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Malheur

151 poésies en cours de vérification
Malheur

Poésies de la collection malheur

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Bénédiction Lorsque, par un décret des puissances suprêmes, Le Poète apparaît en ce monde ennuyé, Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié : –  » Ah ! Que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères, Plutôt que de nourrir cette dérision ! Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères Où mon ventre a conçu mon expiation ! Puisque tu m’as choisie entre toutes les femmes Pour être le dégoût de mon triste mari, Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes, Comme un billet d’amour, ce monstre rabougri, Je ferai rejaillir ta haine qui m’accable Sur l’instrument maudit de tes méchancetés, Et je tordrai si bien cet arbre misérable, Qu’il ne pourra pousser ses boutons empestés !  » Elle ravale ainsi l’écume de sa haine, Et, ne comprenant pas les dessins éternels, Elle-même prépare au fond de la Géhenne Les buchers consacrés aux crimes maternels. Pourtant, sous la tutelle invisible d’un Ange, L’Enfant déshérité s’enivre de soleil, Et dans tout ce qu’il boit et dans tout ce qu’il mange Retrouve l’ambroisie et le nectar vermeil. Il joue avec le vent, cause avec le nuage, Et s’enivre en chantant du chemin de la croix; Et l’esprit qui le suit dans son pèlerinage Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois. Tous ceux qu’il veut aimer l’observent avec crainte, Ou bien, s’enhardissant de sa tranquillité, Cherchent à qui saura lui tirer une plainte, Et font sur lui l’essai de leur férocité. Dans le pain et le vin destinés à sa bouche Ils mêlent de la cendre avec d’impurs crachats; Avec hypocrisie ils jettent ce qu’il touche, Et s’accusent d’avoir mis leurs pieds dans ses pas. Sa femme va criant sur les places publiques :  » Puisqu’il me trouve assez belle pour m’adorer, Je ferai le métier des idoles antiques, Et comme elles je veux me faire redorer; Et je me soûlerai de nard, d’encens, de myrrhe, De génuflexions, de viandes et de vins, Pour savoir si je puis dans un cœur qui m’admire Usurper en riant les hommages divins ! Et, quand je m’ennuierai de ces farces impies, Je poserai sur lui ma frêle et forte main; Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies, Sauront jusqu’à son cœur se frayer un chemin. Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite, J’arracherai ce cœur tout rouge de son sein, Et, pour rassasier ma bête favorite, Je le lui jetterai par terre avec dédain !  » Vers le Ciel, où son œil voit un trône splendide, Le Poète serein lève ses bras pieux, Et les vaste éclairs de son esprit lucide Lui dérobent l’aspect des peuples furieux :  » Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance Comme un divin remède à nos impuretés Et comme la meilleure et la plus pure essence Qui prépare les forts aux saintes voluptés ! Je sais que vous gardez une place au Poète Dans les rangs bienheureux des saintes Légions, Et que vous l’invitez à l’éternelle fête Des Trônes, des vertus, des Dominations. Je sais que la douleur est la noblesse unique Où ne mordront jamais la terre et les enfers, Et qu’il faut pour tresser ma couronne mystique Imposer tous les temps et tous les univers. Mais les bijoux perdus de l’antique Palmyre, Les métaux inconnus, les perles de la mer, Par votre main montés, ne pourraient pas suffire A ce beau diadème éblouissant et clair; Car il ne sera fait que de pure lumière, Puisée au foyer saint des rayons primitifs, Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière, ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs !  »

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Bacchante J’aime invinciblement. J’aime implacablement. Je sais qu’il est des coeurs de neige et de rosée ; Moi, l’amour sous son pied me tient nue et brisée ; Et je porte mes sens comme un mal infamant. Ma bouche est détendue, et mes hanches sont mûres ; Mes seins un peu tombants ont la lourdeur d’un fruit ; Comme l’impur miroir d’un restaurant de nuit, Mon corps est tout rayé d’ardentes meurtrissures. Telle et plus âpre ainsi, je dompte le troupeau. Les reins cambrés, je vais plus que jamais puissante ; Car je n’ai qu’à pencher ma nuque pour qu’on sente L’odeur de tout l’amour incrusté dans ma peau. Mon coeur aride est plein de cendre et de pierrailles ; Quand je rencontre un homme où ma chair sent un roi, Je frissonne, et son seul regard posé sur moi Ainsi qu’un grand éclair descend dans mes entrailles. Prince ou rustre, qu’importe, il sera dans mes bras. Simplement – car je hais les grâces puériles – Je collerai ma bouche à ses dents, et, fébriles, Mes mains l’entraîneront vers mon lit large et bas. La flamme, ouragan d’or, passe, et, toute, je brûle. Après, mon coeur n’est plus qu’un lambeau calciné ; Et du plus fol amour et du plus effréné Je m’éveille en stupeur comme une somnambule. Tout est fini ; sanglots, menaces, désespoirs, Rien n’émeut mes grands yeux cernés de larges bistres Oh ! Qui dira jamais quels cadavres sinistres Gisent sans sépulture au fond de mes yeux noirs ! … Vraiment, je suis l’amante, et n’ai point d’autre rôle. Dans mon coeur tout est mort, quand le temps est passé. Ma passion d’hier ? … c’est comme un fruit pressé Dont on jette la peau par-dessus son épaule. Mon désir dans les coeurs entre comme un couteau ; Et parmi mes amants je ne connais personne Qui, sur ma couche en feu, devant moi ne frissonne Comme devant la porte ouverte du tombeau. Je veux les longs transports où la chair épuisée S’abîme, et ressuscite, et meurt éperdument. C’est de tant de baisers, aigus jusqu’au tourment, Que je suis à jamais pâle et martyrisée. Je sais trop combien vaine est la rébellion. Raison, pudeur, qui donc entrerait en balance ? Quand mes sens ont parlé, tout en moi fait silence, Comme au désert la nuit quand gronde le lion. Oh ! Ce rêve tragique en moi toujours vivace, Que l’amour et la mort, vieux couple fraternel, Sur mon corps disputé, quelque soir solennel, Comme deux carnassiers, s’abordent face à face ! … Qu’importe j’irai ferme au destin qui m’attend. Sous les lustres en feu, dans la salle écarlate, Que mon parfum s’allume, et que mon rire éclate, Et que mes yeux tout nus s’offrent ! … Des soirs, pourtant Je tords mes pauvres bras sur ma couche de braise. Triste et repue enfin, j’écoute avec stupeur L’heure tomber au vide effrayant de mon coeur ; Et mon harnais de bête amoureuse me pèse. Mes sens dorment d’un air de félins au repos… Mais leur calme sournois couve déjà l’émeute. Déjà, déjà, j’entends les abois de la meute, Et je bondis avec mes cheveux sur mon dos ! Oh ! Fuir sans arrêter pour boire aux sources fraîches, Pour regarder le ciel comme un petit enfant… Le ciel ! … l’archer est là souriant, triomphant ; Et, folle, sous la pluie innombrable des flèches, Je tombe, en blasphémant la justice des dieux ! Aveugle et sourde, hélas ! Trône la destinée. Et mon âme au plaisir féroce condamnée Pleure, et pour ne point voir met ses mains sur ses yeux. Mais écoutez… voici la flûte et les cymbales ! Les torches dans la nuit jettent des feux sanglants ; Ce soir, les vents du sud ont embrasé mes flancs, Et, dans l’ombre, j’entends galoper les cavales… Malheur à celui-là qui passe en ce moment ! Demi-nue, et penchée hors de ma porte noire, Je l’appelle comme un mourant demande à boire… Il vient ! Malheur à lui ! Malheur à mon amant ! J’aime invinciblement ! J’aime implacablement !

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    À Ninon Si je vous le disais pourtant, que je vous aime, Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ? L’amour, vous le savez, cause une peine extrême ; C’est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ; Peut-être cependant que vous m’en puniriez. Si je vous le disais, que six mois de silence Cachent de longs tourments et des voeux insensés : Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance Se plaît, comme une fée, à deviner d’avance ; Vous me répondriez peut-être : Je le sais. Si je vous le disais, qu’une douce folie A fait de moi votre ombre, et m’attache à vos pas : Un petit air de doute et de mélancolie, Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ; Peut-être diriez-vous que vous n’y croyez pas. Si je vous le disais, que j’emporte dans l’âme Jusques aux moindres mots de nos propos du soir : Un regard offensé, vous le savez, madame, Change deux yeux d’azur en deux éclairs de flamme ; Vous me défendriez peut-être de vous voir. Si je vous le disais, que chaque nuit je veille, Que chaque jour je pleure et je prie à genoux ; Ninon, quand vous riez, vous savez qu’une abeille Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ; Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous. Mais vous ne saurez rien. – Je viens, sans rien en dire, M’asseoir sous votre lampe et causer avec vous ; Votre voix, je l’entends ; votre air, je le respire ; Et vous pouvez douter, deviner et sourire, Vos yeux ne verront pas de quoi m’être moins doux. Je récolte en secret des fleurs mystérieuses : Le soir, derrière vous, j’écoute au piano Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses, Et, dans les tourbillons de nos valses joyeuses, Je vous sens, dans mes bras, plier comme un roseau. La nuit, quand de si loin le monde nous sépare, Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous, De mille souvenirs en jaloux je m’empare ; Et là, seul devant Dieu, plein d’une joie avare, J’ouvre, comme un trésor, mon cœur tout plein de vous. J’aime, et je sais répondre avec indifférence ; J’aime, et rien ne le dit ; j’aime, et seul je le sais ; Et mon secret m’est cher, et chère ma souffrance ; Et j’ai fait le serment d’aimer sans espérance, Mais non pas sans bonheur ; – je vous vois, c’est assez. Non, je n’étais pas né pour ce bonheur suprême, De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds. Tout me le prouve, hélas ! jusqu’à ma douleur même… Si je vous le disais pourtant, que je vous aime, Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    Le malheur Suivi du Suicide impie, A travers les pâles cités, Le Malheur rôde, il nous épie, Prés de nos seuils épouvantés. Alors il demande sa proie ; La jeunesse, au sein de la joie, L’entend, soupire et se flétrit ; Comme au temps où la feuille tombe, Le vieillard descend dans la tombe, Privé du feu qui le nourrit. Où fuir ? Sur le seuil de ma porte Le Malheur, un jour, s’est assis ; Et depuis ce jour je l’emporte A travers mes jours obscurcis. Au soleil et dans les ténèbres, En tous lieux ses ailes funèbres Me couvrent comme un noir manteau ; De mes douleurs ses bras avides M’enlacent ; et ses mains livides Sur mon coeur tiennent le couteau. J’ai jeté ma vie aux délices, Je souris à la volupté ; Et les insensés, mes complices Admirent ma félicité. Moi-même, crédule à ma joie, J’enivre mon coeur, je me noie Aux torrents d’un riant orgueil ; Mais le Malheur devant ma face A passé : le rire s’efface, Et mon front a repris son deuil. En vain je redemande aux fêtes Leurs premiers éblouissements, De mon coeur les molles défaites Et les vagues enchantements : Le spectre se mêle à la danse ; Retombant avec la cadence, Il tache le sol de ses pleurs, Et de mes yeux trompant l’attente, Passe sa tête dégoûtante Parmi des fronts ornés de fleurs. Il me parle dans le silence, Et mes nuits entendent sa voix ; Dans les arbres il se balance Quand je cherche la paix des bois. Près de mon oreille il soupire; On dirait qu’un mortel expire : Mon coeur se serre épouvanté. Vers les astres mon oeil se lève, Mais il y voit pendre le glaive De l’antique fatalité. Sur mes mains ma tête penchée Croit trouver l’innocent sommeil. Mais, hélas ! elle m’est cachée, Sa fleur au calice vermeil. Pour toujours elle m’est ravie, La douce absence de la vie ; Ce bain qui rafraîchit les jours ; Cette mort de l’âme affligée, Chaque nuit à tous partagée, Le sommeil m’a fui pour toujours Ah ! puisqu’une éternelle veille Brûle mes yeux toujours ouverts, Viens, ô Gloire ! ai-je dit ; réveille Ma sombre vie au bruit des vers. Fais qu’au moins mon pied périssable Laisse une empreinte sur le sable. La Gloire a dit : « Fils de douleur, « Où veux-tu que je te conduise ? « Tremble ; si je t’immortalise, « J’immortalise le Malheur. » Malheur ! oh ! quel jour favorable De ta rage sera vainqueur ? Quelle main forte et secourable Pourra t’arracher de mon coeur, Et dans cette fournaise ardente, Pour moi noblement imprudente, N’hésitant pas à se plonger, Osera chercher dans la flamme, Avec force y saisir mon âme, Et l’emporter loin du danger ?

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    Alfred Jarry

    Alfred Jarry

    @alfredJarry

    Bardes et cordes Le roi mort, les vingt et un coups de la bombarde Tonnent, signal de deuil, place de la Concorde. Silence, joyeux luth, et viole et guimbarde : Tendons sur le cercueil la plus macabre corde Pour accompagner l’hymne éructé par le barde : Le ciel veut l’oraison funèbre pour exorde. L’encens vainc le fumet des ortolans que barde La maritorne, enfant butorde non moins qu’orde. Aux barrières du Louvre elle dormait, la garde : Les palais sont de grands ports où la nuit aborde ; Corse, kamoulcke, kurde, iroquoise et lombarde Le catafalque est ceint de la jobarde horde. Sa veille n’eût point fait camuse la camarde : Il faut qu’un rictus torde et qu’une bouche morde. La lame ou la dent tranche autant que le plomb arde : Poudre aux moineaux, canons place de la Concorde. Arme blême, le dail ne craint point l’espingarde : Tonne, signal de deuil ; vibre, macabre corde. Les Suisses du pavé heurtent la hallebarde : Seigneur, prends le défunt en ta miséricorde.

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    Alfred Jarry

    Alfred Jarry

    @alfredJarry

    Misère de l’homme L’homme est seul, l’homme est faible. Il doit, pour se nourrir, Asservissant le sol aux moissons réfractaire, Diriger la charrue et cultiver la terre, Sinon, le pain lui manque, et l’homme doit mourir. Il ensemence un champ, et le blé salutaire Germe dans les sillons qu’il commence à couvrir. Mais le soleil ardent fane et fait se flétrir Chaque épi mûrissant, qui se courbe et s’altère. Ou la grêle s’abat et fauche la moisson ; Ou la gelée arrive, et suspend un glaçon A chaque grain de blé qui tremble au bout du chaume. Tout est perdu, tout est anéanti. Mais l’homme, S’il ne meurt de la faim, trouve la mort auprès Des fauves monstrueux qui hantent les forêts.

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    Alphonse Allais

    Alphonse Allais

    @alphonseAllais

    Le châtiment de la cuisson infligé aux imposteurs Chaque fois que les gens découvrent son mensonge, Le châtiment lui vient, par la colère accru. « Je suis cuit, je suis cuit ! » gémit-il comme en songe. Le menteur n’est jamais cru.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Le désespoir Lorsque du Créateur la parole féconde, Dans une heure fatale, eut enfanté le monde Des germes du chaos, De son oeuvre imparfaite il détourna sa face, Et d’un pied dédaigneux le lançant dans l’espace, Rentra dans son repos. Va, dit-il, je te livre à ta propre misère ; Trop indigne à mes yeux d’amour ou de colère, Tu n’es rien devant moi. Roule au gré du hasard dans les déserts du vide ; Qu’à jamais loin de moi le destin soit ton guide, Et le Malheur ton roi. Il dit. Comme un vautour qui plonge sur sa proie, Le Malheur, à ces mots, pousse, en signe de joie, Un long gémissement ; Et pressant l’univers dans sa serre cruelle, Embrasse pour jamais de sa rage éternelle L’éternel aliment. Le mal dès lors régna dans son immense empire ; Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire Commença de souffrir ; Et la terre, et le ciel, et l’âme, et la matière, Tout gémit : et la voix de la nature entière Ne fut qu’un long soupir. Levez donc vos regards vers les célestes plaines, Cherchez Dieu dans son oeuvre, invoquez dans vos peines Ce grand consolateur, Malheureux ! sa bonté de son oeuvre est absente, Vous cherchez votre appui ? l’univers vous présente Votre persécuteur. De quel nom te nommer, ô fatale puissance ? Qu’on t’appelle destin, nature, providence, Inconcevable loi ! Qu’on tremble sous ta main, ou bien qu’on la blasphème, Soumis ou révolté, qu’on te craigne ou qu’on t’aime, Toujours, c’est toujours toi ! Hélas ! ainsi que vous j’invoquai l’espérance ; Mon esprit abusé but avec complaisance Son philtre empoisonneur ; C’est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes, De festons et de fleurs couronne les victimes Qu’elle livre au Malheur. Si du moins au hasard il décimait les hommes, Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes Avec d’égales lois ? Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes, La beauté, le génie, ou les vertus sublimes, Victimes de son choix. Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices Des troupeaux innocents les sanglantes prémices, Dans leurs temples cruels, De cent taureaux choisis on formait l’hécatombe, Et l’agneau sans souillure, ou la blanche colombe Engraissaient leurs autels. Créateur, Tout-Puissant, principe de tout être ! Toi pour qui le possible existe avant de naître : Roi de l’immensité, Tu pouvais cependant, au gré de ton envie, Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie Dans ton éternité ? Sans t’épuiser jamais, sur toute la nature Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure Un bonheur absolu. L’espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte. Ah! ma raison frémit ; tu le pouvais sans doute, Tu ne l’as pas voulu. Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ? L’insensible néant t’a-t-il demandé l’être, Ou l’a-t-il accepté ? Sommes-nous, ô hasard, l’oeuvre de tes caprices ? Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices Pour ta félicité ? Montez donc vers le ciel, montez, encens qu’il aime, Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème, Plaisirs, concerts divins ! Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles, Montez, allez frapper les voûtes insensibles Du palais des destins ! Terre, élève ta voix; cieux, répondez ; abîmes, Noirs séjours où la mort entasse ses victimes, Ne formez qu’un soupir. Qu’une plainte éternelle accuse la nature, Et que la douleur donne à toute créature Une voix pour gémir. Du jour où la nature, au néant arrachée, S’échappa de tes mains comme une oeuvre ébauchée, Qu’as-tu vu cependant ? Aux désordres du mal la matière asservie, Toute chair gémissant, hélas! et toute vie Jalouse du néant. Des éléments rivaux les luttes intestines ; Le Temps, qui flétrit tout, assis sur les ruines Qu’entassèrent ses mains, Attendant sur le seuil tes oeuvres éphémères ; Et la mort étouffant, dès le sein de leurs mères, Les germes des humains ! La vertu succombant sous l’audace impunie, L’imposture en honneur, la vérité bannie ; L’errante liberté Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice ; Et la force, partout, fondant de l’injustice Le règne illimité. La valeur sans les dieux décidant des batailles ! Un Caton libre encor déchirant ses entrailles Sur la foi de Platon ! Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu’il aime, Doute au dernier moment de cette vertu même, Et dit : Tu n’es qu’un nom !… La fortune toujours du parti des grands crimes ! Les forfaits couronnés devenus légitimes ! La gloire au prix du sang ! Les enfants héritant l’iniquité des pères ! Et le siècle qui meurt racontant ses misères Au siècle renaissant ! Eh quoi ! tant de tourments, de forfaits, de supplices, N’ont-ils pas fait fumer d’assez de sacrifices Tes lugubres autels ? Ce soleil, vieux témoin des malheurs de la terre, Ne fera-t-il pas naître un seul jour qui n’éclaire L’angoisse des mortels ? Héritiers des douleurs, victimes de la vie, Non, non, n’espérez pas que sa rage assouvie Endorme le Malheur ! Jusqu’à ce que la Mort, ouvrant son aile immense, Engloutisse à jamais dans l’éternel silence L’éternelle douleur !

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    A

    Amable Tastu

    @amableTastu

    La barque Mon œil rêveur suit la barque lointaine Qui vient à moi, faible jouet des flots ; J’aime à la voir déposer sur l’arène D’adroits pécheurs, de joyeux matelots. Mais à ma voix, nulle voix qui réponde ! La barque est vide, et je n’ose approcher. Nacelle vagabonde, A la merci de l’onde, Pourquoi voguer sans rame et sans nocher ? La mer paisible et le ciel sans nuage Sont embellis des feux du jour naissant ; Mais dans la nuit grondait un noir orage ; L’air était sombre et le flot menaçant !… Quand l’espérance, en promesses féconde, Ouvrit l’anneau qui t’enchaîne au rocher, Nacelle vagabonde, A la merci de l’onde, Pourquoi voguer sans rame et sans nocher ? Oui, ton retour cache un triste mystère ! D’un poids secret il oppresse mon cœur. Sur cette plage, errante et solitaire, J’ai vu pleurer la femme du pêcheur ! Es-tu l’objet de sa douleur profonde ? Ses longs regards allaient-ils te chercher ? Nacelle vagabonde, A la merci de l’onde, Pourquoi voguer sans rame et sans nocher ?

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Hercule Oeta, mont ennobli par cette nuit ardente, Quand l’infidèle époux d’une épouse imprudente Reçut de son amour un présent trop jaloux, Victime du centaure immolé par ses coups. Il brise tes forêts : ta cime épaisse et sombre En un bûcher immense amoncelle sans nombre Les sapins résineux que son bras a ployés. Il y porte la flamme ; il monte, sous ses pieds Étend du vieux lion la dépouille héroïque, Et l’oeil au ciel, la main sur la massue antique Attend sa récompense et l’heure d’être un dieu. Le vent souffle et mugit. Le bûcher tout en feu Brille autour du héros, et la flamme rapide Porte aux palais divins l’âme du grand Alcide !

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    La jeune tarentine Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez. Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine. Un vaisseau la portait aux bords de Camarine. Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement, Devaient la reconduire au seuil de son amant. Une clef vigilante a pour cette journée Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée Et l'or dont au festin ses bras seraient parés Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés. Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles, Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles L'enveloppe. Étonnée, et loin des matelots, Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots. Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine. Son beau corps a roulé sous la vague marine. Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher Aux monstres dévorants eut soin de le cacher. Par ses ordres bientôt les belles Néréides L'élèvent au-dessus des demeures humides, Le portent au rivage, et dans ce monument L'ont, au cap du Zéphir, déposé mollement. Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes, Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes, Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil, Répétèrent : « Hélas ! » autour de son cercueil. Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée. Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée. L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds. Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Le mendiant C’était quand le printemps a reverdi les prés. La fille de Lycus, vierge aux cheveux dorés, Sous les monts Achéens, non loin de Crénée, ……………….. ……………….. Errait à l’ombre, aux bords du faible et pur Crathis ; Car les eaux du Crathis, sous des berceaux de frêne, Entouraient de Lycus le fertile domaine. …….. Soudain, à l’autre bord, Du fond d’un bois épais, un noir fantôme sort Tout pâle, demi-nu, la barbe hérissée Il remuait à peine une lèvre glacée ; Des hommes et, des dieux implorait le secours, Et dans la forêt sombre errait depuis deux jours. Il se traîne, il n’attend qu’une mort douloureuse ; Il succombe. L’enfant, interdite et peureuse À ce hideux aspect sorti du fond du bois, Veut fuir ; mais elle entend sa lamentable voix. Il tend les bras, il tombe à genoux ; il lui crie Qu’au nom de tous les dieux il la conjure, il prie, Et qu’il n’est point à craindre, et qu’une ardente faim L’aiguillonne et le tue, et qu’il expire enfin. « Si, comme je le crois, belle dès ton enfance, » C’est le dieu de ces eaux qui t’a donné naissance, » Nymphe, souvent les vœux des malheureux humains » Ouvrent des immortels les bienfaisantes mains. » Ou si c’est quelque front porteur d’une couronne » Qui te nomme sa fille et te destine au trône, » Souviens-toi, jeune enfant, que le ciel quelquefois » Venge les opprimés sur la tête des rois. » Belle vierge, sans doute enfant d’une déesse, » Crains de laisser périr l’étranger en détresse ; » L’étranger qui supplie est envoyé des dieux. » Elle reste. À le voir elle enhardit ses yeux ; ……..et d’une voix encore Tremblante : « Ami, le ciel écoute qui l’implore ; » Mais ce soir, quand la nuit descend sur l’horison, » Passe le pont mobile, entre dans la maison ; » J’aurai soin qu’on te laisse entrer sans méfiance. » Pour la dixième fois célébrant ma naissance, » Mon père doit donner une fête aujourd’hui. » Il m’aime ; il n’a que moi ; viens t’adresser à lui. » C’est le riche Lycus. Viens ce soir ; il est tendre, » Il est humain : il pleure aux pleurs qu’il voit répandre. » Elle dit, et s’arrête, et le cœur palpitant, S’enfuit ; car l’étranger, sur elle en l’écoutant, Fixait de ses yeux creux l’attention avide. Elle rentre, cherchant dans le palais splendide L’esclave près de qui toujours ses jeunes ans Trouvent un doux accueil et des soins complaisans. Cette sage affranchie avait nourri sa mère ; Maintenant sous des lois de vigilance austère, Elle et son vieil époux, au devoir rigoureux, Rangent des serviteurs le cortége nombreux. Elle la voit de loin dans le fond du portique, Court, et posant ses mains sur ce visage antique : « Indulgente nourrice, écoute ; il faut de toi » Que j’obienne un grand bien. Ma mère, écoute-moi : » Un pauvre, un étranger, dans la misère extrême, » Gémit sur l’autre bord, mourant, affamé, blême… » Ne me décèle point. De mon père aujourd’hui » J’ai promis qu’il pourrait solliciter l’appui. » Fais qu’il entre ; et surtout, ô mère de ma mère ! » Garde que nul mortel n’insulte à sa misère. » Oui, ma fille ; chacun fera ce que tu veux, » Dit l’esclave en baisant son front et ses cheveux ; » Oui ; qu’à ton protégé ta fête soit ouverte. » Ta mère, mon élève, (inestimable perte !) » Aimait à soulager les faibles abattus. » Tu lui ressembleras autant par tes vertus » Que par tes yeux si doux, et tes graces naïves. » Mais, cependant la nuit assemble les convives En habits somptueux, d’essences parfumés, Ils entrent. Aux lambris d’ivoire et d’or semés, Pend le lin d’Ionie en brillantes courtines ; Le toit s’égaie et rit de mille odeurs divines. La table au loin circule, et d’apprêts savoureux Se charge. L’encens vole en longs flots vaporeux ; Sur leurs bases d’argent, des formes animées Élèvent dans leurs mains des torches enflammées ; Les figures, l’onyx, le cristal, les métaux En vases hérissés d’hommes ou d’animaux, Partout sur les buffets, sur la table étincèlent ; Plus d’une lyre est prête ; et partout s’amoncèlent Et les rameaux de myrte et les bouquets de fleurs. On s’étend sur les lits teints de mille couleurs ; Près de Lycus, sa fille idole de la fête, Est admise. La rose a couronné sa tête. Mais pour que la décence impose un juste frein, Lui-même est par eux tous élu Roi du festin. ; Et déjà vins, chansons, joie, entretiens sans nombre. Lorsque la double porte ouverte, un spectre sombre Entre ; cherchant des yeux l’autel hospitalier. La jeune enfant rougit. Il court vers le foyer ; Il embrasse l’autel, s’assied parmi la cendre ; Et tous, l’œil étonné, se taisent pour l’entendre. « Lycus, fils d’Evénon, que les dieux et le temps » N’osent jamais troubler tes destins éclatans. » Ta pourpre, tes trésors, ton front noble et tranquille » Semblent d’un roi puissant l’idole de sa ville. » À ton riche banquet un peuple convié, » T’honore comme un dieu de l’Olympe envoyé. » Regarde un étranger qui meurt dans la poussière » Si tu ne tends vers lui ta main hospitalière. » Inconnu, j’ai franchi le seuil de ton palais : » Trop de pudeur peut nuire à qui vit de bienfaits. » Lycus, par Jupiter, par ta fille innocente » Qui m’a seule indiqué ta porte bienfaisante ! » Je fus riche, autrefois : mon banquet opulent » N’a jamais repoussé l’étranger suppliant. » Et pourtant aujourd’hui la faim est mon partage, » La faim qui flétrit l’aine autant que le visage, » Par qui l’homme souvent importun, odieux, » Est contraint de rougir et de baisser les yeux. » — Étranger, tu dis vrai, le hasard téméraire » Des bons ou des méchans fait le destin prospère. » Mais sois mon hôte. Ici l’on hait plus que l’enfer » Le public ennemi, le riche au cœur de fer, » Enfant de Némésis, dont le dédain barbare » Aux besoins des mortels ferme son cœur avare. » Je rends grâce à l’enfant qui t’a conduit ici. » Ma fille, c’est bien fait ; poursuis toujours ainsi. » Respecter l’indigence est un devoir suprême. » Souvent les immortels (et Jupiter lui-même) » Sous des haillons poudreux, de seuil en seuil traînés, » Viennent tenter le cœur des humains fortunés. » D’accueil et de faveur un murmure s’élève. Lycus descend, accourt, tend la main, le relève : « Salut, père étranger ; et que puissent tes vœux » Trouver le ciel propice à tout ce que tu veux. » Mon hôte, lève-toi. Tu parais noble et sage ; » Mais cesse avec ta main de cacher ton visage. » Souvent marchent ensemble indigence et vertu ; » Souvent d’un vil manteau le sage revêtu, » Seul, vit avec les dieux et brave un sort inique. » Couvert de chauds tissus, à l’ombre du portique, » Sur de molles toisons, en un calme sommeil, » Tu peux, ici dans l’ombre, attendre le soleil. » Je te ferai revoir tes foyers, ta patrie, » Tes parens, si les dieux ont épargné leur vie. » Car tout mortel errant nourrit un long amour » D’aller revoir le sol qui lui donna le jour. » Mon hôte, tu franchis le seuil de ma famille » À l’heure qui jadis a vu naître ma fille. » Salut ! Vois, l’on t’apporte et la table et le pain : » Sieds-toi. Tu vas d’abord rassasier ta faim. » Puis, si nulle, raison ne te force au mystère, » Tu nous diras ton nom, ta patrie et ton père. » Il retourne, à sa place après que l’indigent S’est assis. Sur ses mains dans l’aiguière d’argent, Par une jeune esclave une eau pure est versée. Une table de cèdre où l’éponge est passée, S’approche ; et vient offrir à son avide main Et les fumantes chairs sur les disques d’airain, Et l’amphore vineuse et la coupe aux deux anses. « Mange et bois, dit Lycus ; oublions les souffrances. » Ami, leur lendemain est, dit-on, un beau jour. » ……………….. Bientôt Lycus se lève et fait emplir sa coupe, Et veut que l’échanson verse à toute la troupe « Pour boire à Jupiter, qui nous daigne envoyer » L’étranger, devenu l’hôte de mon foyer. » Le vin de, main en main va roulant à la ronde ; Lycus lui-même emplit une coupe profonde, L’envoie à l’étranger : « Salut, mon hôte, bois. » De ta ville bientôt tu reverras les toits, » Fussent-ils par-delà les glaces du Caucase. » Des mains de l’échanson l’étranger prend le vase, Se lève ; sur eux tous il invoque les dieux. On boit ; il se rassied. Et jusques sur les yeux Ses noirs cheveux toujours ombrageant son visage, De sourire et de plainte il mêle son langage. « Mon hôte, maintenant que sous tes nobles toits, » De l’importun besoin j’ai calmé les abois, » Oserai-je à ma langue abandonner les rênes ? » Je n’ai plus ni pays, ni parens, ni domaines. » Mais écoute : le vin, par toi-même versé, M’ouvre la bouche. Ainsi, puisque j’ai commencé, » Entends ce que peut-être il eût mieux valu taire. » Excuse enfin ma langue, excuse ma prière ; » Car du vin, tu le sais, la téméraire ardeur » Souvent à l’excès même enhardit la pudeur. » Meurtri de durs cailloux ou de sables arides, » Déchiré de buissons, ou d’insectes avides, » D’un long jeûne flétri ; d’un long chemin lassé, » Et de plus d’un grand fleuve en nageant traversé, » Je parais énervé, sans vigueur, sans courage ; » Mais je suis né robuste et n’ai point passé l’âgé. » La force et le travail, que je n’ai point perdus, » Par un peu de repos me vont être rendus. » Emploie alors mes bras à quelques soins rustiques. » Je puis dresser au char tes coursiers olympiques, » Ou, sous les feux du jour, courbé vers le sillon, » Presser deux forts taureaux du piquant aiguillon. » Je puis même, tournant la meule nourricière, » Broyer le pur froment en farine légère. » Je puis, la serpe en main, planter et diriger » Et le cep et la treille, espoir de ton verger. » Je tiendrai la faucille ou la faux recourbée, » Et devant mes pas, l’herbe ou la moisson tombée » Viendra remplir ta grange en la belle saison ; » Afin que nul mortel ne dise en ta maison, » Me regardant d’un œil insultant et colère : » Ô vorace étranger ! qu’on nourrit à rien faire. » — Vénérable indigent, va, nul mortel chez moi » N’oserait élever sa langue contre toi. » Tu peux ici rester, même oisif et tranquille, » Sans craindre qu’un affront ne trouble ton asile. » — L’indigent se méfie. — Il n’est plus de danger. » — L’homme est né pour souffrir. — Il est né pour changer. » — Il change d’infortune ! — Ami, reprends courage : » Toujours un vent glacé ne souffle point l’orage. » Le ciel d’un jour à l’autre est humide ou serein, » Et tel pleure aujourd’hui qui sourira demain. » — Mon hôte, en tes discours préside la sagesse. » Mais quoi ! la confiante et paisible richesse » Parle ainsi. L’indigent espère en vain du sort ; » En espérant toujours il arrive à la mort. » Dévoré de besoin, de projets, d’insomnie, » Il vieillit dans l’opprobre et dans l’ignominie. » Rebuté des humains durs, envieux, ingrats, » Il a recours aux dieux qui ne l’entendent pas. » Toutefois ta richesse accueille mes misères ; » Et puisque ton cœur s’ouvre à la voix des prières, » Puisqu’il sait, ménageant le faible humilié, » D’indulgence et d’égards tempérer la pitié, » S’il est des dieux du pauvre, ô Lycus ! que ta vie » Soit un objet pour tous et d’amour et d’envie. » — Je te le dis encore, espérons, étranger. » Que mon exemple au moins serve à t’encourager. » Des changemens du sort j’ai fait l’expérience. » Toujours un même éclat n’a point à l’indigence » Fait du riche Lycus envier le destin » J’ai moi-même été pauvre et j’ai tendu la main. » Cléotas de Larisse, en ses jardins immenses, » Offrit à mon travail de justes récompenses. » Jeune ami, j’ai trouvé quelques vertus en toi ; » Va, sois heureux, dit-il, et te souviens de moi. » Oui, oui, je m’en souviens : Cléotas fut mon père ; » Tu vois le fruit des dons de sa bonté prospère. » À tous les malheureux je rendrai désormais » Ce que dans mon malheur je dus à ses bienfaits. » Dieux, l’homme bienfaisant est votre cher ouvrage, » Vous n’avez point ici d’autre visible image ; » Il porte votre empreinte, il sortit de vos mains » Pour vous représenter aux regards des humains. » Veillez sur Cléotas ! Qu’une fleur éternelle, » Fille d’une ame pure, en ses traits étincelle ; » Que nombre de bienfaits, ce sont là ses amours, » Fassent une couronne à chacun de ses jours ; » Et quand une mort douce et d’amis entourée, » Recevra sans douleur sa vieillesse sacrée, » Qu’il laisse avec ses biens ses vertus pour appui » À des fils s’il se peut encor meilleurs que lui. » — Hôte des malheureux, le sort inexorable » Ne prend point Ies avis de l’homme secourable. » Tous, par sa main de fer en aveugles poussés, » Nous vivons ; et tes vœux ne sont point exaucés. » Cléotas est perdu, son injuste patrie » L’a privé de ses biens ; elle a proscrit sa vie. » De ses concitoyens dès long-temps envié, » De ses nombreux amis en un jour oublié, » Au lieu de ces tapis qu’avait tissus l’Euphrate, » Au lien de ces festins brillans d’or et d’agathe, » Où ses hôtes, parmi les chants, harmonieux, » Savouraient jusqu’au jour les vins délicieux, » Seul maintenant, sa faim visitant les feuillages, » Dépouille les buissons de quelques fruits sauvages ; » Ou chez le riche altier apportant ses douleurs, » Il mange un pain amer tout trempé de ses pleurs. » Errant et fugitif, de ses beaux jours de gloire » Gardant, pour son malheur, la pénible mémoire, » Sous les feux du midi, sous le froid des hivers, » Seul, d’exil en exil, de déserts en déserts, » Pauvre et semblable à moi, languissant et débile, » Sans appui qu’un bâton, sans foyer, sans asile, » Revêtu de ramée ou de quelques lambeaux, » Et sans que nul mortel attendri sur ses maux, » D’un souhait de bonheur le flatte et l’encourage ; » Les torrens et la mer, l’aquilon et l’orage, » Des corbeaux et des loups les tristes hurlemens » Répondant seuls la nuit à ses gémissemens ; » N’ayant d’autres amis que les bois solitaires, » D’autres consolateurs que ses larmes amères, » Il se traîne ; et souvent sur la pierre il s’endort » À la porte d’un temple, en invoquant la mort. » — Que m’as-tu dit ? La foudre a tombé sur ma tête. » Dieux ! ah grands dieux ! partons Plus de jeux plus de fête, » Partons. Il faut vers lui trouver des chemins sûrs ; » Partons. Jamais sans lui je ne revois ces murs. » Ah dieux ! quand dans le vin, les festins, l’abondance, » Enivré des vapeurs d’une folle opulence, » Celui qui lui, doit tout chante et s’oublie et rit, » Lui peut-être il expire, affamé, nu, proscrit, » Maudissant, cornue ingrat, son vieil ami qui l’aime. » Parle : était-ce bien lui ? le connais-tu toi-même ? » En quels lieux était-il ? où portait-il ses pas ? » Il sait où vit Lycus, pourquoi ne vient-il pas ? » Parle : était-ce bien lui ? parle, parle, te dis-je ; » Où l’as-tu vu ? Mon hôte, à regret je t’afflige. » C’était lui, je l’ai vu ………… ……………….. ………. » Les douleurs de son ame » Avaient changé ses traits. Ses deux fils et sa femme, » À Delphes, confiés au ministre du dieu, » Vivaient de quelques dons offerts dans le saint lieu. » Par des sentiers secrets fuyant l’aspect des villes, » On les avait suivis jusques aux Thermopyles. » Il en gardait encore un douloureux effroi. » Je le connais ; je fus son ami comme toi. » D’un même sort jaloux une même injustice » Nous a tous deux plongés au même précipice. » Il me donna jadis (ce bien seul m’est resté) » Sa marque d’alliance et d’hospitalité. » Vois si tu la connais. » Ô surprise ! Immobile, Lycus a reconnu son propre sceau d’argile ; Ce sceau, don mutuel d’immortelle amitié, Jadis à Cléotas par lui-même envoyé. Il ouvre un œil avide, et long-temps envisage L’étranger. Puis enfin sa voix trouve un passage. « Est-ce toi, Cléotas ? toi, qu’ainsi je revoi ? » Tout ici t’appartient. Ô mon père ! est-ce toi ? » Je rougis que mes yeux aient pu te méconnaître. » Ô Cléotas ! mon père ! ô toi, qui fus mon maître » Viens ; je n’ai fait ici que garder ton trésor ; » Et ton ancien Lycus veut te servir encor. » J’ai honte à ma fortune en regardant la tienne. » Et dépouillant soudain la pourpre tyrienne Que tient sur son épaule une agrafe d’argent, Il l’attache lui-même à l’auguste indigent. Les convives levés l’entourent ; l’allégresse Rayonne en tous les yeux. La famille s’empresse ; On cherche des habits, on réchauffe le bain. La jeune enfant approche, il rit ; lui tend la main. « Car c’est toi, lui dit-il, c’est toi qui la première » Ma fille, m’as ouvert la porte hospitalière. »

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les pauvres à l’église Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d’église Qu’attiédit puamment leur souffle, tous leurs yeux Vers le chœur ruisselant d’orrie et la maîtrise Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux ; Comme un parfum de pain humant l’odeur de cire, Heureux, humiliés comme des chiens battus, Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire, Tendent leurs oremus risibles et têtus. Aux femmes, c’est bien bon de faire des bancs lisses, Après les six jours noirs où Dieu les fait souffrir ! Elles bercent, tordus dans d’étranges pelisses, Des espèces d’enfants qui pleurent à mourir : Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe, Une prière aux yeux et ne priant jamais, Regardent parader mauvaisement un groupe De gamines avec leurs chapeaux déformés. Dehors, le froid, la faim, l’homme en ribote : C’est bon. Encore une heure ; après, les maux sans noms ! — Cependant, alentour, geint, nasille, chuchote Une collection de vieilles à fanons ; Ces effarés y sont et ces épileptiques Dont on se détournait hier aux carrefours ; Et, fringalant du nez dans des missels antiques Ces aveugles qu’un chien introduit dans les cours. Et tous, bavant la foi mendiante et stupide, Récitent la complainte infinie à Jésus Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide, Loin des maigres mauvais et des méchants pansus, Loin des senteurs de viande et d’étoffes moisies, Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants ; — Et l’oraison fleurit d’expressions choisies, Et les mysticités prennent des tons pressants, Quand, des nefs où périt le soleil, plis de soie Banals, sourires verts, les Dames des quartiers Distingués, — ô Jésus ! — les malades du foie Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers. 1871

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    L’étoile a pleuré rose… L’étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles, L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain.

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    S

    Sadek Belhamissi

    @sadekBelhamissi

    Vis et sois heureuse Ô chère Mary, Ta douce maman Veille sur toi et te sourit Depuis le firmament. . Avec amour elle t’a portée Toi Mary, sa jolie poupée, Son ange venu égayer Son charmant et doux foyer. . De là-haut elle te dit : « Ma grande, fais-moi plaisir, Ne sois pas triste Mary chérie.» . « Je ne suis pas malheureuse, je veux te voir sourire, Alors vis et sois heureuse.» . Poème dédié à toute femme qui a perdu sa mère. Fille, jeune fille ou mère, elle est plus affectée par cette perte que l' homme. En effet n'était-elle pas à la fois la fille, la sœur et la confidente de sa chère maman disparue? Mais cette maman avait aussi perdu la sienne..... Alors, reprends doucement goût à la vie et sois courageuse, reviendra alors le sourire et tu seras comme avant heureuse. . Belhamissi sadek le 11.10.2017

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    B

    Benjamin Delmont

    @benjaminDelmont

    La moisson des pleurs Le vent ne beigne plus ma tête nue Depuis que le vent n’existe plus, Je ne ferai plus de ta boue de l’or Depuis que la terre usée, épuisée Désespérée à disparue de l’aurore, Je ne cueillerai pas non plus la rose fleure Que l’abeille jadis butinait Jusque dans les Abysses D’Honfleur et d’ailleurs Une blonde lumière Arrose la nature Qui n’est plus, Qu’une pluie Une semence de larmes Une neige de pleure Et les mains vertes Pourrissent Et les jaunes soleils Rougissent Dans l’air peuplé de nuits blanches Passée à jardiner leur matière grise Au crépuscule lent, humide Qui fait perler la mousse Sur des visages qu’on ne voit plus Aux larmes de rasoirs Éclairée par la blonde lumière Qui ramassent les feuilles d’argent Pour vendre à prix d’or Une mort à crédit

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Femmes damnées Comme un bétail pensif sur le sable couchées, Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers, Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées Ont de douces langueurs et des frissons amers. Les unes, cœurs épris des longues confidences, Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux, Vont épelant l’amour des craintives enfances Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ; D’autres, comme des sœurs, marchent lentes et graves À travers les rochers pleins d’apparitions, Où saint Antoine a vu surgir comme des laves Les seins nus et pourprés de ses tentations ; Il en est, aux lueurs des résines croulantes, Qui dans le creux muet des vieux antres païens T’appellent au secours de leurs fièvres hurlantes, Ô Bacchus, endormeur des remords anciens ! Et d’autres, dont la gorge aime les scapulaires, Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements, Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires, L’écume du plaisir aux larmes des tourments. Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres, De la réalité grands esprits contempteurs, Chercheuses d’infini, dévotes et satyres, Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs, Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies, Pauvres sœurs, je vous aime autant que je vous plains, Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies, Et les urnes d’amour dont vos grands cœurs sont pleins !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    La destruction Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon ; Il nage autour de moi comme un air impalpable ; Je l’avale et le sens qui brûle mon poumon Et l’emplit d’un désir éternel et coupable. Parfois il prend, sachant mon grand amour de l’Art, La forme de la plus séduisante des femmes, Et, sous de spécieux prétextes de cafard, Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes. Il me conduit ainsi, loin du regard de Dieu, Haletant et brisé de fatigue, au milieu Des plaines de l’Ennui, profondes et désertes, Et jette dans mes yeux pleins de confusion Des vêtements souillés, des blessures ouvertes, Et l’appareil sanglant de la Destruction !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Les deux bonnes sœurs La Débauche et la Mort sont deux aimables filles, Prodigues de baisers et riches de santé, Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles Sous l’éternel labeur n’a jamais enfanté. Au poëte sinistre, ennemi des familles, Favori de l’enfer, courtisan mal renté, Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles Un lit que le remords n’a jamais fréquenté. Et la bière et l’alcôve en blasphèmes fécondes Nous offrent tour à tour, comme deux bonnes sœurs, De terribles plaisirs et d’affreuses douceurs. Quand veux-tu m’enterrer, Débauche aux bras immondes ? Ô Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits, Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès ?

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Sonnet d'automne Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal : " Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon mérite ? " - Sois charmante et tais-toi ! Mon coeur, que tout irrite, Excepté la candeur de l'antique animal, Ne veut pas te montrer son secret infernal, Berceuse dont la main aux longs sommeils m'invite, Ni sa noire légende avec la flamme écrite. Je hais la passion et l'esprit me fait mal ! Aimons-nous doucement. L'Amour dans sa guérite, Ténébreux, embusqué, bande son arc fatal. Je connais les engins de son vieil arsenal : Crime, horreur et folie ! - Ô pâle marguerite ! Comme moi n'es-tu pas un soleil automnal, Ô ma si blanche, ô ma si froide Marguerite ?

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    C

    Charles d'Orléans

    @charlesDorleans

    Ballade II Je meurs de soif, en cousté la fontaine ; Tremblant de froit ou feu des amoureux ; Aveugle suis, et si les autres maine ; Povre de sens, entre saichans, l’un d’eulx ; Trop négligent, en vain souvent soigneux ; C’est de mon fait une chose faiée, En bien et mal par fortune menée. Je gaingne temps, et pers mainte sepmaine ; Je joue et ris, quant me sens douloreux ; Desplaisance j’ay d’espérance plaine ; J’attens bon eur en regret angoisseux ; Riens ne me plaist, et si suis désireux ; Je m’esjoïs, et cource à ma pensée, En bien et mal par fortune menée. Je parle trop, et me tais à grant paine ; Je m’esbays, et si suis courageux ; Tristesse tient mon confort en demaine, Faillir ne puis, au moins à l’un des deux ; Bonne chiere je faiz quant je me deulx ; Maladie m’est en santé donnée, En bien et mal par fortune menée. ENVOI Prince, je dy que mon fait maleureux Et mon prouffit aussi avantageux, Sur ung hasart j’asserray quelque année, En bien et mal par fortune menée.

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    C

    Chloe Douglas

    @chloeDouglas

    La plainte actuelle Je voudrais Vous dire Que je vous aime Que la vie est belle Et que je suis satisfaite. Mais non Je ne suis pas contente Et je ne sais pas Qui vous êtes Alors comment Puis-je vous aimer? Et la vie est dure, Est pleine de murs. La confiance en vous Peut me donner Confiance en ce que Je voudrais vous dire Et je pourrais sourire Et compter sur vous Pour l’avenir.

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    D

    Dominique Blanchemain

    @dominiqueBlanchemain

    Jeux dangereux Sous le délabrement du ciel Les arbres couchés Au pied du promontoire Les corps évidés Et les mères qui pleurent L’océan dans son impatience N’a que faire de la pitié Il rage Il gronde Il ravage les visages Et les enfants rejetés dans leur silence L’océan dans la rumeur N’a que faire des faiblesses Il capture Il viole Il déchire les cœurs Et les mères qui pleurent Dans le bruit des vagues scélérates Il ne reste que la vie en naufrage

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    E

    Edgar Georges

    @edgarGeorges

    Rectangle triangulaire L’allée est silencieuse Je n’entends pas les oiseaux ce matin Cette fois tous les arbres sont verts autour de la gare Un mécanisme de vérité s’est mis en route inexorablement Voilà pourquoi je ne comprends plus rien Ce printemps ne ressemble plus à celui où j’étais fidèle à toutes mes femmes J’attends l’heure éternelle de volupté Semblable à la délicatesse des sens Qui occupait l’espace d’une vie La joie n’aura plus jamais sa place maintenant C’est l’heure de la folie destructrice Que nous attendons tous

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    E

    Edouard J. Maunick

    @edouardJMaunick

    Alabama des chiens Il y avait l’homme Blanc il y avait l’homme Noir il y a maintenant les Chiens les chiens aboyant dans Alabama… quelque part dans Birmingham des enfants ne chantent plus les blues de la faim de la faim de vivre enfin Birmingham est une prison une nuit de portes de fer rabattues sur des corps noirs comme un verrou de braise Birmingham est lieu de mort la lèpre noire est déclarée rentrez madame vos toutous et vos caniches les molosses vont sauter aux poignets et mordre dans les jambes déchirer les dos baver contre les ventres laver la ville ternir les miroirs nègres jusqu’à l’image de peur… et pourtant dans ces miroirs leurs yeux du souvenir pas très loin dans autrefois vivait Mindanao brûlait Guadalcanal flambait Tassafong en ce temps là le sang fuyait également la peau roussissait également l’abîme s’ouvrait également en ce temps là un seul et même doigt libérait le chien des fusils… Amérique quelque chose rôde autour de toi pétri du sang de peau et de vertige des blues se préparent qui seront alléluias Amérique ne force pas la naissance d’un Chaka n’appelle pas d’étranges sortilèges car les nègres Amérique les nègres vont sortir…

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    E

    Eleni Cay

    @eleniCay

    Face-book A celui en haut, à ceux en bas ainsi qu’à ceux sous nos pieds, un visage tu prêtes, visage de ce que tu es. Et puis, tu es étonné que la toile numérique soit parsemée même de prières. Depuis toujours, on s’émerveille devant nos propres visages. Voilà pourquoi tu es attiré à présent par tous ces écrans. Face-book… Ce livre des visages… Pour nos sourires, on a inventé de nouveaux cadres photo. Ces nouveaux visages exposés sur l’écran, c’est de figurer dans l’album qu’ils sont reconnaissants. Combien de fois as-tu changé ta photo de profil ? Là, c’est moi au travail et, là, c’est moi qui cuisine… Devant cette mode changeante, je me retrouve souriante. J’attends que le temps habille de vert les statues sur la place, dans les cultures et sociétés, il ne marque pas de différences. Son oeil se pose partout, quoi que tu fasses, impossible de t’abriter sous un mot de passe. Alors, ne sois pas facile et dévoile-toi seulement au fur et à mesure, surtout ne casse pas du marbre en petits cailloux tout de suite. N’avoue pas dans un autoportrait ce qui avait manqué à ton souvenir. Eleni Cay, Frémissements d’un papillon en ère numérique, 2015

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    E

    Elie Ayache

    @elieAyache

    L’infâme adultère Regards furtifs aux lueurs incandescentes Caractère fautif et allure indécente Sourires entendus et palabres bues Promesse du fruit si peu défendu L’infâme adultère ne dit jamais non A l’homme délétère qui ne dit pas son nom Investissant sur le pêché capital Le bénéfice de l’amour marital Spéculant sur les courbes boursières Telle une chatte en mal de litière Voluptueuse et enivrante imminence Du jour promis à la jouissance Expédiant le dîner qui précède Au profit de l’idée qui l’obsède L’infâme adultère ne dit jamais non A l’homme délétère qui ne dit pas son nom S’abandonnant sous des postures orpheline Aux bons auspices de la gent masculine Dans l’espoir qu’un monde meilleur Illuminera son immonde laideur A la liberté trop vite rendue Par un amant dont la trace est perdue Poursuivant sans répit son insatiable quête A l’affut patiemment comme le ferait une bête L’infâme adultère ne dit jamais non A l’homme délétère qui ne dit pas son nom

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    E

    Emile Nelligan

    @emileNelligan

    Beauté cruelle Certe, il ne faut avoir qu’un amour en ce monde, Un amour, rien qu’un seul, tout fantasque soit-il ; Et moi qui le recherche ainsi, noble et subtil, Voilà qu’il m’est à l’âme une entaille profonde. Elle est hautaine et belle, et moi timide et laid : Je ne puis l’approcher qu’en des vapeurs de rêve. Malheureux ! Plus je vais, et plus elle s’élève Et dédaigne mon cœur pour un œil qui lui plaît. Voyez comme, pourtant, notre sort est étrange ! Si nous eussions tous deux fait de figure échange, Comme elle m’eût aimé d’un amour sans pareil ! Et je l’eusse suivie, en vrai fou de Tolède, Aux pays de la brume, aux landes du soleil, Si le Ciel m’eût fait beau, et qu’il l’eût faite laide !

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    La couronne Et je voudrais aussi ma couronne d’épines Et pour chaque pensée, une, rouge, à travers Le front, jusqu’au cerveau, jusqu’aux frêles racines où se tordent les maux et les rêves forgés En moi, par moi. Je la voudrais comme une rage, Comme un buisson d’ébène en feu, comme des crins D’éclairs et de flammes, peignés de vent sauvage; Et ce seraient mes vains et mystiques désirs, Ma science d’ennui, mes tendresses battues De flagellants remords, mes chatoyants vouloirs De meurtre et de folie et mes haines têtues Qu’avec ses dards et ses griffes, elle mordrait. Et, plus intimement encor, mes anciens râles Vers des ventres, muflés de lourdes toisons d’or, Et mes vices de doigts et de lèvres claustrales Et mes derniers tressauts de nerfs et de sanglots Et, plus au fond, le rut même de ma torture, Et tout enfin ! Ô couronne de ma douleur Et de ma joie, ô couronne de dictature Debout sur mes deux yeux, ma bouche et mon cerveau O la couronne en rêve à mon front somnambule, Hallucine-moi donc de ton absurdité ; Et sacre-moi ton roi souffrant et ridicule. Emile Verhaeren, Les débâcles  

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Désarroi De gaieté en gaieté J’ai contrefait ma joie De tristesse en tristesse J’ai camouflé ma peine De saison en saison J’ai galvaudé le temps De raison en raison J’ai nié l’évident De silence en silence J’ai parlé sans rien dire De méfiance en méfiance J’ai douté sans finir De rancoeur en rancoeur J’ai brisé l’essentiel De pensée en pensée J’ai flétri sans appel De reproche en reproche J’ai pétrifié les jours Et puis de proche en proche J’ai détruit tout amour… De pleurs en espérances J’ai conjuré le sort De regrets en souffrances J’ai torturé mon corps Las… De nuage en nuage J’ai construit ma maison Et d’un seul coup d’orage…

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