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Théodore de Banville

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Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris 6e arrondissement, est un poète, dramaturge et critique dramatique français. Célèbre pour les Odes funambulesques et Les Exilés, il est surnommé « le poète du bonheur ». Ami de Victor Hugo, de Charles Baudelaire et de Théophile Gautier, il est considéré de son vivant comme l’un des plus éminents poètes de son époque.

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    À ma mère (1) Madame Élisabeth-Zélie de Banville Ô ma mère, ce sont nos mères Dont les sourires triomphants Bercent nos premières chimères Dans nos premiers berceaux d’enfants. Donc reçois, comme une promesse, Ce livre où coulent de mes vers Tous les espoirs de ma jeunesse, Comme l’eau des lys entr’ouverts ! Reçois ce livre, qui peut-être Sera muet pour l’avenir, Mais où tu verras apparaître Le vague et lointain souvenir De mon enfance dépensée Dans un rêve triste ou moqueur, Fou, car il contient ma pensée, Chaste, car il contient mon cœur. Juillet 1842.

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    L'exil des Dieux C'est dans un bois sinistre et formidable, au nord De la Gaule. Roidis par un suprême effort, Les chênes monstrueux supportent avec rage Les grands nuages noirs d'où va tomber l'orage ; Le matin frissonnant s'éveille, et la clarté De l'aube mord déjà le ciel ensanglanté. Tout est lugubre et pâle, et les feuilles froissées Gémissent, et, géants que de tristes pensées Tourmentent, les rochers jusqu'à l'horizon noir Se lèvent, méditant dans leur long désespoir ; Et, blanche dans le jour douteux et dans la brume, La cascade sanglote en sa prison d'écume. Léchant les verts sapins avec un rire amer, La mer aux vastes flots baigne leurs pieds, la mer Douloureuse, où, groupés de distance en distance, Accourent les vaisseaux de l'empereur Constance. Tout à coup, ô terreur ! ô deuil ! au bord des eaux La terre s'épouvante, et jusque dans ses os Tremble, et sur sa poitrine âpre, d'effroi saisie, Se répand un parfum céleste d'ambroisie. Un grand souffle éperdu murmure dans les airs : Une lueur vermeille au fond de ces déserts Grandit, mystérieuse et sainte avant-courrière, O vastes cieux ! et là, marchant dans la clairière, Luttant de clarté sombre avec le jour douteux, Meurtris, blessés, mourants, sublimes, ce sont eux, Eux, les grands exilés, les dieux. O misérables ! Les chênes accablés par l'âge, et les érables Les plaignent. Les voici. Voici Zeus, Apollon, Aphrodite, marchant pieds nus, et son talon A la blancheur d'un astre et l'éclat d'une rose ! Athènè, dont jadis, dans l'éther grandiose, Le clair regard, luttant de douceur et de feu, Etait l'intensité sereine du ciel bleu. Hère, Dionysos, Hèphaistos triste et grave Et tous les autres dieux foulant la terre esclave S'avancent. Tous ces rois marchent, marchent sans bruit. Ils marchent vers l'exil, vers l'oubli, vers la nuit, Résignés, effrayants, plus pâles que des marbres, Parfois heurtant leurs fronts dans les branches des arbres, Et, tandis qu'il s'en vont, troupeau silencieux, La fatigue d'errer sans repos sous les cieux Arrache des sanglots à leurs bouches divines, Et des soupirs affreux sortent de leurs poitrines. Car, depuis qu'en riant les empereurs jaloux De leur gloire, les ont chassés comme des loups, Et que leurs palais d'or sont brisés sur les cimes De l'Olympe à jamais désert, les dieux sublimes Errent, ayant connu les pleurs, soumis enfin A la vieillesse horrible, aux douleurs, à la faim, Aux innombrables maux que tous les hommes craignent, Et leurs pieds, déchirés par les épines, saignent. Zeus, à présent vieillard, a froid, et sur ses flancs Serre un haillon de pourpre, et ses cheveux sont blancs. Sa barbe est blanche : au fond du lointain qui s'allume Ses épouses en deuil le suivent dans la brume. Hère, Lèto, Métis, Eurynomè, Thémis Sont là, blanches d'effroi, pâles comme des lys, Et pleurent. Sur leurs fronts mouillés par la rosée L'aigle vole au hasard de son aile brisée. Et celui qui tua la serpente Pytho, Le brillant Lycien, cache sous son manteau Son arc d'argent, rompu. Triste en sa frénésie, Le beau Dionysos pleure la molle Asie, Et ce hardi troupeau, les femmes au sein nu Qui le suivaient naguère au pays inconnu, Folles, aspirant l'air avec ses doux arômes, Ne sont plus à présent que spectres et fantômes. Hermès, qui n'ouvre plus ses ailes, en chemin Songe, et le rameau d'or s'est flétri dans sa main. Athènè, l'invincible Ares, mangent les mûres De la haie, et n'ont plus que des lambeaux d'armures ; Dèmèter, pâle encor de tous les maux soufferts, Tient sa fille livide, arrachée aux enfers, Et la blonde Artémis, terrible, échevelée, Bondit encor, fixant sa prunelle étoilée Sur la nuit redoutable et morne des forêts, Cherchant des ennemis à percer de ses traits, Et sur sa jambe flotte et vole avec délire Sa tunique d'azur, que l'ouragan déchire. Cependant, les regards baissés vers le sol noir, Les Muses lentement chantent le désespoir De l'exil, dont leur père a dû subir l'outrage, Et leur hymne farouche éclate avec l'orage. Toute l'horreur des cieux perdus est dans leur voix ; Les arbres, les rochers, les profondeurs des bois, Les antres noirs ouverts sous la rude broussaille S'émeuvent, et la mer, la mer aussi tressaille, La mer tumultueuse, et sur son flot grondant, Vieux, tenant un morceau brisé de son trident, Poséidon apparaît, s'élevant sur la cime Des ondes. Près de lui, fugitifs dans l'abîme, Pontos, Céto, Nèreus, Phorcys, Thétis, couverts D'écume, gémissant au milieu des flots verts, Sur les pointes des rocs heurtent leurs fronts livides En signe de détresse, et les Océanides, Frappant leur sein de neige et pleurant les tourments Des grands dieux, vers le ciel tordent leurs bras charmants. Leur douleur, en un chant d'une fierté sauvage, S'exhale avec des cris de haine, et du rivage Ecoutant cette plainte affreuse, à leurs sanglots Aphrodite répond, fille auguste des flots ! O douleur ! son beau corps fait d'une neige pure Rougit, et sous le vent jaloux subit l'injure De l'orage ; son sein aigu, déjà meurtri Par leur souffle glacé, frissonne à ce grand cri. Le visage divin et fier de Cythérée, Dont rien ne peut flétrir la majesté sacrée, A toujours sa splendeur d'astre et de fruit vermeil : Mais, dénoués, épars, ses cheveux de soleil Tombent sur son épaule, et leur masse profonde Comme d'un fleuve d'or en fusion l'inonde. Leur vivante lumière embrase la forêt. Mêlés et tourmentés par la bise, on dirait Que leur flot pleure, et quand la reine auguste penche Son front, dans ce bel or brille une tresse blanche. Les larmes de Cypris ont brûlé ses longs cils. Frémissante, elle aussi déplore les exils Des grands dieux, et tandis que les Océanides Gémissent dans la mer stérile aux flots rapides, Elle parle en ces mots, et son rire moqueur, Tout plein du désespoir qui gonfle son grand cœur, Dans l'ombre où le matin lutte avec les ténèbres Donne un accent de haine à ses plaintes funèbres : « O nos victimes ! rois monstrueux, dieux titans Que nous avons chassés vers les gouffres du Temps ! Fils aînés du Chaos aux chevelures d'astres, Dont le souffle et les yeux contenaient les désastres Des ouragans ! Japet ! Hypérion, l'aîné De nos aïeux ! ô toi, ma mère Dioné ! Et toi qui t'élanças, brillant, vers tes victoires, Du sein de l'Erèbe, où dormaient tes ailes noires, Toi le premier, le plus ancien des dieux, Amour ! Voyez, l'homme nous chasse et nous hait à son tour, Votre sang reparaît sur nos mains meurtrières, Et nous errons, vaincus, parmi les fondrières. Eh bien ! oui, nous fuyons ! Nos regards, ciel changeant, Ne refléteront plus les longs fleuves d'argent. Elle-même, la Vie amoureuse et bénie Nous pousse hors du sein de l'Etre, et nous renie. Homme, vil meurtrier des dieux, es-tu content ? Les bois profonds, les monts et le ciel éclatant Sont vides, et les flots sont vides : c'est ton règne ! Cherche qui te console et cherche qui te plaigne ! Les sources des vallons boisés n'ont plus de voix, L'antre n'a plus de voix, les arbres dans les bois N'ont plus de voix, ni l'onde où tu buvais, poète ! Et la mer est muette, et la terre est muette, Et rien ne te connaît dans le grand désert bleu Des cieux, et le soleil de feu n'est plus un dieu ! Il ne te voit plus. Rien de ce qui vit, frissonne, Respire ou resplendit ne te connaît. Personne A présent, vagabond, ne sait d'où tu venais Et ne peut dire : C'est l'homme. Je le connais. La Nature n'est plus qu'un grand spectre farouche Son cœur brisé n'a plus de battements. Sa bouche Est clouée, et les yeux des astres sont crevés. Tu ne finiras pas les chants inachevés, Et tes fils, ignorant l'adorable martyre, Demanderont bientôt ce que tu nommais Lyre ! Oh ! lorsque tu chantais et que tu combattais, Nous venions te parler à mi-voix ! Tu sentais Près de ta joue, avec nos suaves murmures, Délicieusement le vent des chevelures Divines. Maintenant, savoure ton ennui. Te voilà nu sous l'œil effrayant de Celui Qui voit tant de milliers de. mondes et d'étoiles Naître, vivre et mourir dans l'infini sans voiles, Et devant qui les grains de poudre sont pareils A ces gouttes de nuit que tu nommes soleils. Tout est dit. Ne va plus boire la poésie Dans l'eau vive ! Les dieux enivrés d'ambroisie S'en vont et meurent, mais tu vas agoniser. Ce doux enivrement des êtres, ce baiser Des choses, qui toujours voltigeait sur tes lèvres, Ce grand courant de joie et d'amour, tu t'en sèvres ! Ils ne fleuriront plus tes pensers, enchantés Par l'éblouissement des blanches nudités. Donc subis la laideur et la douleur. Expie. Nous, cependant, chassés par ta fureur impie, Nous fuyons, nous tombons dans l'abîme béant, Et nous sommes la proie horrible du néant. Hellas, adieu ! forêts, vallons, monts grandioses, Rocs de marbre, ruisseaux d'eau vive, lauriers-roses ! Mais, homme, quand la Nuit reprend nos cheveux d'or Et nos fronts lumineux, tu sentiras encor Nos soupirs s'envoler vers ta demeure vide, Et sur tes mains couler nos pleurs, ô parricide ! » C'est ainsi que parla dans son divin courroux La grande Aphrodite. Sur les feuillages roux, Tout sanglant et vainqueur de l'ombre qui recule, Le Jour dans un sinistre et sombre crépuscule S'était levé. Baissant leurs regards éblouis, Les grands dieux en pleurs dans la brume évanouis, Formes sous le soleil de feu diminuées, S'effaçaient tristement dans les vagues nuées Où leurs fronts désolés apparaissaient encor. Aphrodite, la reine adorable au front d'or, Avec son sein de rose et ses blancheurs d'étoile Sembla s'évanouir comme eux sous le long voile De la brume indécise, en laissant dans ces lieux Qu'avaient illuminés de leurs feux radieux Son sein de lys sans tache et sa toison hardie, Un reflet pâlissant de neige et d'incendie. Août 1865

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    Aimer Paris Artiste, désormais tu veux peindre la Vie Moderne, frémissante, avide, inassouvie, Belle de douleur calme et de sévérité; Car ton esprit sincère a soif de vérité. Vois, comme une forêt d’arbres, la ville immense Murmure sous l’orage et le vent en démence; Ses entassements noirs de toits et de maisons Ont le charme effrayant des larges frondaisons. Aime ses bruits, ses voix, ses rires, son tumulte, Ses monuments qu’en vain le Temps railleur insulte, Ses marchés, ses jardins; aime ses pauvres cieux Toujours mornes, d’un gris terne et délicieux. Surtout, n’imite pas Hamlet; sans épigramme Et d’un coeur chaleureux, aime l’Homme et la Femme. La Femme surtout! Suis de l’oeil ces bataillons De gamines qui vont, blanches sous les haillons, Et qui, montrant leurs dents, croquent de jaunes pommes De terre frites, sous l’oeil allumé des hommes! Peins la svelte maigreur aux méplats séduisants Et la gracilité des filles de seize ans; Va, ne dédaigne rien, ni la bourgeoise obèse Ni la duchesse au front d’or que le zéphyr baise, Ni la pierreuse, proie offerte au noir filou, Qui peigne ses cheveux lourds avec un vieux clou, Ni la bonne admirant, parmi la transparence Des bassins, le reflet d’un pantalon garance, Ni la vieille qui, pour implorer un secours, Se coiffe d’un madras et chante dans les cours, Ni ces filles de joie aux tragiques allures Offrant au vent furtif leurs roses chevelures, Et poursuivant, les soirs, leur patient calcul Devant les Nouveautés et le café Méhul, Catins dont les satins, sans jamais faire halte, Comme des serpents noirs se traînent sur l’asphalte! Regarde l’Homme aussi! Peins tous les noirs troupeaux Des hommes, sénateurs on bien marchands de peaux De lapins; droit, bossu, formidable ou bancroche, Vois l’Homme, vois-le bien, de d’Arthez à Gavroche! L’homme actuel, sublime à la fois et mesquin, Est vêtu d’un complet, comme un Américain; Mais tel qu’il est, ce pitre, épris de Navarette, Qui dans ses doigts pâlis roule une cigarette, Lit dans les astres noirs d’un oeil terrible et sûr, Voleur divin, saisit Isis en plein azur, Pose un baiser brutal sur ses yeux pleins d’étoiles, D’un ongle furieux déchire tous ses voiles, Comme un fer rouge met la lèvre sur son col Et la contemple, et pâle encor de son viol, A ses pieds gémissant une plainte ingénue Regarde la Nature échevelée et nue. Oui, l’Homme, vois-le bien, tire parti de tout! Il est beau, l’orateur farouche, qui debout, Du Progrès fugitif embrassant la chimère, Parle et courbe les fronts sous sa parole amère; Mais le vieux chiffonnier, qui sous le ciel changeant Montre son crochet noir et sa barbe d’argent, Près de la verte Seine a des beautés de Fleuve. Et c’est un beau modèle, avec sa blouse neuve, Que l’Alphonse blêmi, fashionable et vainqueur, Dont la cravate rose et les accroche-coeur Font fanatisme, et qui, doux jeune homme de joie, Tortille crânement sa casquette de soie. Oh! ne dédaigne rien dans ta ville! Chéris Les parcs éblouissants, ces jardins de Paris Où pour nous réjouir, en leurs apothéoses Brillent les coeurs sanglants et fulgurants des roses; Mais, artiste, aime aussi les pauvres talus des Fortifications, où sous le triste dais Du ciel gris, l’herbe jaune et sèche qui se pèle Semble un front dévoré par un érésipèle; Car c’est là que, toujours las de voir empirer Son destin, l’ouvrier captif vient respirer Et que la jeune fille heureuse, en mince robe, Laissant errer son clair sourire, où se dérobe Quelque rêve secret de ménage et d’amour, Avec ses yeux brûlants vient boire un peu de jour! 10 avril 1879.

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    Aimons-nous et dormons Aimons-nous et dormons Sans songer au reste du monde ! Ni le flot de la mer, ni l'ouragan des monts, Tant que nous nous aimons Ne courbera ta tête blonde, Car l'amour est plus fort Que les Dieux et la Mort ! Le soleil s'éteindrait Pour laisser ta blancheur plus pure. Le vent, qui jusqu'à terre incline la forêt, En passant n'oserait Jouer avec ta chevelure, Tant que tu cacheras Ta tête entre mes bras ! Et lorsque nos deux cœurs S'en iront aux sphères heureuses Où les célestes lys écloront sous nos pleurs, Alors, comme deux fleurs Joignons nos lèvres amoureuses, Et tâchons d'épuiser La Mort dans un baiser !

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    Amour angélique Oh ! l’amour ! dit-elle, — et sa voix tremblait et son oeil rayon- nait, — c’est être deux et n’être qu’un. Un homme et une femme qui se fondent en un ange, c’est le ciel. Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, liv.II,chap.VII. L’ange aimé qu’ici-bas je révère et je prie Est une enfant voilée avec ses longs cheveux, A qui le ciel, pour qu’elle nous sourie, A donné le regard de la vierge Marie. Ame que l’azur expatrie Pour qu’elle recueille nos voeux, Jeune âme limpide et fleurie Comme les fleurs de la prairie Aux calices roses ou bleus! Comme l’autre Éloa, c’est la soeur des archanges, Qui pour nous faire vivre aux mystiques amours, A quitté les blondes phalanges Et souille ses pieds blancs à parcourir nos fanges. Aussi nos ferveurs sont étranges: Ce sont des rêves sans détours, Ce sont des plaisirs sans mélanges, Des extases et des échanges Qui dureront plus que les jours! C’est un chemin frayé plein d’une douce joie, Un vase de parfums, une coupe de miel, Un météore qui flamboie Comme un beau chérubin dans sa robe de soie. Il ne craint pas que Dieu le voie: C’est un amour pur et sans fiel Où toute notre âme se noie Et dont l’aile ne se déploie Que pour s’élancer vers le ciel! Juin 1842.

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    À la Font-Georges Voici les lieux charmans où mon âme ravie Passoit à contempler Sylvie Ces tranquilles momens si doucement perdus. Boileau. O champs pleins de silence, Où mon heureuse enfance Avait des jours encor Tout filés d’or ! O ma vieille Font-Georges, Vers qui les rouges-gorges Et le doux rossignol Prenaient leur vol ! Maison blanche où la vigne Tordait en longue ligne Son feuillage qui boit Les pleurs du toit ! O claire source froide, Qu’ombrageait, vieux et roide, Un noyer vigoureux A moitié creux ! Sources ! fraîches fontaines ! Qui, douces à mes peines, Frémissiez autrefois Rien qu’à ma voix ! Bassin où les laveuses Chantaient insoucieuses En battant sur leur banc Le linge blanc ! O sorbier centenaire, Dont trois coups de tonnerre Avaient laissé tout nu Le front chenu ! Tonnelles et coudrettes, Verdoyantes retraites De peupliers mouvants A tous les vents ! O vignes purpurines, Dont, le long des collines, Les ceps accumulés Ployaient gonflés ; Où, l’automne venue, La Vendange mi-nue A l’entour du pressoir Dansait le soir ! O buissons d’églantines, Jetant dans les ravines, Comme un chêne le gland, Leur fruit sanglant ! Murmurante oseraie, Où le ramier s’effraie, Saule au feuillage bleu, Lointains en feu ! Rameaux lourds de cerises ! Moissonneuses surprises A mi-jambe dans l’eau Du clair ruisseau ! Antres, chemins, fontaines, Acres parfums et plaines, Ombrages et rochers Souvent cherchés ! Ruisseaux ! forêts ! silence ! O mes amours d’enfance ! Mon âme, sans témoins, Vous aime moins Que ce jardin morose Sans verdure et sans rose Et ces sombres massifs D’antiques ifs, Et ce chemin de sable, Où j’eus l’heur ineffable, Pour la première fois, D’ouïr sa voix ! Où rêveuse, l’amie Doucement obéie, S’appuyant à mon bras, Parlait tout bas, Pensive et recueillie, Et d’une fleur cueillie Brisant le cœur discret D’un doigt distrait, A l’heure où les étoiles Frissonnant sous leurs voiles Brodent le ciel changeant De fleurs d’argent. Octobre 1844.

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    À ma Mère (2) Mère, si peu qu'il soit, l'audacieux rêveur Qui poursuit sa chimère, Toute sa poésie, ô céleste faveur ! Appartient à sa mère. L'artiste, le héros amoureux des dangers Et des luttes fécondes, Et ceux qui, se fiant aux navires légers, S'en vont chercher des mondes, L'apôtre qui parfois peut comme un séraphin Épeler dans la nue, Le savant qui dévoile Isis, et peut enfin L'entrevoir demi-nue, Tous ces hommes sacrés, élus mystérieux Que l'univers écoute, Ont eu dans le passé d'héroïques aïeux Qui leur tracent la route. Mais nous qui pour donner l'impérissable amour Aux âmes étouffées, Devons être ingénus comme à leur premier jour Les antiques Orphées, Nous qui, sans nous lasser, dans nos cœurs même ouvrant Comme une source vive, Devons désaltérer le faible et l'ignorant Pleins d'une foi naïve, Nous qui devons garder sur nos fronts éclatants, Comme de frais dictames, Le sourire immortel et fleuri du printemps Et la douceur des femmes, N'est-ce pas, n'est-ce pas, dis-le, toi qui me vois Rire aux peines amères, Que le souffle attendri qui passe dans nos voix Est celui de nos mères ? Petits, leurs mains calmaient nos plus vives douleurs, Patientes et sûres : Elles nous ont donné des mains comme les leurs Pour toucher aux blessures. Notre mère enchantait notre calme sommeil, Et comme elle, sans trêve, Quand la foule s'endort dans un espoir vermeil, Nous enchantons son rêve. Notre mère berçait d'un refrain triomphant Notre âme alors si belle, Et nous, c'est pour bercer l'homme toujours enfant Que nous chantons comme elle. Tout poète, ébloui par le but solennel Pour lequel il conspire, Est brûlé d'un amour céleste et maternel Pour tout ce qui respire. Et ce martyr, qui porte une blessure au flanc Et qui n'a pas de haines, Doit cette extase immense à celle dont le sang Ruisselle dans ses veines. Ô toi dont les baisers, sublime et pur lien ! À défaut de génie M'ont donné le désir ineffable du bien, Ma mère, sois bénie. Et, puisque celle enfin qui l'a reçu des cieux Et qui n'est jamais lasse, Sait encore se faire un joyau précieux D'un pauvre enfant sans grâce. Va, tu peux te parer de l'objet de tes soins Au gré de ton envie, Car ce peu que je vaux est bien à toi du moins, Ô moitié de ma vie !

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    À ma Mère (II). Mère, si peu qu'il soit, l'audacieux rêveur Qui poursuit sa chimère, Toute sa poésie, ô céleste faveur ! Appartient à sa mère. L'artiste, le héros amoureux des dangers Et des luttes fécondes, Et ceux qui, se fiant aux navires légers, S'en vont chercher des mondes, L'apôtre qui parfois peut comme un séraphin Épeler dans la nue, Le savant qui dévoile Isis, et peut enfin L'entrevoir demi-nue,

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    À mon amie Hélas ! qu'il fut long, mon amie T'en souvient-il ? Ce temps de douleur endormie, Ce noir exil Pendant lequel, tâchant de naître A notre amour, Nous nous aimions sans nous connaître ! Oh ! ce long jour, Cette nuit où nos voix se turent, Cieux azurés Qui voyez notre âme, oh ! qu'ils furent Démesurés ! J'avais besoin de toi pour vivre : Je te voulais. Fou, je m'en allais pour te suivre, Je t'appelais Et je te disais à toute heure Dans mon effroi : « C'est moi qui te cherche et qui pleure. Viens. Réponds-moi. » Hélas ! dans ma longue démence, Dans mon tourment, J'avais tant souffert de l'immense Isolement, Et de cacher mon mal insigne, Emerveillé De gémir tout seul, comme un cygne Dépareillé ; J'étais si triste de sourire Aux vains hochets Dont s'était bercé mon délire ; Et je marchais, Si las d'être seul sous la nue, Triste ou riant, Que je ne t'ai plus reconnue, En te voyant. Et je t'ai blessée et meurtrie, Et je n'ai pas Au seuil de la chère patrie, Baisé les pas De l'ange qui dans la souffrance A combattu, Et qui me rendait l'espérance Et la vertu ! O toi dont sans cesse mes lèvres Disent le nom, Pardonne-moi tes longues fièvres, Tes pleurs ! mais non, J'en cacherai la cicatrice Sous un baiser Si long et si profond qu'il puisse Te l'effacer. Je veux que l'avenir te voie, Le front vainqueur, Serrée et tremblante de joie Près de mon cœur ; Ecoutant mon ode pensive Qui te sourit, Et me donnant la flamme vive De ton esprit ! Car à la fin je t'ai trouvée, Force et douceur, Telle que je t'avais rêvée, Epouse et sœur Qui toujours, aimante et ravie Me guériras, Et qui traverseras la vie Entre mes bras. Plus d'exil ! Vois le jour paraître A l'orient : Nous ne sommes plus qu'un seul être Fort et riant, Dont le chant ailé se déploie Vers le ciel bleu, Gardant, comme une sainte joie, L'espoir en Dieu, Poursuivant, sans qu'on l'avertisse, L'humble lueur Qu'on nomme ici-bas la justice Et le bonheur, N'ayant plus ni regrets ni haine Dans ce désert, Et se ressouvenant à peine Qu'il a souffert. Oui, je t'ai retrouvée, et telle Que je t'aimais, Toi qui, comme un miroir fidèle, Vis désormais Ma vie, et je t'aime, je t'aime, Je t'aime ! et pour L'éternité, je suis toi-même, O cher amour !

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    À mon Père O mon père, soldat obscur, âme angélique ! Juste qui vois le mal d’un oeil mélancolique, Sois béni ! je te dois ma haine et mon mépris Pour tous les vils trésors dont le monde est épris. Oh ! tandis que je vais fouillant l’ombre éternelle, Si la Muse une fois me touchait de son aile ! Si ses mains avaient pris plaisir à marier Sur mon front orgueilleux la rose et le laurier Par lesquels le poëte est souvent plus qu’un homme, Comme je tomberais à tes genoux ! et comme Je ne serais jaloux de personne et de rien, Si tu disais : Mon fils, je suis content, c’est bien. Car ce cœur fier que rien de bas ne peut séduire, O père, est bien à toi, qui toujours as fait luire Devant moi, comme un triple et merveilleux flambeau, L’ardeur du bien, l’espoir du vrai, l’amour du beau ! Février 1846.

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    À Odette Odette, vos cheveux vermeils Ont le jaune éclat des soleils Parmi les moissons enchantées, Et caressent en nappes d'or Vos tempes plus blanches encor Que des étoiles argentées. Quand l'aurore rose à demi Se joue et frissonne parmi Cette douce toison fatale, De pâles et tristes lueurs Éclairent de reflets rêveurs Votre joue aux teintes d'opale. Sur votre jeune front penché L'étincelle d'un feu caché Brille dans vos yeux clairs et sombres, Et comme de tendres pistils, Les bandeaux soyeux de vos cils Vous caressent de grandes ombres. Vos lèvres déjà tout en fleur Ont l'harmonieuse pâleur De la sensitive froissée, Et ce lys que rien n'outragea, Votre front se courbe déjà Sous l'orage de la pensée. Vos regards sont si languissants Qu'à votre petit cœur je sens Saigner de secrètes blessures, Et parfois dans vos yeux pensifs Je crois voir s'amasser, captifs, Tous les pleurs des amours futures. Ah ! que ces pleurs silencieux Ne coulent jamais de vos yeux ! Et ne voyez jamais éclore, Autour de vos cheveux flottants, De nos saisons que le printemps Et de notre jour que l'aurore ! Que rien n'emplisse de sanglots Votre âme pareille à ces flots Où Dieu lui-même se reflète ! Parlez aux cieux, aux champs, aux bois, Avec votre plus douce voix, Soyez heureuse, chère Odette ! Dites aux bosquets de rosiers : Je veux que vous me le disiez Comment vos fleurs s'épanouissent, Et parmi de calmes amours Je veux que ma vie et mes jours Ainsi que vos roses fleurissent ! A la source dont le flot clair Boit le bleu transparent de l'air, Dites : Je veux, ô flots sans nombre, Que mes jours coulent, comme vous, Sur un chemin facile et doux, A l'abri d'un feuillage sombre ! Au bel Ange qui suit vos pas : Je veux que ma route ici-bas Ne soit qu'harmonie et sourires ! Tel dans l'oasis du désert On entend parfois un concert De voix humaines et de lyres. Tous écouteront votre vœu ! Vous parliez encore au bon Dieu Hier dans les célestes féeries, Et vous devez encor savoir En quels mots se parlent au soir Un ange et des roses fleuries.

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    À Paul Gavarni La Beauté, fatal aimant, Est pareille au diamant Que la fange peut mouiller Sans le souiller. Jusqu'au milieu du ruisseau, L'éclat pur de son berceau Garde un charme essentiel Qui vient du ciel. Ainsi, leurs cheveux au vent, Vois ces folles qui souvent Bercent le premier venu Sur leur bras nu. Ces filles aux teints flétris, Qui dévisagent Paris Avec leur regard moqueur, N'ont plus de cœur. Leur sein insensible et froid Que mord le corset étroit, N'a jamais pendant un jour Tremblé d'amour. Idoles ivres d'encens, Dont rien n'éveille les sens, Elle n'ont jamais pleuré Ni soupiré. Plus pâles que nos Ennuis, Ces spectres des folles nuits Ne mentent même pas bien, Et n'aiment rien. Rien ! ni l'orgie et le bal Qui se tord en carnaval Sous les clairons furieux, La flamme aux yeux, Ni le Vin, or ruisselant, Âme du raisin sanglant Qui met ses riches manteaux Sur nos coteaux, Ni la colère du Jeu, Qui rend puissants comme un dieu Les combattants éblouis De ses louis, Ni cette perle des mers Arrachée aux flots amers, Ni Golconde et son trésor, Ni même l'Or ! Car l'Or sur notre chemin, C'est l'Art sacré dont la main Embellit les horizons De nos prisons ; C'est la sereine fierté, C'est un jour de liberté Sous les ombrages fleuris Loin de Paris ; C'est l'Amitié, douce voix, Qu'on peut encore une fois Accueillir et mieux choyer A son foyer. Mais ce gouffre où tout se perd ! Mais elles ! L'or ne leur sert Qu'à se parer de chiffons Pour des bouffons. Pourquoi donc les chantons-nous, Cœurs de l'Idéal jaloux, Qui toujours au ciel obscur Cherchons l'azur ? Sur leurs têtes sans douceur Pourquoi, poëte et penseur, Fais-tu jaillir un rayon De ton crayon ? Ô philosophe subtil, Dis-le-moi, que reste-t-il A leur front désenchanté ? Quoi ? la Beauté ! La Beauté, miroir secret, Où l'amour divin paraît Reflété comme en un ciel Matériel !

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    À Vénus de milo Ô Vénus de Milo, guerrière au flanc nerveux, Dont le front irrité sous vos divins cheveux Songe, et dont une flamme embrase la paupière, Calme éblouissement, grand poème de pierre, Débordement de vie avec art compensé, Vous qui depuis mille ans avez toujours pensé, J’adore votre bouche où le courroux flamboie Et vos seins frémissants d’une tranquille joie. Et vous savez si bien ces amours éperdus Que si vous retrouviez un jour vos bras perdus Et qu’à vos pieds tombât votre blanche tunique, Nos froideurs pâmeraient dans un combat unique, Et vous m’étaleriez votre ventre indompté, Pour y dormir un soir comme un amant sculpté !

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    Érato Nature, où sont tes Dieux ? Ô prophétique aïeule, Ô chair mystérieuse où tout est contenu, Qui pendant si longtemps as vécu de toi seule Et qui sembles mourir, parle, qu’est devenu Cet âge de vertu que chaque jour efface, Où le sourire humain rayonnait sur ta face ? Où s’est enfui le chœur de tes Olympiens ? Ô Nature à présent désespérée et vide, Jadis l’affreux désert des Éthiopiens Sous le midi sauvage ou sous la nuit livide Fut moins appesanti, moins formidable, et moins Fait pour ce désespoir qui n’a pas de témoins, Que tu ne m’apparais à présent tout entière, Depuis que tu n’as plus ce chœur mélodieux De tes fils immortels, orgueil de la Matière. Aïeule au flanc meurtri, Nature, où sont tes Dieux ? Jadis, avant, hélas ! que l’Ignorance impie T’eût dédaigneusement sous ses pieds accroupie, Nature, comme nous tu vivais, tu vivais ! Avec leurs rocs géants, leurs granits et leurs marbres, Les monts furent alors les immenses chevets Où tu dormais la nuit dans ta ceinture d’arbres. Les constellations étaient des yeux vivants, Une haleine passait dans le souffle des vents ; Leur aile frissonnante aux sauvages allures Qui brise dans les bois les grands feuillages roux, En pliant les rameaux courbait des chevelures, Et dans la mer, ces flots palpitants de courroux Ainsi que des lions, qui sous l’ardente lame Bondissent dans l’azur, étaient des seins de femme. Mais que dis-je, ô Dieux forts, Dieux éclatants, Dieux beaux, Triomphateurs ornés de dépouilles sanglantes, Porteurs d’arcs, de tridents, de thyrses, de flambeaux, De lyres, de tambours, d’armes étincelantes, Voyageurs accourus du ciel et de l’enfer, Qui parmi les buissons de Sicile et de Corse Avec vos cheveux blonds toujours vierges du fer Parliez dans le nuage et viviez dans l’écorce, Dieux exterminateurs des serpents et des loups, Non, vous n’êtes pas morts ! En vain l’homme jaloux Dit que l’Érèbe a clos vos radieuses bouches : Moi qui vous aime encor, je sais que votre voix Est vivante, et vos fronts célestes, je les vois ! Je vois l’ardent Bacchus, Diane aux yeux farouches, Vénus, et toi surtout dont le nom triomphant Écrasera toujours leur espoir chimérique, Ô Muse ! qui naguère et tout petit enfant M’a choisi pour les vers et pour le chant lyrique ! Nourrice de guerriers, louangeuse Érato ! Déjà le blanc cheval aux yeux pleins d’étincelles, Impatient du libre azur, ouvre ses ailes Et de ses pieds légers bondit sur le coteau. Saisis sa chevelure, et dans l’herbe fleurie Que le coursier t’emporte au gré de sa furie ! Puis quand tu reviendras, Muse, nous chanterons. Va voir les durs combats, les grands chocs, les mêlées, Des crinières de pourpre au vent échevelées, Des blessures brisant les bras, trouant les fronts, Et, comme un vin joyeux sort des vendanges mûres, Le rouge flot du sang coulant sur les armures, Et l’épée autour d’elle agitant ses éclairs, Et les soldats avec une âme vengeresse Bondissant, emportés par le chef aux yeux clairs. Va, mais que ni les rois, ni le peuple, ô Déesse, Ne puissent te convaincre et changer ton dessein, Car seule gouvernant les chants où tu les nommes, Plus forte que la vie et le destin des hommes, L’immuable Justice habite dans ton sein. Puis tu délaceras ta cuirasse guerrière. Alors, bravant l’orage effroyable et ses jeux, Marche, tes noirs cheveux au vent, dans la clairière, Va dans les antres sourds, gravis les rocs neigeux, Près des gouffres ouverts et sur les pics sublimes Qui fument au soleil, de glace hérissés, Respire, et plonge-toi dans les fleuves glacés. Muse, il est bon pour toi de vivre sur les cimes, De sentir sur ton sein la caresse des airs, De franchir l’âpre horreur des torrents sans rivages, Et, quand les vents affreux pleurent dans les déserts, De livrer ta poitrine à leurs bouches sauvages. Le flot aigu, le mont qu’endort l’éternité, La forêt qui grandit selon les saintes règles Vers l’azur, et la neige et les chemins des aigles Conviennent, ô Déesse, à ta virginité. Car rien ne doit ternir ta pureté première Et souiller par un long baiser matériel Ta belle chair, pétrie avec de la lumière. Ton véritable amant, chaste fille du ciel, Est celui qui, malgré ta voix qui le rassure Et ton regard penché sur lui, n’oserait pas D’une lèvre timide effleurer ta chaussure Et baiser seulement la trace de tes pas. Oui, c’est moi qui te sers et c’est moi qui t’adore. Viens ! ceux qu’on a crus morts, nous les retrouverons ! Les guerriers, les archers, les rois, les forgerons, Les reines de l’azur aux fronts baignés d’aurore ! Viens, nous retrouverons le fils des rois Titans Assis, la foudre en main, dans les cieux éclatants ; Celle qui de son front jaillit, Déesse armée, Comme jaillit l’éclair de la nue enflammée, Et celui qui se plaît aux combats, dans les cris D’horreur, et portant l’arc avec sa fierté mâle Cette amante des bois, la chasseresse pâle Qui court dans les sentiers par la neige fleuris Et montre ses bras nus tachés du sang des lices ; Celui qui dans les noirs marais vils et rampants Exterminant les nœuds d’hydres et de serpents, De ses traits lourds d’airain les tue avec délices ; Puis, celui qui régit les Déesses des flots ; Celui-là qu’on déchire en ses douleurs divines, Qui meurt pour nous et, pour apaiser nos sanglots, Dieu fort, renaît vivant et chaud dans nos poitrines ; Celle qui, s’élançant quand l’âpre hiver s’enfuit, Ressuscite du noir enfer et de la nuit, Et celle-là surtout, vierge délicieuse, Qui fait grandir, aimer, naître, sourdre, germer, Fleurir tout ce qui vit, et vient tout embaumer Et fait frémir d’amour les chênes et l’yeuse, Et fait partout courir le grand souffle indompté De l’ardente caresse et de la volupté. Près de nous brilleront le sceptre que décore Une fleur, le trident et, plus terrible encore, La ceinture qui tient les désirs en éveil ; L’épée au dur tranchant, belle et de sang vermeille, Dont la lame d’airain pour la forme est pareille À la feuille de sauge, et qui luit au soleil ; L’arc, le thyrse léger, la torche qui flamboie ; Et la grande Nature avec ses milliers d’yeux Nous verra, stupéfaite en sa tranquille joie, Voyageurs éblouis, lui ramener ses Dieux !

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    Été On dit à ce cruel Été, Qui tanne la peau des gorilles : Tu nous endors, comme un Léthé ; Puis tu nous cuis et tu nous grilles. Nous vivons, grâce à ton aplomb Comme la colombe et les ânes, Sous une calotte de plomb Qui fond les cerveaux dans les crânes. Été cruel, chacun se tut Devant ton affreux monopole ; Car on sent, comme à l'Institut, L'étouffement d'une coupole. Pourquoi remplir nos vastes cieux De ton caprice et de tes rages ? Quel appareil prétentieux De fournaise et de faux orages !

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    Ô jeune Florentine Ô jeune Florentine à la prunelle noire, Beauté dont je voudrais éterniser la gloire, Vous sur qui notre maître eût jeté plus de lys Que devant Galatée ou sur Amaryllis, Vous qui d’un blond sourire éclairez toutes choses Et dont les pieds polis sont pleins de reflets roses, Hier vous étiez belle, en quittant votre bain, À tenter les pinceaux du bel ange d’Urbin. Ô colombe des soirs ! moi qui vous trouve telle Que j’ai souvent brûlé de vous rendre immortelle, Si j’étais Raphaël ou Dante Alighieri Je mettrais des clartés sur votre front chéri, Et des enfants riants, fous de joie et d’ivresse, Planeraient, éblouis, dans l’air qui vous caresse. Si Virgile, ô diva ! m’instruisait à ses jeux, Mes chants vous guideraient vers l’Olympe neigeux Et l’on y pourrait voir sous les rayons de lune, Près de la Vénus blonde une autre Vénus brune. Vous fouleriez ces monts que le ciel étoilé Regarde, et sur le blanc tapis inviolé Qui brille, vierge encor de toute flétrissure, Les Grâces baiseraient votre belle chaussure ! Mai 1842.

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    Avril Oh ! sois le bien venu, Printemps, Ami joyeux qui nous accueilles ! Fais voler tes cheveux flottants Sous ton riant chapeau de feuilles.

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    Bien souvent je revois… Bien souvent je revois sous mes paupières closes, La nuit, mon vieux Moulins bâti de briques roses, Les cours tout embaumés par la fleur du tilleul, Ce vieux pont de granit bâti par mon aïeul, Nos fontaines, les champs, les bois, les chères tombes, Le ciel de mon enfance où volent des colombes, Les larges tapis d’herbe où l’on m’a promené Tout petit, la maison riante où je suis né Et les chemins touffus, creusés comme des gorges, Qui mènent si gaiement vers ma belle Font-Georges, À qui mes souvenirs les plus doux sont liés. Et son sorbier, son haut salon de peupliers, Sa source au flot si froid par la mousse embellie Où je m’en allais boire avec ma soeur Zélie, Je les revois ; je vois les bons vieux vignerons Et les abeilles d’or qui volaient sur nos fronts, Le verger plein d’oiseaux, de chansons, de murmures, Les pêchers de la vigne avec leurs pêches mûres, Et j’entends près de nous monter sur le coteau Les joyeux aboiements de mon chien Calisto !

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    Bûche A quoi penses-tu, pauvre bûche ? Dis-je à la bûche dans mon feu, Qu'un blanc vêtement de peluche Environnait, comme par jeu, Pâlie et rouge tour à tour, Comme une fille en mal d'amour. La bûche répondit : Je pense, Avec un plaisir infernal, Que la plus douce récompense Est mon habit de cardinal, Dont l'adorable vermillon Brille comme un rouge paillon. Le froid noir, c'est moi qui le brave, Car seule, en ce moment, j'ai chaud. Et folle, ayant quitté la cave Du charbonnier, sombre cachot, Je me chauffe dans un brasier Aussi vermeil que le rosier. Chacun s'affuble de mitaines. En proie à l'Hiver, ce bourreau, Blanches, les muettes fontaines, Oubliant de verser leur eau, Avec un faste oriental Ont de grands plumets de cristal. Ne pouvant porter de voilettes, Les messieurs tristes, dont les nez Ressemblent à des violettes, Regrettent parfois d'être nés Ailleurs qu'au pays où Brazza Dans l'air enflammé s'embrasa.

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    Carmen Dicere carmen. Horace. Camille, en dénouant sur votre col de lait Vos cheveux radieux plus beaux que ceux d’Hélène, Égrenez tour à tour, ainsi qu’un chapelet, Ces guirlandes de fleurs sur ces tapis de laine. Tandis que la bouilloire, éveillée à demi, Ronfle tout bas auprès du tison qui s’embrase, Et que le feu charmant, tout à l’heure endormi, Mélange l’améthyste avec la chrysoprase ; Tandis qu’en murmurant, ces vins, célestes pleurs, Tombent à flots pressés des cruches ruisselantes, Et que ces chandeliers, semblables à des fleurs, Mettent des rayons d’or dans les coupes sanglantes ; Que les Dieux de vieux Saxe et les Nymphes d’airain Semblent, en inclinant leur tête qui se penche, Parmi les plâtres grecs au visage serein, Se sourire de loin dans la lumière blanche ; Les bras et les pieds nus, laissez votre beau corps Dont le peignoir trahit la courbe aérienne, Sur ce lit de damas étaler ses accords, Ainsi qu’un dieu foulant la pourpre tyrienne. Que votre bouche en fleur se mette à l’unisson Du vin tiède et fumant, de la flamme azurée Et de l’eau qui s’épuise à chanter sa chanson, Et dites-nous des vers d’une voix mesurée. Car il faut assouplir nos rhythmes étrangers Aux cothurnes étroits de la Grèce natale, Pour attacher aux pas de l’Ode aux pieds légers Le nombre harmonieux d’une lyre idéale. Il faut à l’hexamètre, ainsi qu’aux purs arceaux Des églises du Nord et des palais arabes, Le calme, pour pouvoir dérouler les anneaux Saints et mystérieux de ses douze syllabes ! Janvier 1844.

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    Le vin de l’amour Accablé de soif, l’Amour Se plaignait, pâle de rage, A tous les bois d’alentour. Alors il vit, sous l’ombrage, Des enfants à l’oeil d’azur Lui présenter un lait pur Et les noirs raisins des treilles. Mais il leur dit : Laissez-moi, Vous qui jouez sans effroi, Enfants aux lèvres vermeilles ! Petits enfants ingénus Qui folâtrez demi-nus, Ne touchez pas à mes armes. Le lait pur et le doux vin Pour moi ruissellent en vain : Je bois du sang et des larmes.

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    Chanson d'amour Qui veut avant le point du jour, Vers le bien-aimé de mon âme, Parce que je languis d'amour, Porter le secret de ma flamme ? Ô mon cœur, à quel cœur discret Peux-tu te confier encore ? — Si l'alouette a mon secret, Elle ira le dire à l'Aurore. Le désir de son javelot A percé mon cœur qui se brise. — Si je dis mon secret au flot, Le flot l'ira dire à la brise. Un frisson glisse sur mon col, Et glace ma lèvre déclose. — Si je le dis au rossignol, Il ira le dire à la rose. Qui donc saura le supplier De finir mes peines mortelles ? — Si je le dis au blanc ramier, Il l'ira dire aux tourterelles. Je me ploie ainsi qu'un roseau Et ma beauté penche flétrie. — Si je le dis au bleu ruisseau, Il l'ira dire à la prairie. Vous qui voyez mon désespoir, Flots, ailes, brises des montagnes ! — Si je le dis à mon miroir, Il l'ira dire à mes compagnes. Parce que je languis d'amour, Vous qui voyez que je me pâme, — Allez, allez de ce séjour Vers le bien-aimé de mon âme !

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    Chanson de bateau Le canal endort ses flots, Ses échos, Et le zéphyr nous verse Des parfums purs et doux. Le flot nous berce, Endormons-nous ! Les voix emplissent les airs De concerts, Et le vent les disperse Avec nos baisers fous. Le flot nous berce, Endormons-nous ! En vain ton époux caduc, Comte ou duc, Se jette à la traverse De nos gais rendez-vous. Le flot nous berce, Endormons-nous ! Ah ! que les cieux étoilés Soient voilés, Tandis que je renverse Ton front sur mes genoux ! Le flot nous berce, Endormons-nous ! Qu'importe si, dans la nuit Qui s'enfuit, L'orage bouleverse Les éléments jaloux ! Le flot nous berce, Endormons-nous !

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    Chanson à boire Allons en vendanges, Les raisins sont bons ! Chanson. De ce vieux vin que je révère Cherchez un flacon dans ce coin. Çà, qu’on le débouche avec soin, Et qu’on emplisse mon grand verre. Chantons Io Paean ! Le Léthé des soucis moroses Sous son beau cristal est enclos, Et dans son cœur je veux à flots Boire du soleil et des roses. La treille a ployé tout le long des murs, Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs ! Jusqu’en la moindre gouttelette, La fraîche haleine de ce vin Exhale un parfum plus divin Qu’une touffe de violette, Chantons Io Paean ! Et, dessus la lèvre endormie Des pâles et tristes songeurs, Met de plus ardentes rougeurs Que n’en a le sein de ma mie. La treille a ployé tout le long des murs, Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs ! A mes yeux, en nappes fleuries Dansantes sous le ciel en feu, L’air se teint de rose et de bleu Comme au théâtre des féeries ; Chantons Io Paean ! Je vois un cortège fantasque, Suivi de cors et de hautbois, Tourbillonner, et joindre aux voix La flûte et les tambours de basque ! La treille a ployé tout le long des murs, Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs ! C’est Galatée ou Vénus même Qui, dans l’éclat du flot profond, Se joue et me sourit au fond De mon grand verre de Bohême. Chantons Io Paean ! Cette autre Cypris, plus galante, Naît du nectar si bien chanté, Et laisse voir sa nudité Sous une pourpre étincelante. La treille a ployé tout le long des murs, Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs ! Plus d’amante froide ou traîtresse, Plus de poëtes envieux ! Dans ce grand verre de vin vieux Pleure une immortelle maîtresse, Chantons Io Paean ! Et, comme un ballet magnifique, Je vois, dans le flacon vermeil, Couleur de lune et de soleil, Des rhythmes danser en musique ! La treille a ployé tout le long des murs, Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs ! Septembre 1844.

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    Chère, voici le mois de mai Chère, voici le mois de mai, Le mois du printemps parfumé Qui, sous les branches, Fait vibrer des sons inconnus, Et couvre les seins demi-nus De robes blanches. Voici la saison des doux nids, Le temps où les cieux rajeunis Sont tout en flamme, Où déjà, tout le long du jour, Le doux rossignol de l’amour Chante dans l’âme. Ah ! de quels suaves rayons Se dorent nos illusions Les plus chéries, Et combien de charmants espoirs Nous jettent dans l’ombre des soirs Leurs rêveries ! Parmi nos rêves à tous deux, Beaux projets souvent hasardeux Qui sont les mêmes, Songes pleins d’amour et de foi Que tu dois avoir comme moi, Puisque tu m’aimes ; Il en est un seul plus aimé. Tel meurt un zéphyr embaumé Sur votre bouche, Telle, par une ardente nuit, De quelque Séraphin, sans bruit, L’aile vous touche. Camille, as-tu rêvé parfois Qu’à l’heure où s’éveillent les bois Et l’alouette, Où Roméo, vingt fois baisé, Enjambe le balcon brisé De Juliette, Nous partons tous les deux, tout seuls ? Hors Paris, dans les grands tilleuls Un rayon joue ; L’air sent les lilas et le thym, La fraîche brise du matin Baise ta joue. Après avoir passé tout près De vastes ombrages, plus frais Qu’une glacière Et tout pleins de charmants abords, Nous allons nous asseoir aux bords De la rivière. L’eau frémit, le poisson changeant Émaille la vague d’argent D’écailles blondes ; Le saule, arbre des tristes vœux, Pleure, et baigne ses longs cheveux Parmi les ondes. Tout est calme et silencieux. Étoiles que la terre aux cieux A dérobées, On voit briller d’un éclat pur Les corsages d’or et d’azur Des scarabées. Nos yeux s’enivrent, assouplis, A voir l’eau dérouler les plis De sa ceinture. Je baise en pleurant tes genoux, Et nous sommes seuls, rien que nous Et la nature ! Tout alors, les flots enchanteurs, L’arbre ému, les oiseaux chanteurs Et les feuillées, Et les voix aux accords touchants Que le silence dans les champs Tient éveillées, La brise aux parfums caressants, Les horizons éblouissants De fantaisie, Les serments dans nos cœurs écrits, Tout en nous demande à grands cris La Poésie. Nous sommes heureux sans froideur. Plus de bouderie ou d’humeur Triste ou chagrine ; Tu poses d’un air triomphant Ta petite tête d’enfant Sur ma poitrine ; Tu m’écoutes, et je te lis, Quoique ta bouche aux coins pâlis S’ouvre et soupire, Quelques stances d’Alighieri, Ronsard, le poëte chéri, Ou bien Shakspere. Mais je jette le livre ouvert, Tandis que ton regard se perd Parmi les mousses, Et je préfère, en vrai jaloux, A nos poëtes les plus doux Tes lèvres douces ! Tiens, voici qu’un couple charmant, Comme nous jeune et bien aimant, Vient et regarde. Que de bonheur rien qu’à leurs pas ! Ils passent et ne nous voient pas : Que Dieu les garde ! Ce sont des frères, mon cher cœur, Que, comme nous, l’amour vainqueur Fit l’un pour l’autre. Ah ! qu’ils soient heureux à leur tour ! Embrassons-nous pour leur amour Et pour le nôtre ! Chère, quel ineffable émoi, Sur ce rivage où près de moi Tu te recueilles, De mêler d’amoureux sanglots Aux douces plaintes que les flots Disent aux feuilles ! Dis, quel bonheur d’être enlacés Par des bras forts, jamais lassés ! Avec quels charmes, Après tous nos mortels exils, Je savoure au bout de tes cils De fraîches larmes ! Avril 1844.

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    Ciels brouillés Campagne, où sur le cerisier Je mange à même des cerises, Chez toi je puis m'extasier ! Mais le ciel t'en fait voir de grises. C'est vrai, nous sommes en juillet Par ce temps-là, sang et tonnerre ! Voici bien la rose et l'œillet, O vieux siècle nonagénaire ! Mais par un procédé nouveau, Puisque, pour imiter décembre, Le vent pleure et geint comme un veau, J'allume un grand feu dans ma chambre.

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    Conseil Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt ! Escalade la roche aux nobles altitudes. Respire, et libre enfin des vieilles servitudes, Fuis les regrets amers que ton cœur savourait. Dès l’heure éblouissante où le matin paraît, Marche au hasard ; gravis les sentiers les plus rudes. Va devant toi, baisé par l’air des solitudes, Comme une biche en pleurs qu’on effaroucherait. Cueille la fleur agreste au bord du précipice. Regarde l’antre affreux que le lierre tapisse Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus. Marche et prête l’oreille en tes sauvages courses ; Car tout le bois frémit, plein de rhythmes confus, Et la Muse aux beaux yeux chante dans l’eau des sources. Juillet 1842.

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    Dernière angoisse Au moment de jeter dans le flot noir des villes Ces choses de mon coeur, gracieuses ou viles, Que boira le gouffre sans fond, Ce gouffre aux mille voix où s’en vont toutes choses, Et qui couvre d’oubli les tombes et les roses, Je me sens un trouble profond. Dans ces rhythmes polis où mon destin m’attache Je devrais servir mieux la Muse au front sans tache ; Au lieu de passer en riant, Sur ces temples sculptés dont l’éclat tourbillonne Je devrais faire luire un flambeau qui rayonne Comme une étoile à l’Orient ; Rebâtir avec soin les histoires anciennes, A chaque monument redemander les siennes, Dont le souvenir a péri ; Chanter les dieux du Nord dont la splendeur étonne, A côté de Vénus et du fils de Latone Peindre la Fée et la Péri ; Ranimer toute chose avec une syllabe, L’ogive et ses vitraux de feu, le trèfle arabe, Le cirque, l’église et la tour, Le château fort tout plein de rumeurs inouïes, Et le palais des rois, demeures éblouies Dont chacune règne à son tour ; Les murs Tyrrhéniens aux majestés hautaines, Les granits de Memphis et les marbres d’Athènes Qu’un regard du soleil ambra, Et des temps révolus éveillant le fantôme, Faire briller auprès d’un temple polychrome Le Colisée et l’Alhambra! J’aurais dû ranimer ces effroyables guerres Dont les peuples mourants s’épouvantaient naguères, Meurtris sous un rude talon, Dire Attila suivi de sa farouche horde, Charlemagne et César, et celui dont l’exorde Fut le grand siège de Toulon ! Puis, après tous ces noms, sur la page choisie Écrire d’autres noms d’art et de poésie, Dont le bataillon espacé Par des poëmes d’or, dont la splendeur enchaîne L’époque antérieure à l’époque prochaine, Illumine tout le passé ! Dans ce grand Panthéon, des dalles jusqu’aux cintres Graver des noms sacrés de chanteurs et de peintres, D’artistes rêvés ardemment ; A chacun, soit qu’il cherche un poëme sous l’arbre, Ou qu’il jette son coeur dans la note ou le marbre, Faire une place au monument ! Dire Moïse, Homère à la voix débordante Qui contenait en lui Tasse, Virgile et Dante; Dire Gluck, penché vers l’Éden, Mozart, Goethe, Byron, Phidias et Shakspere, Molière, devant qui toute louange expire, Et Raphaël et Beethoven ! Montrer comment Rubens, Rembrandt et Michel-Ange Mélangeaient la couleur et pétrissaient la fange Pour en faire un Jésus en croix; Et comment, quand mourait notre Art paralytique Apparurent, guidés par l’instinct prophétique, Le grand Ingres et Delacroix ! Comment la Statuaire et la Musique aux voiles Transparents, ont porté nos coeurs jusqu’aux étoiles; Nommer David, sculptant ses Dieux, Rossini, gaieté, joie, ivresse, amour, extase, Et Meyerbeer, titan ravi sur un Caucase Dans l’ouragan mélodieux ! Mais surtout dire à tous que tu grandis encore, O notre chêne ancien que le vieux gui décore, Arbre qui te déchevelais Sur le front des aïeux et jusqu’à leur épaule, Car Gautier et Balzac sont encore la Gaule De Villon et de Rabelais ! Montrer l’Antiquité largement compensée, Et comparant de loin ces oeuvres de pensée Qu’un sublime destin lia, Répéter après eux, dans leur langage énorme, Ce que disent les vers de Marion Delorme Aux chapitres de Lélia ! Pas à pas dans son vers suivre chaque poëme, Chaque création arrachée au ciel même, Et surtout le vers de Musset, Fantasio divin, qui, soit qu’il se promène Dans les rêves du ciel ou la souffrance humaine, Devient un vers que chacun sait ! Enfin, pour un moment traînant mes Muses blanches Sur les hideux tréteaux et les sublimes planches, Aller demander au public Les noms de ceux qui font sa douleur ou son rire, Puis, avant tous ces noms, sur le feuillet inscrire George, Dorval et Frédérick ! Ainsi, des temps passés relevant l’hyperbole, Et, comme un pèlerin, apportant mon obole A tout ce qui luit fort et beau, J’aurais voulu bâtir sur l’arène mouvante Un monument hardi pour la gloire vivante, Pour la gloire ancienne un tombeau ! Hélas ! ma folle Muse est une enfant bohème Qui se consolera d’avoir fait un poëme Dont le dessin va de travers, Pourvu qu’un beau collier pare sa gorge nue, Et que, charmante et rose, une fille ingénue Rie ou pleure en lisant ses vers. Juillet 1842

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    Théodore de Banville

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    Décor Dans les grottes sans fin brillent les Stalactites. Du cyprès gigantesque aux fleurs les plus petites, Un clair jardin s’accroche au rocher spongieux, Lys de glace, roseaux, lianes, clématites. Des thyrses pâlissants, bouquets prestigieux, Naissent, et leur éclat mystique divinise Des villes de féerie au vol prodigieux. Voici les Alhambras où Grenade éternise Le trèfle pur ; voici les palais aux plafonds En feu, d’où pendent clairs les lustres de Venise. Transparents et pensifs, de grands sphinx, des griffons Projettent des regards longs et mélancoliques Sur des Dieux monstrueux aux costumes bouffons. Dans un tendre cristal aux reflets métalliques S’élancent, dessinant le rhythme essentiel, Vos clochetons à jour, ô sveltes basiliques, Et sous l’arbre sanglant et providentiel De la croix, sont éclos, enamourés des mythes, Les vitraux où revit tout le peuple du ciel. Stalactites tombant des voûtes, stalagmites Montant du sol, partout les orgueilleux glaçons Argentent de splendeurs l’horizon sans limites. Babels de diamants où courent des frissons, Colonnes à des Dieux inconnus dédiées, Souterrains éblouis, miraculeux buissons, Tout frémit : cent lueurs baignent, irradiées, Les coupoles qui sont pareilles à des cieux. Pourtant c’est le destin, voûtes incendiées ! Le voyageur, ravi dans ce lieu précieux Et sachant qu’une Nymphe auguste est son hôtesse, Parfois sur vos trésors lève un oeil soucieux. Quel trouble appesanti sur leur délicatesse Pare de la langueur mourante du sommeil Ces merveilles du rêve, et d’où vient leur tristesse ? Hélas ! l’ardent soleil de Dieu, le vrai soleil Ne les éclaire pas de son regard propice Et fait voler plus haut ses flèches d’or vermeil. Sous un mont que jamais le lierre ne tapisse, Vit cet enchantement qui tremble au son du cor, Gardé par la caverne et par le précipice. Mais (chère nymphe, ô Muse inassouvie encor, Que devance le choeur ailé des Métaphores), Pour installer ce rare et flamboyant décor, Sous ces blancs chapiteaux et ces arceaux sonores Où les métaux ont mis leur charme et leurs poisons, Il a fallu les pleurs des Soirs et des Aurores. Car, toi pour qui le roc orna ces floraisons De rose, de safran et d’azur constellées, Tu le sais, Poésie, ange de nos raisons, Ces caprices divins sont des larmes gelées !

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

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    La chanson de ma mie Or, voyez qui je suis, ma mie. Alfred de Musset. L’eau, dans les grands lacs bleus Endormie, Est le miroir des cieux : Mais j’aime mieux les yeux De ma mie. Pour que l’ombre parfois Nous sourie, Un oiseau chante au bois : Mais j’aime mieux la voix De ma mie. La rosée, à la fleur Défleurie Rend sa vive couleur : Mais j’aime mieux un pleur De ma mie. Le temps vient tout briser. On l’oublie : Moi, pour le mépriser, Je ne veux qu’un baiser De ma mie. La rose sur le lin Meurt flétrie ; J’aime mieux pour coussin Les lèvres et le sein De ma mie. On change tour à tour De folie : Moi, jusqu’au dernier jour, Je m’en tiens à l’amour De ma mie. Mars 1845.

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