l’acier : J’entends le fer crier Sous la lime mordante ; L’enclume au loin gémit, l’airain sonne, un guerrier Prépare à ce signal sa lance menaçante, Un autre son coursier. Le père chargé d’ans, mais jeune encor d’audace, Arme son dernier fils, le devance et prend place Au milieu des soldats. Arrêté par sa sœur qui rit de sa colère, L’enfant dit à sa mère : Je veux mourir dans les combats. Que n’auraient-ils pas fait, ceux en qui la vaillance Avait la force pour appui ? Quel homme dans la fuite eût mis son espérance, Et quel homme aurait craint pour lui Cette mort que cherchaient la vieillesse et l’enfance ? Ils s’écrièrent tous d’une commune voix : « Assis sous ton laurier que nous courons défendre, Virgile, prends ta lyre et chante nos exploits ; Jamais un oppresseur ne foulera ta cendre. » Ils partirent alors ces peuples belliqueux, Et trente jours plus tard, oppresseur et tranquille, Le germain triomphant s’enivrait avec eux Au pied du laurier de Virgile. La Liberté fuyait en détournant les yeux, Quand Parthénope la rappelle. La déesse un moment s’arrête au haut des cieux ; « Tu m’as trahie ; adieu, dit-elle, Je pars. – Quoi ! Pour toujours ? – On m’attend. – Dans quel lieu ? – En Grèce. – On y suivra tes traces fugitives. – J’aurai des défenseurs. – Là, comme sur mes rives, On peut céder au nombre. – Oui, mais on meurt ; adieu ! »

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    Casimir Delavigne

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    Tyrtée aux Grecs « Le soleil a paru : sa clarté menaçante Du fer des boucliers jaillit en longs reflets. Les guerriers sont debout, immobiles, muets ; Ils pressent de leurs dents leur lèvre frémissante. Tous, pleins d’un vague effroi qu’ils ont peine à cacher, Attendent le péril, sans pouvoir le chercher. Moment d’un siècle ! Horrible attente ! Ah ! Quand donnera-t-on le signal de marcher ? Vieillard, garde ton rang… Mais il court, il s’écrie : « Le signal est donné de vaincre ou de mourir ; Ma vie est mon seul bien, je l’offre à la patrie : Liberté, je cours te l’offrir. » Opprobre à tout guerrier dans la vigueur de l’âge, Qui s’enfuit comme un lâche en spectacle au vainqueur, Tandis que ce vieillard prodigue avec courage Un reste de vieux sang qui réchauffait son cœur ! Sous les pieds des coursiers il se dresse, il présente Sa barbe blanchissante, L’intrépide pâleur de son front irrité ; Tombe, expire ; et le fer, qu’il voit sans épouvante, De sa bouche expirante Arrache avec son ame un cri de liberté. Liberté ! Liberté ! Viens, reçois sa grande ame ! Devance nos coursiers sur tes ailes de flamme ; Viens, liberté, marchons. Aux vautours dévorans Que nos corps, si tu veux, soient jetés en pâture : Il est cent fois plus doux de rester dans tes rangs, Vaincus, morts et sans sépulture, Que de vaincre pour les tyrans. Gloire à nous ! Gloire au courage ! Gloire à nos vaillans efforts ! A nous le champ du carnage ! A nous les restes des morts ! Rapportons dans nos murailles Ceux qu’aux glaives des batailles Le dieu Mars avait promis : Citoyens, voilà vos frères ! Ils ont pour lits funéraires Les drapeaux des ennemis. Survivre à sa victoire, ô douce et noble vie ! Mourir victorieux, ô mort digne d’envie ! Il rentre sans blessure, et non pas sans lauriers, L’heureux vengeur de nos dieux domestiques. Quels bras reconnaissans ont dressé ces portiques ? Que de fleurs sur ses pas ! Que d’emblèmes guerriers ! Le peuple, aux jeux publics où ce héros préside, Se lève devant son appui ; Le vieillard lui fait place, et la vierge timide Le montre à sa compagne en murmurant : c’est lui ! Il rentre le vainqueur, mais porté sur ses armes. Est-il pour son bûcher d’appareil assez beau ? Pour le pleurer est-il assez de larmes ? Est-il marbre assez pur pour orner son tombeau ? Ses exploits sont chantés, sa mémoire est chérie ; Il monte au rang des dieux qu’adore la patrie. Elle comble d’honneurs ses mânes triomphans, Et son père, et ses fils, et sa famille entière, Et les enfans de ses enfans Dans leur postérité dernière. » Debout, la lyre en main, à l’aspect des deux camps, Ainsi chantait le vieux Tyrtée. Pour la Grèce ressuscitée Que ne puis-je aujourd’hui ressusciter ses chants ! Je vous dirais, ô grecs, ressemblez à vos pères : Soyez libres comme eux, ou mourez en héros. Jadis vous combattiez vos frères, Et vous combattez vos bourreaux. Ils viennent ! Aux clartés dont la mer se colore J’ai reconnu leurs pavillons. Quel volcan a lancé ces épais tourbillons ? Dans l’ombre de la nuit quelle effroyable aurore ! … La dernière pour toi, que la flamme dévore, Chio, tu vois tomber tes pieux monumens. Ils tombent ces palais que l’art en vain décore ; Et de ces bois en fleurs, où de tendres sermens Hier retentissaient encore, Sortent de longs gémissemens. Ouvrez les yeux, ô grecs ! O grecs, prêtez l’oreille : Vous verrez le tombeau, vous entendrez les cris De tout un peuple qui s’éveille, Poursuivi par le fer, la foudre et les débris ; Vous verrez une plage horrible, inhabitée, Où, chassé par les feux vainqueurs de ses efforts, Le flot qui se recule en roulant sur des morts, Laisse une écume ensanglantée. Vengez vos frères massacrés, Vengez vos femmes expirantes ; Les loups se sont désaltérés Dans leurs entrailles palpitantes. Vengez-les, vengez-vous ! … Ténédos ! Ténédos ! Deux esquifs à ta voix ont sillonné les flots : Tels, vomis par ton sein sur la plaine azurée, S’avançaient ces serpens hideux, Se dressant, perçant l’air de leur langue acérée, De leurs anneaux mouvans fouettant l’onde autour d’eux, Quand la triste Ilion les vit sous ses murailles, À leur triple victime attachés tous les deux, La saisir, l’enlacer de leurs flexibles nœuds, L’emprisonner dans leurs écailles. Tels et plus terribles encor, Ces deux esquifs de front fendent les mers profondes. De vos rames battez les ondes, Allez, vers ce vaisseau cinglez d’un même essor. L’incendie a glissé sous la carène ardente ; Il se dresse à la poupe, il siffle autour des flancs ; De cordage en cordage il s’élance, il serpente, Enveloppe les mâts de ses replis brûlans ; De sa langue de feu, qui s’alonge à leur cime, Saisit leurs pavillons consumés dans les airs, Et, pour la dévorer, embrassant la victime Avec ses mâts rompus, ses ponts, ses flancs ouverts, Ses foudres, ses nochers engloutis par les mers, S’enfonce en grondant dans l’abîme. Ah ! Puisses-tu toujours triompher et punir ! Ce sont mes vœux, ô Grèce, et, devançant l’histoire, Jadis l’heureux Tyrtée eût prédit ta victoire. Alors c’était le temps cher à ton souvenir, Où les amans des filles de mémoire, Comme dans le passé lisaient dans l’avenir. Mais du jour qu’infidèle à ces vierges célestes, Leur hommage adultère a cherché les tyrans, Du jour qu’ils ont changé leurs parures modestes Contre quelques lambeaux de la pourpre des grands, Qu’ils ont d’un art divin profané les miracles, En illustrant le vice, en consacrant l’erreur, À leur bouche vénale Apollon en fureur A ravi le don des oracles. Condamne-toi, ma muse, à de stériles vœux : Mais refuse tes chants aux oppresseurs heureux. Que de la vérité tes vers soient les esclaves ; De ses chastes faveurs faisons nos seuls amours ; Sans orgueil préférons toujours Une pauvreté libre à de riches entraves ; Et si quelque mortel justement respecté Entend frémir pour lui les cordes de ma lyre, Ô ma muse ! Qu’il puisse dire : « S’il ne m’admirait pas, il ne m’eût pas chanté ! »

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    Casimir Delavigne

    Casimir Delavigne

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    Une semaine à Paris Aux Français Debout ! mânes sacrés de mes concitoyens ! Venez ; inspirez-les, ces vers où je vous chante. Debout, morts immortels, héroïques soutiens De la liberté triomphante ! Brûlant, désordonné, sans frein dans son essor, Comme un peuple en courroux qu’un même cri soulève, Que cet hymne vers vous s’élève De votre sang qui fume encor ! Quels sont donc les malheurs que ce jour nous apporte ? — Ceux que nous présageaient ses ministres et lui. — Quoi ! malgré ses serments ! — Il les rompt aujourd’hui… — Le ciel les a reçus.— Et le vent les emporte. — Mais les élus du peuple ?… — Il les a cassés tous. — Les lois qu’il doit défendre ? — Esclaves comme nous. — Et la pensée ? — Aux fers. — Et la liberté ? — Morte. — Quel était notre crime ? — En vain nous le cherchons. — Pour mettre en interdit la patrie opprimée, Son droit ? — C’est le pouvoir. — Sa raison ? — Une armée. — La nôtre est un peuple : marchons. Ils marchaient, ils couraient sans armes, Ils n’avaient pas encor frappé, On les tue ; ils criaient : Le monarque est trompé ! On les tue… ô fureur ! Pour du sang, quoi ! des larmes ! De vains cris pour du sang ! — Ils sont morts les premiers ; Vengeons-les, ou mourons. — Des armes ! — Où les prendre ? — Dans les mains de leurs meurtriers : A qui donne la mort c’est la mort qu’il faut rendre. Vengeance ! place au drapeau noir ! Passage, citoyens ! place aux débris funèbres Qui reçoivent dans les ténèbres Les serments de leur désespoir ! Porté par leurs bras nus, le cadavre s’avance. Vengeance ! tout un peuple a répété : Vengeance ! Restes inanimés, vous serez satisfaits. Le peuple vous l’a dit, et sa parole est sûre ; Ce n’est pas lui qui se parjure : Il a tenu quinze ans les serments qu’il a faits. Il s’est levé : le tocsin sonne ; Aux appels bruyants des tambours, Aux éclats de l’obus qui tonne, Vieillards, enfants, cité, faubourgs, Sous les haillons, sous l’épaulette, Armés, sans arme, unis, épars, Se roulent contre les remparts Que le fer de la baïonnette Leur oppose de toutes parts. Ils tombent ; mais dans cette ville, Où sur chaque pavé sanglant La mort enfante en immolant, Pour un qui tombe il en naît mille. Ouvrez, ouvrez encor les grilles de Saint-Cloud ! Vomissez des soldats pour nous livrer bataille. Le sabre est dans leurs mains ; dans leurs rangs, la mitraille, Mais de la Liberté l’arsenal est partout. Que nous importe, à nous, l’instrument qui nous venge ! Une foule intrépide agite en rugissant La scie aux dents d’acier, le levier, le croissant ; Sous sa main citoyenne en arme tout se change : Des foyers fastueux les marbres détachés, Les grès avec effort de la terre arrachés, Sont des boulets pour sa colère ; Et, soldats comme nous, nos femmes et nos sœurs Font pleuvoir sur les oppresseurs Cette mitraille populaire. Qu’ils aient l’ordre pour eux, le désordre est pour nous ! Désordre intelligent, qui seconde l’audace, Qui commande, obéit, marque à chacun sa place, Comme un seul nous fait agir tous, Et qui prouve à la tyrannie, En brisant son sceptre abhorré, Que par la patrie inspiré, Un peuple, comme un homme, a ses jours de génie. Quoi ! toujours sous le feu, si jeune, au premier rang ! Retenons ce martyr que trop d’ardeur enflamme. Il court, il va mourir… Relevons le mourant : O Liberté !… c’est une femme ! Quel est-il, ce guerrier suspendu dans les airs ? De son drapeau qu’il tient encore Il roule autour de lui le linceul tricolore, Et disparaît au milieu des éclairs. Viens recueillir sa dernière parole, Grande ombre de Napoléon ! C’est à toi de graver son nom Sur les piliers du nouveau pont d’Arcole. Ce soleil de juillet qu’enfin nous revoyons, Il a brillé sur la Bastille, Oui, le voilà, c’est lui ! La Liberté, sa fille, Vient de renaître à ses rayons. Luis pour nous, accomplis l’œuvre de délivrance ; Avance, mois sauveur, presse ta course, avance : Il faut trois jours à ces héros. Abrège au moins pour eux les nuits qui sont sans gloire ; Avance, ils n’auront de repos Que dans la tombe ou la victoire. Nuits lugubres ! tout meurt, lumière et mouvement. De cette obscurité muette et sépulcrale Quels bruits inattendus sortent par intervalle ? Le cliquetis du fer qui heurte pesamment Des débris entassés la barrière inégale ; Ces cris se répondant de moment en moment : Qui vive ? — Citoyens. — Garde à vous, sentinelles ! L’adieu de deux amis, dont un embrassement Vient de confondre encor les âmes fraternelles ; Les soupirs d’un blessé qui s’éteint lentement, Et sous l’arche plaintive un sourd frémissement, Quand l’onde, en tournoyant, vient refermer la tombe D’un cadavre qui tombe… Au Louvre, amis ; voici le jour ! Battez la charge ! Au Louvre ! Au Louvre ! Balayé par le plomb qui se croise et les couvre, Chacun, pour mourir à son tour, Vient remplir le rang qui s’entr’ouvre. Le bataillon grossit sous ce feu dévorant. Son chef dans la poussière en vain roule expirant, Il saisit la victime, il l’enlève, il l’emporte, Il s’élance, il triomphe, il entre… Quel tableau ! Dieu juste ! la voilà victorieuse et morte, Sur le trône de son bourreau ! Allez, volez, tombez dans la Seine écumante, D’un pouvoir parricide emblèmes abolis. Allez, chiffres brisés ; allez, pourpre fumante ; Allez, drapeaux déchus, que le meurtre a salis ! Dépouilles des vaincus, par le fleuve entraînées, Dépouilles des martyrs que je pleure aujourd’hui, Allez, et sur les flots, à Saint-Cloud, portez-lui Le bulletin des trois journées ! Victoire ! embrassons-nous. — Tu vis ! — Je te revoi ! — Le fer de l’étranger m’épargna comme toi. — Quel triomphe ! en trois jours. —Honneur à ton courage ! — Gloire au tien ! — C’est ton nom qu’on cite le premier. — N’en citons qu’un. — Lequel ? — Celui du peuple entier. Hier qu’il était brave ! aujourd’hui qu’il est sage ! — Du trépas, en mourant, un d’eux m’a préservé. — Mais ton sang coule encor.—Ma blessure est légère. — Et ton frère ? — Il n’est plus. — L’assassin de ton frère, Tu l’as puni ? — Je l’ai sauvé. Ah ! qu’on respire avec délices, Et qu’il est enivrant, l’air de la liberté ! Comment regarder sans fierté Ces murs couverts de cicatrices, Ces drapeaux qu’à l’exil redemandaient nos pleurs, Et dont nous revoyons les glorieux symboles Voltiger, s’enlacer, courber leurs trois couleurs Sur ces nobles enfants, l’orgueil de nos écoles ! Des fleurs à pleines mains, des fleurs pour ces guerriers ! Jetez-leur au hasard des couronnes civiques : Ils ne tomberont, vos lauriers, Que sur des têtes héroïques. Mais lui, que sans l’abattre ont jadis éprouvé Le despotisme et la licence, Que la vieillesse a retrouvé Ce qu’il fut dans l’adolescence, Entourons-le d’amour ! Français, Américains, De baisers et de pleurs couvrons ses vieilles mains ! La popularité, si souvent infidèle, Est fille de la terre et meurt en peu d’instants : La sienne, plus jeune et plus belle, A traversé les mers, a triomphé du temps : C’était à la vertu d’en faire une immortelle. O toi, roi citoyen, qu’il presse dans ses bras Aux cris d’un peuple entier dont les transports sont juste Tu fus mon bienfaiteur, je ne te louerai pas : Les poètes des rois sont leurs actes augustes. Que ton règne te chante, et qu’on dise après nous : Monarque, il fut sacré par la raison publique ; Sa force fut la loi ; l’honneur, sa politique ; Son droit divin, l’amour de tous. Pour toi, peuple affranchi, dont le bonheur commence, Tu peux croiser tes bras après ton œuvre immense ; Purs de tous les excès, huit jours l’ont enfanté, ils ont conquis les lois, chassé la tyrannie, Et couronné la Liberté : Peuple, repose-toi ; ta semaine est finie !

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